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Mgr Pizzaballa: « L’Église doit être une présence simple et lumineuse »

Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu
9 juillet 2023
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Mgr Pizzaballa en visite à Gaza ©A. Krogmann

Le Patriarche latin de Jérusalem et désormais nouveau cardinal, Mgr Pierbattista Pizzaballa, est revenu, pour Terre Sainte Magazine, sur l'avenir des chrétiens au Moyen-Orient.


Vous avez vécu durant le premier semestre de l’année deux rencontres qui ont réuni tous les patriarches catholiques du Moyen-Orient.
Ces deux rencontres étaient de natures différentes mais l’une et l’autre ont acté que le Moyen-Orient change. Vous pensez que c’est une évidence ? Quiconque connaît le Moyen-Orient et ses Églises sait qu’il n’en est rien. Dans cette partie du monde, on sait ce qui a été et ce qui devrait être, mais on laisse rarement place à ce qui est. Reconnaître la réalité, admettre que nous faisons face à de nouveaux défis qui ne viennent pas seulement de la situation politique ou de l’islam, mais aussi de l’intérieur de l’Église, est une nouveauté et une excellente chose. Il faut maintenant aller de l’avant.

Pouvez-vous nous dire ce qui caractérise ces changements ?
J’en soulignerai trois. En premier le fait que la plupart des Églises ont perdu les deux tiers de leurs membres dans les mouvements migratoires. Ce sont toujours leurs fidèles, mais ils ne vivent plus au Moyen-Orient. C’est un changement énorme qui oblige à repenser toute la structure ecclésiale ici et là-bas.
Ensuite, la situation économique. Nous sommes devenus une Église vraiment pauvre. Cette pauvreté se double d’un amoindrissement de la représentativité politique, comme on le voit au Liban.
Enfin la sécularisation de nos sociétés. La nouvelle génération de chrétiens grandit et se nourrit plus au contact des réseaux sociaux que du catéchisme de nos écoles. De ce fait, la question de la modernité se pose, non seulement sur les questions éthiques et sexuelles, mais sur tout le reste : le début et la fin de la vie, les relations familiales, le rapport à la technologie, l’intelligence artificielle… Tous ces sujets sont devenus brûlants. En tant qu’institutions ecclésiales, nous devons en tenir compte. Mais il faut aussi réformer notre façon de penser.

↗ Joie de se retrouver Le patriarche aime aller à la rencontre des fidèles du diocèse, lesquels lui témoignent leur joie de l’accueillir.

 

Comment réformer la façon de penser de l’Église ?
Le synode donne quelques pistes. Tout d’abord l’écoute et aussi une plus grande participation des fidèles. On ne peut pas avoir de nouvelles idées si on ne laisse pas les autres parler et prendre part à la discussion. Nous devons réfléchir sur le rôle des femmes. Pas seulement parce que, sans elles nos églises sont vides, mais parce que leurs attentes ont changé. Et nous devons l’entendre. Nous devons prendre la mesure de notre cléricalisme et du fait que les fidèles attendent une autre relation avec l’Église. Mais le plus important, c’est que nous devons revenir à l’essentiel. Nous sommes tellement préoccupés par les besoins matériels que nous avons oublié que nous sommes une Église pour Dieu. La première réponse que nous devons donner, face à la modernité, c’est Dieu. Non pas un Dieu intouchable, mais Dieu qui a quelque chose à nous dire pour le temps où nous sommes.

Certains annoncent la mort du christianisme au Moyen-Orient. Vous dites, au contraire, qu’il faut aller de l’avant. Où trouvez-vous des raisons d’espérer ?
L’espérance est fille de la foi.
Si vous n’avez pas la foi, vous n’avez rien à conserver. Vous n’avez rien à construire. Avoir foi en Dieu, c’est avoir foi en l’avenir, en la vie. On entend ce même discours en Occident, le christianisme est mort, l’Église est finie, il n’y a plus de vocations, on est de moins en moins nombreux, nous n’avons plus de pouvoir sur la société… Nous identifions le christianisme à la structure de l’Église. Mais le christianisme ce n’est pas cela. L’Église et ses structures font partie de la vie du chrétien, mais ce n’est pas le christianisme. Le christianisme, c’est Jésus-Christ, son évangile, la communauté qui l’aime et veut le suivre. Et cela, ce n’est pas fini. Tant qu’il y aura quelqu’un pour donner sa vie pour les autres au nom de Jésus (et j’en rencontre partout), le christianisme ne mourra pas. Oui la structure est ébranlée, oui le poids dans la société n’est plus le même. À nous de repenser notre présence et trouver un nouvel équilibre. Et surtout, nous ne devons pas avoir peur de ces défis. Ils sont une chance.

