Huit mois. L’espoir – même s’il était minime – aura été de courte durée pour les citoyens palestiniens d’Israël. C’est-à-dire les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël en 1948.
De fait, une loi controversée, dite « de la citoyenneté », a été adoptée, jeudi dernier et pour en comprendre la déception des Palestiniens, il faut revenir en 2003 et remonter le cours des 20 années qui ont suivi. Israël avait l’habitude de prolonger régulièrement et jusqu’à l’été dernier presque de manière automatique une ordonnance de sécurité – d’une durée d’un an – qui avait été votée en pleine seconde Intifada (2000/2005).
Obéissant à l’origine à des objectifs sécuritaires, elle suspendait la naturalisation automatique par mariage ou l’obtention du statut de résident à des époux, originaires des Territoires palestiniens, de Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne.
Peu à peu, le champ d’application de la loi s’est étendu aux pays considérés comme ennemis d’Israël à l’instar du Liban, de la Syrie, de l’Iran ou encore de l’Irak. Et ce, afin d’éviter l’entrée et la circulation de terroristes palestiniens potentiels en Israël, utilisant le mariage comme prétexte. Le service de sécurité du Shin Bet a déclaré qu’entre 2001 et 2021, environ 48 personnes avaient été impliquées dans des activités terroristes.
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Aujourd’hui, la loi est aussi associée au désir de maintenir une majorité juive en Israël. Dans les faits, cette loi touche des milliers de couples palestiniens dont un des membres vient de Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967, ou de la bande de Gaza, sous blocus.
Selon les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël, et qui représentent 20% de la population de l’Etat hébreu, la loi est considérée comme discriminatoire à leur égard car elle met des conditions strictes au regroupement familial et entrave leur droit de se marier avec la personne de leur choix. A noter qu’elle ne s’applique pas aux quelque 500 000 juifs qui vivent dans les colonies.
Un texte voté après huit mois de flottement
L’interdiction de 2003 est temporairement tombée en juillet dernier. Le texte n’avait de fait pas été renouvelé lorsque la nouvelle et fragile coalition gouvernementale en Israël de Naftali Bennett – qui comprend des partis de gauche et un parti arabe – n’avait pas réussi à rassembler les votes pour l’adopter. L’opposition de droite avait alors voté contre le texte pour tenter de déstabiliser le gouvernement.
Le résultat avait laissé penser aux citoyens palestiniens d’Israël que les autorités israéliennes pourraient potentiellement changer leur politique. Et beaucoup de leurs conjoints, Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, avaient entamé des démarches, en espérant pouvoir demander la résidence permanente en Israël ou la nationalité israélienne.
Finalement, jeudi 10 mars, après des mois de tractations sous l’impulsion active de la ministre israélienne de l’Intérieur, Ayelet Shaked, une nationaliste convaincue, la loi a été adoptée avec 45 voix pour et 15 contre grâce aux voix de formations de droite et d’extrême-droite au sein de l’opposition. Les partis Meretz (gauche) et Ra’am (parti islamo-conservateur), membres de la coalition gouvernementale, ont voté contre le reste de la coalition.
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A noter qu’entre les deux votes, celui de juillet puis celui de mars, le ministère de l’intérieur, qui gère l’immigration des non-juifs, n’a accédé à aucune demande de regroupement familial depuis juillet 2021.
La loi votée comme les années précédentes pour une durée d’un an et renouvelable, ressemble de très près aux textes antérieurs mais présente toutefois une nouvelle mouture selon laquelle la loi, en plus de l’aspect sécuritaire, inscrit clairement dans le texte l’objectif de garantir une majorité démographique juive en Israël.
Une loi dénoncée comme discriminatoire et raciste
Gaby Lasky, députée de gauche (Meretz), a vivement condamné le texte : « La loi discriminatoire et raciste sur la citoyenneté a maintenant été adoptée par le plénum de la Knesset. (…) Malheureusement, la coalition s’est jointe à l’extrême droite pour ajouter un point noir aux lois de l’Etat d’Israël ».
« Plusieurs groupes de défense des droits humains ont annoncé qu’ils contesteraient la loi devant la Cour suprême d’Israël », a rapporté l’AFP. C’est le cas d’Adalah, le Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël qui a déposé une requête auprès de la Cour suprême israélienne contre la loi sur la citoyenneté.
« Pour la première fois, la loi indique explicitement que l’interdiction du regroupement familial palestinien vise à servir le caractère juif de l’Etat. Les législateurs eux-mêmes ont déclaré qu’ils ont jugé bon de le faire, compte tenu de la loi sur l’Etat-nation juif de 2018. (…) Maintenant, la Cour suprême devra décider si elle continuera à permettre à l’Etat de fonctionner sur deux voies de citoyenneté distinctes basées sur l’affiliation nationale et ethnique sous l’éternel prétexte de la temporalité. »
Les chiffres
Environ 13 200 conjoints palestiniens vivent en Israël avec des permis précaires obtenus grâce à des exceptions à l’interdiction de 2003. Les Palestiniens présents en Israël avec un permis de séjour vivent généralement dans la précarité. Ils doivent constamment renouveler leurs documents, qui peuvent être révoqués à tout moment. Ils ne peuvent pas bénéficier du système de santé, pas ouvrir de compte bancaire, pas conduire, et disposent souvent de peu de documents les liant à leurs enfants.
Pour mémoire, rappelle le Times of Israel, entre 1993 et 2003 – date du premier vote de la loi, environ 130 000 Palestiniens avaient obtenu la citoyenneté ou la résidence israélienne par le biais du regroupement familial, y compris des enfants, selon des documents judiciaires.
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Les données rapportées par le journal Haaretz montrent que de 2015 à la mi-2021, un seul conjoint masculin d’un résident permanent d’Israël a été impliqué dans un incident de sécurité, et le nombre de ces conjoints mariés à des citoyens israéliens n’a été de quelques-uns par an.
« Les chiffres sont très bas et il n’y a donc aucune justification pour une atteinte aussi grave à tant de personnes », a affirmé Oded Feller, avocat membre de l’Association pour les droits civils en Israël (Acri) dans les colonnes du quotidien israélien. « La connexion de sécurité est très faible. C’est une excuse, et nous le disons depuis le premier instant. Il est clair que la principale crainte est que les Palestiniens obtiennent un statut légal et de notre point de vue, c’est une question raciste ».