Chez les chrétiens de Terre Sainte, Noël se fête à trois dates différentes : 25 décembre, 7 janvier et 18 janvier. Pendant l’Avent, Terre Sainte Magazine vous invite à comprendre la disparité de ces dates et découvrir comment se célèbrent ces autres Noël dans les Églises orientales à Bethléem. Les articles sont extraits du dossier du numéro 664 (Novembre-Décembre 2019).
TSM : Quel sens cela a-t-il pour vous de célébrer Noël à Bethléem ?
Père Samuel Aghoyan : La Terre sainte est le berceau de la chrétienté, là où le Christ est né, mort et ressuscité. Beaucoup de pèlerins en ont entendu parler depuis toujours, en rêvent depuis 20 ans, mais n’ont jamais eu l’occasion de s’y rendre avant ce jour de Noël. Vivre cette fête à Bethléem, au sein de la communauté arménienne, est donc quelque chose de vraiment unique pour chaque chrétien, arménien ou non.
Quelles sont les spécificités de la fête de Noël chez les arméniens ? Avez-vous des rites particuliers ?
Au premier abord, les cérémonies de Noël au sein des Églises de Terre Sainte sont plus ou moins les mêmes, excepté le fait que chaque communauté célèbre dans sa propre langue. Mais la communauté arménienne, à la grande différence des autres, fête Noël le 18 janvier et célèbre le même jour la naissance du Christ, son baptême et l’Épiphanie. C’était l’usage chez les premiers chrétiens et jusqu’au IVe siècle époque à laquelle les autres confessions chrétiennes ont distingué les fêtes.
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Quant à nous arméniens nous avons perpétué cette tradition antique si bien que nous célébrons tout ensemble, les 5 et 6 janvier du calendrier julien, soit le 18 et 19 du calendrier grégorien et donc deux semaines après toutes les autres communautés de Terre Sainte. Pour les rites, je dois dire que la musique est très importante pour nous. La communauté arménienne est réputée pour sa chorale et ses chants. Je n’aime pas beaucoup l’orgue que les catholiques jouent pendant leurs célébrations… c’est trop bruyant (rires) ! C’est bien plus joli au naturel, a capella !
Combien de célébrations avez-vous le 18 janvier, à Bethléem ?
Tout dépend du temps que nous avons, mais en général, trois. Nous commençons par une procession précédée des scouts, qui mène jusqu’à la place de la crèche et de là, sans les scouts, à la basilique de la Nativité. La première liturgie débute vers 14h, à l’autel au-dessus de l’endroit où le Christ est né, au-dessus de la grotte de la Nativité. Nous avons ensuite deux liturgies, le soir et pendant la nuit, à notre autel dans le transept nord de la basilique. Elles se finissent aux alentours de 6h du matin le 19 janvier !
Toutes vos liturgies sont-elles en arménien ?
En arménien classique, oui. Le vocabulaire est le même que l’arménien parlé, mais la grammaire, elle, est différente. J’avoue que c’est embêtant aujourd’hui pour les jeunes de notre communauté : même si nous avons des traductions, ils se plaignent de ne pas pouvoir comprendre, ni suivre la liturgie. Je sais que c’est un problème, mais l’arménien classique a été utilisé depuis toujours, depuis les Églises primitives. Si nous le supprimions, ce serait une grande perte pour l’Église. Mais oui, notre communauté souffre un peu de ne pas le comprendre.
Lors de la messe de minuit, les catholiques amènent à la crèche une statue de l’enfant Jésus. Avez-vous la même tradition ?
Non… les arméniens n’utilisent jamais de statue. Mais pour marquer le baptême du Christ, nous utilisons une croix, que nous plongeons dans l’eau bénie. La croix est immergée puis sortie de l’eau, symbolisant le baptême de Jésus. Nous chantons en même temps les cantiques de la bénédiction de l’eau, Ov Zarmanali et Aïssor tzaïn haïragan (« de la voix du Père »).
Rencontrez-vous des représentants de l’Autorité palestinienne à l’occasion ?
Oh oui, Il y a un temps prévu pour recevoir les vœux des dignitaires présents, qui sont aussi invités à participer à nos célébrations. Ils viennent généralement vers minuit, lorsque le patriarche arménien prononce son message dans la grotte. C’est une coutume acceptée des deux côtés dans ce pays, par les chrétiens et les musulmans.
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Mais surtout nous avons des chrétiens locaux qui se joignent à nous. Sur le millier d’arméniens qui vivent à Jérusalem nombreuses sont les familles qui nous accompagnent. Mais aussi de nombreux pèlerins du monde entier viennent en pèlerinage à cette occasion.
Quelles sont vos relations avec les autres communautés ? Rencontrez-vous les clergés des autres Églises chrétiennes ?
Oui bien sûr que nous nous rencontrons, mais jamais de manière très détendue (rires). Nous avons deux rencontres formelles pendant l’année, à Noël et à Pâques. À Noël, nous allons tous les uns chez les autres pour échanger nos vœux. Les catholiques remplissent tout le hall du monastère ici, je n’ai plus aucun endroit où m’asseoir (rires). Mais j’adore ça !
Vous savez, toute les célébrations religieuses doivent être une occasion de nous édifier. Les chrétiens [de Terre Sainte] devraient être capables de se rencontrer dans l’harmonie, de s’accepter mutuellement et de mettre de côté les tensions passées qui ont causé les séparations de nos Églises. Malheureusement nous continuons de répéter les mêmes erreurs et ne vivons pas pleinement en frères et sœurs du Christ… Nous devons passer du temps ensemble, nous éduquer à cela tous ensemble, et non pas séparément. Mais l’avantage de Noël, ici, c’est qu’il est célébré trois fois. Donc si vous manquez l’occasion d’aller donner vos vœux à une autre communauté, vous avez encore deux autres occasions de le faire dans les semaines suivantes !
L’Église apostolique arménienne de Jérusalem a été fondée en Arménie en l’an 301. C’est une Église autocéphale et anté-chalcédonienne. Les arméniens ayant été historiquement isolés du reste du monde chrétien, ils n’ont pas toujours suivi les réformes de celui-ci. Ils n’ont notamment pas accepté la réforme qui adopta le 25 décembre comme jour de la Nativité du Christ, pour faire coïncider ce jour avec la fête païenne du solstice d’hiver. Actuellement, le patriarcat de Jérusalem a juridiction sur les communautés d’Israël, de Palestine et de Jordanie.
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