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Vous parcourez les différentes réalités du diocèse, qu’est-ce que les gens vous demandent ?
Cela varie d’un endroit à l’autre. Mais avant tout, je constate qu’ils ont besoin d’une présence. Ils sont heureux de m’accueillir et de voir que je reste sur place. Le morcellement du territoire, comme la diminution du nombre des fidèles, engendrent un sentiment de solitude. Une communauté aussi peut se sentir seule, perdue. C’est pourquoi montrer de la proximité est si important.
Quant aux demandes, bien sûr, ce sont des choses pratiques. L’église ici, l’école là… mais les personnes que je rencontre attendent surtout une parole qui ouvre des perspectives. “Nous sommes ici, au cœur de tensions économiques et politiques, comment faire pour rester ? Et si nous restons, ce sera pour faire quoi ?” Ce sont surtout les jeunes qui interrogent et cherchent des raisons de rester.

En même temps qu’ils attendent de l’Église des réponses, certains fidèles s’en détachent et parlent d’un trop grand fossé entre eux et les prêtres. Les prêtres le réalisent-ils ?
Certains oui, d’autres non. Nous avons parlé des bouleversements sociétaux. Les prêtres ne sont pas tous armés pour y faire face. Je les vois très dévoués à leur ministère et à leurs communautés, mais ils ont le droit, eux aussi, d’être un peu perdus devant les changements, si rapides, et ce qu’ils demandent d’adaptation. C’est le cas aussi de certains religieux. À nous de les accompagner.

En attendant des gens quittent l’Église…
Alors nous irons à eux. Ce dont nous avons besoin c’est de meneurs, de témoins, de figure de foi.

Les jeunes adultes interpellent l’Église, comment envisagez-vous de leur répondre ?
Nous devons être nous-mêmes. Quand les jeunes nous demandent les moyens économiques et sociaux de rester, nous ne sommes pas en mesure de répondre à toutes les attentes. L’Église en Palestine est le troisième employeur après l’Autorité palestinienne et l’ONU, pour autant il n’est pas réaliste de croire que nous pouvons donner des opportunités d’emploi ou des logements à tout le monde. Nous devons être conscients de nos limites, et les jeunes aussi doivent réaliser que l’Église ne résout pas tout.
Ce que l’Église peut faire en revanche c’est être un lieu où la vie circule. Elle doit être une présence simple et lumineuse. Sa valeur ajoutée, c’est la foi. C’est son enracinement dans cette terre. Le seul moyen pour que les jeunes restent, c’est qu’ils s’enracinent et s’engagent.

Comment l’Église peut-elle les inciter à s’engager ?
L’engagement naît du désir, du rêve, d’un projet qui vous tient à cœur. Pour donner corps à cela, pour la foi dont la communauté témoigne en dépit des difficultés, nous avons la foi, l’espoir, nous avons des raisons de vivre. On ne s’engage pas pour avoir une maison ou un emploi. Bien sûr, cela aide et Dieu sait à quel point nous y sommes attentifs, mais encore une fois, ce n’est pas suffisant. Il faut un ancrage dans la foi.

↗ Gaza, une consolation Le patriarche Pizzaballa apprécie particulièrement les visites à Gaza pour la foi que la communauté témoigne en dépit des difficultés qu’elle rencontre.

