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Poutine réclame la propriété de l’église Nevsky à Jérusalem

Christophe Lafontaine
21 avril 2022
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Passants devant l'église Alexandre Nevsky dans la vieille ville de Jérusalem en janvier 2020 ©Olivier Fitoussi/Flash90

Dans une lettre au Premier ministre israélien le 17 avril, le Président russe a pressé Israël de rendre à son pays l’église Nevsky à Jérusalem, après que le transfert de propriété a été bloqué par la justice en mars.


En 2020, l’ancien Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, avait promis à Vladimir Poutine que la Russie pourrait reprendre possession du complexe de l’église russe orthodoxe Alexander Nevsky, connu sous le nom de « la Cour Alexandre ».

L’ensemble est composé de l’église, un musée et des vestiges archéologiques, notamment issus de l’ancienne basilique constantinienne du Saint-Sépulcre. Le site abrite également « Le Seuil de la Porte du Jugement », le seuil d’une ancienne porte des remparts de la ville, que Jésus aurait emprunté, selon la tradition orthodoxe, pour être crucifié au Golgotha. 

Voulant voir se concrétiser « immédiatement » le transfert, le Président russe a voulu passer la vitesse supérieure. Par courrier, a fait savoir lundi le site Ynet, il s’est adressé à l’actuel chef du gouvernement israélien, Naftali Bennett, en réclamant prestement que le bien orthodoxe se trouvant dans le quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, tout près du Saint-Sépulcre, soit vite et bel et bien remis à la Russie. 

Promesse empoisonnée

La promesse d’il y a deux ans, émanant de Benjamin Netanyahu s’inscrivait dans le cadre d’une série de gestes plus ou moins formels, destinés à aider à la libération de Naama Issachar, une Israélienne détenue dans une prison russe pour trafic de drogue. Peu de temps après la décision de l’ex-Premier ministre, le commissaire israélien au registre foncier avait inscrit le gouvernement russe comme propriétaire de l’église.

La Fédération de Russie ayant été reconnue par les organismes internationaux et par l’Etat d’Israël comme l’« État successeur » de l’Empire russe, il en résultait que la propriété ne devait pas être enregistrée au nom d’organisations représentant le gouvernement impérial russe, qui de fait n’existe plus.

Mais en mars dernier, un juge du tribunal de district de Jérusalem a gelé le transfert de propriété au gouvernement russe, après que la Société impériale orthodoxe de Palestine, hors du contrôle du Kremlin et qui possédait l’ensemble encore jusqu’à 2020, a levé de nombreuses objections à ce transfert de propriété.

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Le tribunal du district de Jérusalem a par ailleurs renvoyé l’affaire au gouvernement israélien, statuant que puisque Benjamin Netanyahu avait désigné dans une ordonnance la « Cour d’Alexandre » comme un « lieu saint », le seul organe capable de décider en la matière était le gouvernement israélien. Ayant pris connaissance de la décision de justice, Poutine s’est empressé d’écrire à Naftali Bennett, l’actuel Premier ministre d’Israël pour le voir honorer la promesse de son prédécesseur. 

Contexte géopolitique

Une promesse qui, dans le contexte géopolitique du moment, se révèle plutôt empoissonnée. Car il convient de noter que la lettre de Poutine n’est pas arrivée à l’improviste mais à un moment tendu où la Russie a exprimé son vif mécontentement après qu’Israël, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Yair Lapid, a condamné le massacre de civils dans la ville ukrainienne de Bucha et soutenu la suspension de Moscou du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies.

Des prises de position nouvelles après la neutralité israélienne affichée les premières semaines de l’invasion russe en Ukraine, pour ne froisser ni l’allié russe en le condamnant, ni l’ami ukrainien à qui il a cependant refusé de fournir des armements. Aussi et pour mémoire, Israël compte près de 1,1 million d’habitants originaires de l’ex-URSS. La plupart ont immigré au début des années 1990. Ils seraient 400 000 russophones et 400 000 ukrainophones.

Cela dit, on sait que depuis 2005, Poutine travaille à récupérer sur les territoires israélien et palestiniens, tous les biens russes acquis pendant le XIXe siècle. C’est à cette époque que fut fondée la première institution russe en Palestine ottomane, la Mission ecclésiastique russe à Jérusalem en 1847, suivie par la Société impériale orthodoxe de Palestine en 1882. Sous le règne d’Alexandre II, la Russie tsariste acquit de très grandes propriétés à Jérusalem et commença à y construire des bâtiments. Dans un document de travail de 1949, la commission de conciliation de l’ONU pour la Palestine a répertorié neuf propriétés à Jérusalem comme appartenant à la Société impériale orthodoxe de Palestine, dont la cour Sergueï et la cour Alexandre, ainsi que des terres et des sites à Gethsémani et sur les pentes du mont des Oliviers.
Lorsque les révolutions de 1917 marquèrent la fin du règne des tsars et la naissance de l’Union soviétique, elles entraînèrent également une scission de l’Église et la création de l’Église orthodoxe russe anticommuniste à l’étranger. L' »Église blanche » des tsars conserva le contrôle des institutions ecclésiastiques en Palestine et à Jérusalem. Tandis que le Patriarcat de Moscou, l' »Église rouge » des gouvernements communistes, récupérait en contrepartie de sa reconnaissance immédiate de l’Etat d’Israël à sa création tous les biens ecclésiastiques russes sur le territoire de l’Etat hébreu.

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Aujourd’hui, le contexte n’aide pas Israël à remettre la propriété à la Russie, d’autant plus à un moment où le Grand Ours est sanctionné par de nombreux pays occidentaux, alliés à Israël. Ainsi, selon les observateurs, le transfert de la propriété de la « Cour Alexandre » risque de causer de sérieux problèmes diplomatiques à Israël qui ne veut pas se mettre à dos la communauté internationale et qui espère encore pouvoir ménager l’Ukraine et la Russie.

Tout est restant conscient d’avoir besoin du soutien tacite de la Russie pour poursuivre ses raids contre les bases iraniennes en Syrie, où Moscou maintient une présence militaire. D’autant plus que le Kremlin n’a pas caché que le sujet était prioritaire dans son agenda et qu’il n’hésiterait pas à user la pression sur le plan diplomatique.

Pour l’heure, des sources israéliennes ont avancé hier qu’Israël s’occupait de l’affaire de la « Cour d’Alexandre », sans donner plus de détails, a rapporté Haaretz.

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