La communauté arménienne de Jérusalem appelle à la démission de son Patriarche, impliqué dans la signature d'un contrat "illégal" autorisant la location pour 99 ans de plusieurs propriétés à un entrepreneur australien juif. Ils y voient une menace quant à l'avenir de leur présence dans la ville Sainte.
Un vieux prêtre défroqué, exfiltré par la police, sous les huées de 200 jeunes arméniens en colère qui scandent « Traître ». C’est une scène peu commune qui s’est déroulée la soirée du 10 mai dans le quartier arménien de Jérusalem. « On a puni l’un des traîtres responsables de la vente de terres arméniennes, explique Hagop Djernazian, un jeune arménien très actif dans la défense de sa communauté. Il devait quitter le couvent sur ordre du Patriarcat, mais la communauté n’a pas voulu que ça se fasse sans qu’il s’explique. On a fermé les portes du couvent. Le Patriarcat a appelé la police pour l’aider à sortir. »
Le prêtre en question est Baret Yeretzian. Gestionnaire immobilier du Patriarcat Arménien de Jérusalem, il a été réduit à l’état laïc, le 6 mai dernier par le Synode du Patriarcat Arménien pour son implication dans la signature d’un bail « illégal » cédant l’usage d’un terrain appelé Goveroun Bardez (Jardin des Vaches).
Hôtel de luxe
Signé en secret en juillet 2021, le contrat prévoit la location du terrain pour 99 ans à Daniel Rubenstein, un entrepreneur juif australien qui compte y construire un hôtel de luxe. Un bail aussi long incite à croire que le Patriarcat ne récupérera jamais cette propriété. L’affaire, révélée en 2021 par le journaliste arméno-américain Harut Sassounian, implique également l’actuel Patriarche Nourhan Manougian, et l’archevêque Sevan Gharibian, le Grand sacristain.
Situé en face du complexe arménien, le long des murailles de la vieille ville, le Jardin des Vaches est exploité depuis mai 2021 par la municipalité de Jérusalem sous la forme d’un parking principalement utilisé par les juifs qui se rendent au Mur Occidental. Si le contrat avec la mairie a été signé en 2020 pour une durée de 10 ans, le sujet de l’utilisation de ce terrain par les juifs fait réagir les Arméniens depuis au moins 2012. Des fouilles préventives réalisées en mars 2021 ont dévoilé les mosaïques d’une magnifique église byzantine.
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A l’époque, Ramzi Khoury, président du Haut comité présidentiel palestinien pour les affaires religieuses avait souligné dans un communiqué le caractère délétère de cette transaction pour le « statut légal et historique de Jérusalem » alors que les « tentatives israéliennes pour judaïser la zone autour de la Porte de Jaffa se multiplient ».
La Jordanie et l’Autorité Palestinienne ne reconnaissent plus le Patriarche Arménien
D’après les informations du journaliste Harut Sassounian, l’accord avec l’entrepreneur australien n’a jamais été soumis au vote du Saint-Synode (8 membres du clergé arménien) ou à celui de l’ensemble de la Fraternité Saint-Jacques du Patriarcat Arménien, ce qui le rendrait illégal. D’autres biens seraient aussi concernés par ces contrats de location : quatre maisons arméniennes, l’emblématique restaurant Boulghourji , les commerces face à l’entrée principale du couvent, et les bâtiments Tourianashen de la rue de Jaffa, à l’extérieur de la vieille ville.
Jeudi 11 mai, le Royaume hachémite de Jordanie et l’Autorité Palestinienne ont lancé une petite bombe en annonçant qu’ils ne reconnaissaient plus Nourhan Manougian comme Patriarche de l’Église arménienne orthodoxe de Jérusalem et du reste de la Terre Sainte. « Il a été demandé au patriarche Manougian d’arrêter toute mesure qui affecterait le statut historique et juridique de ces propriétés, qui changerait leur nature démographique et géographique, mais il n’a répondu à aucune de ces demandes », justifie leur communiqué conjoint.
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Le sujet des biens des Eglises est douloureux pour les chrétiens locaux. Jusqu’alors, ce sont les Grecs-Orthodoxes qui s’étaient illustrés en la matière, avec la vente controversée de deux hôtels à l’organisation de colons juifs Ateret Cohanim. Le Patriarcat Arménien a mis des biens sous location longue durée à Jaffa. Si les différents clergés justifie ces contrats en avançant des arguments de rentes financières nécessaires au maintien des communautés locales, celles-ci n’y voient que de la corruption et une absence de soutien. De quoi creuser le fossé – déjà grand – de la défiance entre l’Eglise et les fidèles.
Présence arménienne menacée
Dans la communauté arménienne, un vent de protestation se lève. Et c’est le patriarche Nourhan Manougian qui en est la cible. « On est en colère parce que le Patriarcat semble penser que défroquer Baret Yeretzian et lui permettre de quitter le pays sans conséquence, est la plus grande punition possible, et qu’il n’y a rien d’autre à faire, s’insurge Hagop Djernazian. On nous dit d’attendre, d’être patients et de les laisser faire leur travail. On a assez attendu. On exige des informations précises sur les biens vendus, le retrait de la signature du Patriarche et sa démission. »
L’Arménie est le premier pays à avoir fait du christianisme sa religion d’Etat, au IVe siècle. Au vu de l’importance de Jérusalem, une forte population arménienne s’y est installée, dès le IVe siècle, faisant de cette communauté la plus ancienne des diasporas arméniennes. Entre 1915 et 1920, quelque 10 000 Arméniens se réfugient à Jérusalem pour fuire le génocide perpétré par les Ottomans contre leur minorité. Le Patriarcat Arménien les prend en charge et transforme son couvent en un véritable quartier. Aujourd’hui, il ne compte qu’un petit millier de résident, abrités derrière de hauts murs.
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« Nous sommes sur le point de disparaître, commentait Manuel Hassassian, ancien ambassadeur Palestinien d’origine arménienne lors d’une interview en décembre 2021. Si ces propriétés sont perdues, c’est l’héritage arménien et la présence de notre communauté qui est menacée, alors que cela fait 16 siècles que nous protégeons les Lieux Saints. Ces ventes divisent le quartier chrétien, le privant de continuité géographique et démographique. Si on perd ça, que nous reste-t-il ? »
Chez les plus jeunes, l’inquiétude quant à l’avenir se fait aussi sentir. « La communauté arménienne ici est confrontée à la période la plus difficile de sa longue histoire. Le manque de leadership, l’absence d’opportunités, d’éducation et de carrière font partie de toutes nos conversations », souligne Hagop Djernazian. Membre de la troupe scoute arménienne, il est aux avant-postes de la rebellion contre le Patriarcat : « C’est aujourd’hui ou jamais qu’il faut agir et mettre fin à une décennie d’indifférence, d’abandon, de vol et de trahison. Sinon, nous perdrons tout et nous serons responsables de n’avoir rien fait.