Triste réveil pour les Palestiniens. Journaliste vedette de la chaîne Al Jazeera, Shireen Abu Akleh a été touchée par une balle au niveau de la tête alors qu’elle couvrait les raids de l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine, une ville au nord de la Cisjordanie, mercredi 11 mai au matin. Visage familier de la télévision arabophone, c’est toute une génération qui a grandi en regardant Shireen Abu Akleh couvrir l’actualité de la Palestine depuis 25 ans cette année pour la chaîne qatarie.
Transportée à l’hôpital Ibn Sina de Jénine, les médecins n’ont pu que constater son décès à son arrivée. Le corps de la journaliste, qui portait un gilet pare-balles estampillé « PRESS » ainsi qu’un casque, a ensuite été transporté dans une église de Jénine, et devrait être amené à Jérusalem plus tard ce mercredi.
Se renvoyer la balle
Deux récits s’affrontent sur l’origine de la balle qui a tuée la journaliste en plein exercice de son métier.
« Selon les informations dont nous disposons actuellement, il y a de fortes chances que des Palestiniens qui tiraient imprudemment aient causé la mort attristante de la journaliste », a déclaré le premier ministre Naftali Bennett dans un communiqué renvoyant vers une vidéo, où l’on voit des combattants tirer à l’aveugle et crier : « Ils en ont touché un, ils ont touché un soldat, il est étendu sur le sol ! » Seulement, « aucun soldat n’a été touché, ce qui soulève la possibilité qu’ils aient tiré et touché la journaliste », souligne le communiqué.
This morning, in Jenin, terrorists heard saying: « They’ve hit one, they’ve hit a soldier, he’s laying on the ground »
But no IDF soldier was injured in Jenin
Palestinian terrorists, firing indiscriminately, are likely to have hit Al-Jazeera journalist Shireen Abu Aqla pic.twitter.com/nXNbVJrnkC
— Israel Foreign Ministry (@IsraelMFA) May 11, 2022
Un autre journaliste, Ali Al-Samoudi, blessé lors de ces affrontements, estime au contraire que les tirs proviennent des forces israéliennes. « Nous étions en chemin pour couvrir l’opération de l’armée lorsqu’ils ont ouvert le feu sur nous. (…) Une balle m’a atteint. La seconde balle a touché Shireen », a-t-il déclaré à sa sortie de l’hôpital, ajoutant qu’aucun combattant palestinien n’était présent lorsque les journalistes ont été abattus.
Une version corroborée par d’autres journalistes et photographes présents sur place, dont les témoignages ont été réunis par Samuel Forey, correspondant de Libération à Jérusalem.
صور توثق لحظة إصابة واستشهاد الزميلة #شيرين_أبو_عاقلة برصاص قوات الاحتلال الإسرائيلي pic.twitter.com/x9lf6noD9l
— قناة الجزيرة (@AJArabic) May 11, 2022
Moujahid al-Saadi, journaliste palestinien présent aux côtés de Shireen lors des tirs, raconte dans une vidéo : « Une fois tous les journalistes rassemblés et équipés de gilets et de casques, nous nous sommes révélés aux soldats et nous avons avancé de quelques mètres vers une usine de maçonnerie. Là, il y a eu des coups de feu. J’ai crié qu’on nous tirait dessus. J’ai tourné la tête et j’ai trouvé Shireen au sol. Elle a été touchée sous l’oreille. L’armée était déterminée à nous tuer par des tirs de sniper. Shireen portait son gilet de presse. Ceux qui ont essayé de la secourir ont essuyé des tirs. Elle était clairement visée et nous aussi. »
Des vérifications réalisées par l’ONG Btselem et des journalistes palestiniens montrent la distance séparant l’endroit où a été filmée la séquence diffusée par le gouvernement israélien, et la zone où Shireen a été touchée. Plusieurs centaines de mètres et une intersection séparent les deux points. Rendant peu probable la théorie d’une balle perdue palestinienne.
1- Shereen was hundreds of meters away from the area of clashes.
2- The footage provides no timing, direction of shooting, or precise location, it could have been taken after/before Shereen’s death.
3- Witness accounts are the exact opposite of this claim. https://t.co/Thpwa46fnP pic.twitter.com/dNjjL4SrWa
— Muhammad Shehada (@muhammadshehad2) May 11, 2022
Les forces israéliennes opéraient dans le camp de réfugiés de Jénine et dans plusieurs autres zones de Cisjordanie pour appréhender des « suspects de terrorisme », a déclaré l’armée. Les auteurs des attentats perpétrés dans des villes israéliennes depuis le mois d’avril sont majoritairement issus de cette ville du nord de la Cisjordanie, bastion des factions armées palestiniennes. Toujours selon l’armée, des militants ont ouvert le feu sur les forces israéliennes et leur ont lancé des explosifs, avant que les soldats ne ripostent.
Une journaliste palestinienne chrétienne
Israël a appelé à une enquête conjointe avec l’Autorité palestinienne pour déterminer les circonstances de la mort de la journaliste. Enquête que l’AP a rejeté : « Le criminel ne peut pas enquêter sur ses propres crimes », a déclaré un porte-parole du gouvernement à la radio Ashams.
Palestinienne chrétienne âgée de 51 ans, Shireen Abu Akleh est née à Jérusalem et à effectué une partie de sa scolarité à l’école des Sœurs du Rosaire à Beit Hanina. Diplômée de l’université de Yarmouk en Jordanie, la journaliste a travaillé à La Voix de la Palestine et Radio Monte-Carlo, avant de rejoindre la chaîne Al-Jazeera en 1997, où elle s’est fait connaître pour ses reportages sur le conflit israélo-palestinien.
Dans une interview donnée il y a quelque temps, alors que le journaliste lui demandait si elle craignait les tirs israéliens, Shireen a répondu : « Bien sûr que j’ai peur. Mais à certains moments on oublie la peur. On ne se jette pas dans la mort quand on est sur le terrain. Je pense surtout à comment protéger mon équipe des balles israéliennes. »