 

Justement, vous estimez que les écoles chrétiennes ne remplissent pas complètement leur rôle dans l’éducation de la foi…
Le catéchisme n’a jamais converti personne. Le catéchisme est essentiel. Il sert à donner un cadre, à ordonner une expérience de foi. Mais le catéchisme doit être un lieu qui nous conduit vers la foi, et non pas une leçon à connaître par cœur. Nous avons perdu la notion de transmission de la foi. Elle ne se fait plus en famille, ou rarement. Il n’en est que plus important que les catéchistes soient des chrétiens engagés. Si un prof de caté de nos écoles ne pratique pas, cela n’a pas de sens. Car la foi ne s’apprend pas, elle est reçue. Mais elle doit être aussi instruite, particulièrement dans cette région du monde ou le fait religieux est partout présent, où la religion joue un rôle public, et où comme minorité, nous devons répondre de notre foi et expliquer notre religion. On ne sait bien et ne retient que ce qui nous tient à cœur. Encore faut-il avoir rencontré des passeurs de foi.

Précisément, vous êtes très attaché à la formation des adultes. Vous parlez de créer de nouveaux chemins d’expérience de la foi
Il y en a déjà. Je suis récemment allé à Beit Sahour remettre un certificat à plus de 60 personnes qui, tout au long de l’année, ont étudié les livres sapientiaux de la Bible. Nous travaillons à l’ouverture, cette année, d’un centre d’études bibliques et théologiques en arabe pour les laïcs. Nous en ouvrirons un aussi à Haïfa. Nous ne pouvons pas nous plaindre qu’il n’y ait pas de formation si nous ne nous dotons pas de lieux où étudier. Nous ouvrirons également cette année en Palestine, dans le nord, et à Jérusalem plus tard, un bureau pour les familles qui aura deux objectifs. Le premier, accompagner les familles qui rencontrent des problèmes, et offrir un lieu de formation tout au long de la vie familiale. La réponse des fidèles est enthousiaste. Nous sommes très touchés de voir le nombre de chrétiens qui veulent s’engager, qui se proposent comme psychologue, travailleur social etc.
Pour toutes sortes de raisons, le tissu familial a été très éprouvé ces dernières années. Et si l’Église sait prendre soin de la famille, la bonne santé spirituelle des familles bénéficiera à la vie de l’Église.

Béatitude, votre diocèse attire le monde entier. Qu’attendez-vous des pèlerins et de l’Église universelle ?
Tout d’abord, leur présence fait partie de notre identité. Nous avons les lieux saints pour eux en quelque sorte et leur présence témoigne de l’expérience de la Pentecôte. J’aimerais bien qu’ils trouvent le moyen de sentir un peu la vie de la communauté locale, en se joignant à la messe dominicale d’une paroisse par exemple.
Par ailleurs, la présence des pèlerins est également importante car elle n’est pas de nature politique et grâce à cela, elle aide à apaiser une situation politique tendue

Que pouvez-vous apporter au monde ?
Notre expérience de l’œcuménisme par exemple. L’amour entre les chrétiens de différentes Églises est quelque chose de magnifique et d’unique ici. On ne trouve rien de tel ailleurs. La Terre Sainte est un laboratoire du dialogue concret et quotidien.
Dans un autre domaine, je dirai que ce dont nous pouvons témoigner, ce que nous apprenons et expérimentons tous les jours, c’est que le fait d’être en minorité n’est pas un drame. Certaines Églises dans le monde découvrent ces réalités. Nous en vivons de longue date et constatons que cela nous pousse à d’autres formes de témoignages.
On nous renvoie souvent à notre petit nombre, à nos difficultés, à nos fragilités mais nous sommes des Églises tournées vers les autres. Tout le travail réalisé dans nos écoles, tous les soins apportés aux malades, aux personnes en situation de handicap, aux enfants sont un témoignage quotidien de notre foi en Dieu et en l’homme.
Bien sûr que cela coûte en argent et en énergie mais ce dont cela témoigne vaut tous les efforts. Nous sommes une Église proche des gens, de tous, relativement rodés à la coexistence entre confessions et rites chrétiens mais aussi avec les juifs et les musulmans.
Vraiment, être une minorité sans pouvoir n’est pas un drame, c’est même une belle façon d’être chrétien. C’est vivifiant.♦

1. La conférence du patriarche, S.B. Pizzaballa, est disponible en français sur : www.lpj.org/fr/latin-patriarch/rooted-in-hope-all-the-speakers-texts

 

Dernière mise à jour: 21/01/2024 14:44

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