Le samedi 30 septembre, le patriarche latin de Jérusalem a été intronisé par le pape François au sein du collège des cardinaux, avec vingt autres ecclésiastiques de diverses régions du monde. Dans l'homélie qu'il a donnée lors de la messe célébrée le lendemain à Sainte-marie-Majeure de Rome, sa Béatitude Pierbattista Pizzaballa a médité sur la figure de saint Pierre, donnant le ton de la façon dont il espère vivre ce cardinalat.
(g.s./m-a.b.) – Samedi 30 septembre au matin, le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, est devenu cardinal avec 20 autres ecclésiastiques de différentes parties du monde, sur une place Saint-Pierre, lors du Consistoire public convoqué par le Pape François le 9 juillet dernier.
Le diocèse de Jérusalem avait distribué 700 places, réparties entre les parents et amis de Bergame, la ville et le diocèse d’origine du nouveau cardinal pour la Terre Sainte, une importante délégation de Chevaliers et Dames de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre dont le patriarche est Grand Prieur, et une délégation de quelque 150 à 200 personnes en comptant les nombreux prêtres, venues des pays du diocèse, Chypre, Israël, Jordanie et Palestine.
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Au début de la célébration, le premier de la liste des nouveaux cardinaux – à savoir le préfet du Dicastère pour les évêques du Vatican, Robert Francis Prevost – a adressé, d’une voix émue, des mots d’hommage et de remerciement au pape François au nom des 21 nouveaux cardinaux.
Les 21 nouveaux cardinaux au Pape : « Reconnaissants pour la confiance »
Nous ne citons ici que deux passages : « Nous vous sommes reconnaissants », a dit S.E. Mgr Prevost à François, « parce que, avec cette nomination, vous nous considérez dignes de votre confiance et capables d’exprimer un discernement utile pour le gouvernement complexe de l’Église universelle. À votre exemple, nous nous sentons exhortés à rechercher la radicalité évangélique dans toutes nos actions, à orienter notre pensée vers une lecture de l’Église et du monde que nous voudrions voir avec un regard capable de communiquer l’amour et la miséricorde de Dieu ».
Évoquant la prochaine assemblée du Synode des évêques sur la synodalité, S.E. Mgr Prévost a ajouté : « Être une Église synodale qui sait écouter tout le monde est le moyen non seulement de vivre personnellement la foi, mais aussi de grandir dans une véritable fraternité chrétienne ». Il a rappelé qu’il est nécessaire d’apprendre à écouter comme les saints, comme saint François d’Assise qui « écoutait la voix de Dieu, la voix des pauvres, la voix des malades, la voix de la nature. Et il a fait de tout cela un mode de vie » (cf. Fratelli Tutti n. 48).
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Au-delà de la recherche de nouveaux programmes ou modèles pastoraux, qui sont toujours nécessaires et importants, je crois que nous devons toujours mieux comprendre que l’Église n’est pleinement Église que lorsqu’elle écoute vraiment, lorsqu’elle marche comme un nouveau peuple de Dieu dans sa merveilleuse diversité, redécouvrant continuellement son propre appel baptismal à contribuer à la diffusion de l’Évangile et du Royaume de Dieu ».
Pape François : « Nous avons reçu la foi en dialecte »
Après ce bref discours, le passage des Actes des Apôtres relatant l’épisode de la Pentecôte (2,1-11) a été proclamé. Le pape l’a commenté dans son homélie, en s’adressant aux 21 cardinaux nouvellement nommés : « Cette Parole du Livre des Actes nous fait penser qu’avant d’être “apôtres”, avant d’être prêtres, évêques, cardinaux, nous sommes “Parthes, Mèdes, Élamites” etc. etc. Et cela devrait éveiller en nous l’étonnement et la gratitude pour avoir reçu la grâce de l’Évangile dans nos peuples d’origine respectifs.
Je pense que cela est très important et qu’il ne faut pas l’oublier. Car c’est là, dans l’histoire de notre peuple, je dirais dans la “chair” de notre peuple, que l’Esprit Saint a opéré le miracle de la communication du mystère de Jésus-Christ mort et ressuscité. Et il nous est parvenu “dans nos langues”, sur les lèvres et dans les gestes de nos grands-parents et de nos parents, des catéchistes, des prêtres, des religieux… Chacun de nous peut se souvenir de voix et de visages concrets. La foi est transmise “en dialecte”. N’oubliez pas cela : La foi est transmise “en dialecte”, par les mères et les grands-mères.
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Nous sommes en effet des évangélisateurs dans la mesure où nous gardons dans notre cœur l’émerveillement et la gratitude d’avoir été évangélisés ; ou plutôt d’être évangélisés, parce qu’en réalité il s’agit d’un don toujours actuel qui demande à être continuellement renouvelé dans la mémoire et dans la foi. Des évangélisateurs évangélisés, pas de fonctionnaires.
Frères et sœurs, chers Cardinaux, la Pentecôte – comme le Baptême de chacun d’entre nous – n’appartient pas au passé, c’est un acte créateur que Dieu renouvelle continuellement. L’Église – et chacun de ses membres – vit de ce mystère toujours actuel. Elle ne vit pas de “rente”, non, encore moins d’un patrimoine archéologique aussi précieux et noble soit-il. L’Église, et chaque baptisé, vit dans l’aujourd’hui de Dieu par l’action de l’Esprit Saint. Même l’acte que nous accomplissons ici en ce moment a un sens si nous le vivons dans cette perspective de foi. »
Le pape a ensuite observé que « le Collège des cardinaux est appelé à ressembler à un orchestre symphonique, représentant la symphonicité et la synodalité de l’Église.
Comme un orchestre
« Je dis aussi “synodalité”, non seulement parce que nous sommes à la veille de la première Assemblée du Synode, qui porte précisément sur ce thème, mais aussi parce qu’il me semble que la métaphore de l’orchestre peut bien éclairer le caractère synodal de l’Église. Une symphonie vit de la composition savante des timbres des différents instruments : chacun apporte sa contribution, parfois seul, parfois uni à un autre, parfois avec tout l’ensemble. La diversité est nécessaire, elle est indispensable. Mais chaque son doit concourir au dessein commun. Et pour cela, l’écoute mutuelle est fondamentale : chaque musicien doit écouter les autres. »
Après l’homélie papale et un bref moment de silence, les 20 cardinaux présents (pour des raisons d’âge et de santé, le capucin Luis Pascual Dri, 96 ans, est resté à Buenos Aires) ont quitté leurs sièges à gauche de la loge papale pour se placer devant.
Là, déjà vêtus de pourpre rouge, ils ont à nouveau professé publiquement la foi catholique et juré fidélité et obéissance au pape et à ses successeurs. Chacun s’agenouillea ensuite devant le pape qui, tout en récitant une formule en latin, posait la barrette cardinalice sur la tête du nouveau cardinal, lui passant un anneau d’or à l’annulaire droit et lui remettant, sur un parchemin roulé, le titre, ou diaconie, d’une église romaine.
Le pape encourage
À chaque cardinal, François a adressé quelques mots, parfois interceptés par le micro qui se trouvait à proximité, comme dans le cas du cardinal Pizzaballa – qui a reçu le titre de Saint-Onuphre-du-Janicule – que l’on a entendu dire : « Courage et en avant ! »
Fait cardinal, S.B. Mgr Pizzaballa, avant de rejoindre le rang de ses frères cardinaux se dirigea pour le saluer vers Sa Béatitude le patriarche grec-orthodoxe Theophilos III présent à la cérémonie. Un signe fort de l’amélioration des relations oecuméniques en Terre Sainte.
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A l’issue de la célébration, la plupart des personnes venues pour le cardinal Pizzaballa ont pu aller lui présenter leurs félicitations sous les ors d’un salon pontifical. L’atmosphère était largement à la joie de la fierté ressentie par chacun, de la joie d’avoir vécu cette occasion d’une vie, de la suprise de se retrouver là, à Rome, invités, et finalement des retrouvailles avec Son Eminence le cardinal.
Première messe à Sainte-Marie Majeure
Pour le cardinal Pizzaballa et les nombreuses personnes qui l’ont entouré, un autre moment de joie a été la messe célébrée le matin du dimanche 1er octobre par le patriarche latin dans la basilique Sainte-Marie-Majeure (où sont conservées les reliques du berceau de Bethléem).
Dans son homélie (dont le texte écrit est plus articulé que celui prononcé en italien et traduit en arabe au fur et à mesure), le patriarche a demandé :
« Qu’apporte donc cette élévation au rang de cardinal ? Pourquoi nous en réjouir ? S’agit-il seulement de l’écho ancien d’une cour qui n’existe plus ? N’est-ce qu’une vénérable tradition, certes, mais devenue un peu folklorique, incompréhensible pour beaucoup ? S’agit-il seulement d’un honneur, même légitime, accordé par le Pape et dont il faut être « fier » ? S’il ne s’agissait que de cela, cela n’aurait aucun sens de la « célébrer » dans une liturgie, c’est-à-dire de l’insérer dans le lien mystérieux mais réel de la relation du Seigneur avec nous et de la nôtre avec Lui, de la vivre comme un enracinement profond dans le Corps du Christ qu’est l’Église.
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Je suis convaincu, en effet, que chaque nouveau ministère, chaque service, chaque « titre » que l’Église appelle à porter n’est pas tant une nouvelle marche à gravir, mais une invitation à aller plus loin, voire « jusqu’en bas » (usque ad sanguinis effusionem, dit l’ancienne formule).
Et le cardinalat, pour ceux qui le reçoivent et pour ceux qui y sont liés d’une manière ou d’une autre, dans la mesure où il les unit (incardine) plus étroitement à l’Église de Rome et à son Évêque, nous invite à nous approprier encore davantage le regard de l’Église, nous invite à une nouvelle participation, chacun selon le don reçu, à l' »episkopè », au « regard d’en haut » que l’Évêque de Rome porte sur l’Église universelle, qui est « le regard de Pierre ».
Le regard de Pierre est avant tout un regard expert sur sa propre faiblesse et, par conséquent, sur la miséricorde de Dieu, sur la capacité divine de Dieu ; de faire ressortir son oui dans nos non, de nous attendre patiemment dans nos vacillements de fidélité, de nous accompagner dans nos allées et venues avec un amour fidèle et responsable.
L’enthousiasme impétueux et les craintes de Pierre, son reniement et ses larmes, son amour sincère mais craintif, témoignent d’un regard qui a su découvrir l’amour dans l’échec, la victoire dans la défaite apparente, la confiance dans les contradictions et le reniement. En tant que cardinal, je l’interprète donc comme une invitation à nous placer derrière le regard de celui qui sait regarder la faiblesse de nos frères et sœurs avec un amour intelligent et sincère, de celui qui contemple la complexité de l’histoire avec confiance et espérance. »
Repartir du Christ
« Mes très chers amis, chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, nous sommes sous le regard du Christ et nous l’assumons pour qu’elle devienne nôtre. La célébrer aujourd’hui en tant que cardinal signifie accepter de nous faire disciples pour tout regarder, avec Pierre, à partir du Christ. Avec Pierre, nous sommes appelés à regarder encore et toujours le Christ, à avoir les yeux sur Lui.
En particulier, même dans les inévitables difficultés qui, aujourd’hui plus qu’hier, caractérisent le chemin chrétien, nous nous sentons appelés à choisir le Christ et son Évangile comme la Voie, la Vérité et la Vie de notre pensée et de notre action. En ces temps de grande désorientation et de confusion, l’Église est appelée à repartir du Christ, Maître et Seigneur.
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Son Évangile n’est pas simplement un code d’éthique ou, pire encore, un réservoir dans lequel puiser l’étiquette religieuse et civile. L’Évangile du Christ, l’Évangile qui est le Christ, est une Parole qui promet la vie mais qui demande à être accueillie par une foi qui devient aussi un choix de conversion et de changement social. »
« L’identité chrétienne n’est pas un rempart à défendre »
Approchant de la conclusion, le cardinal Pizzaballa remarqua : « Et même ici – pardonnez-moi – je ne peux pas ne pas penser à Jérusalem et à la Terre Sainte, à mon diocèse, auquel vont en ce moment mon affection et mes remerciements pour les nombreux témoignages d’estime et de proximité reçus ces derniers mois. Cette terre, splendide et dramatique, est un carrefour de cultures, de sensibilités, de religions, de personnes, et dans ce contexte, nous, chrétiens, sommes très peu nombreux et, selon des calculs purement humains, insignifiants.
La tentation de regarder tant de diversité avec le regard de Pierre avant qu’il ne rencontre le regard du Christ, c’est-à-dire avec un regard craintif et peut-être, précisément pour cette raison, agressif et violent, est forte. La politique, les institutions culturelles et sociales, et parfois même les Églises, peuvent choisir la voie de la revendication, du conflit, de l’intérêt, voire de la violence. Occuper des espaces en les retirant à d’autres, perçus comme des rivaux et des ennemis, semble être la seule façon de survivre.
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Mais nous, chrétiens, sommes différents, nous devons être différents, parce que nous sommes appelés à choisir chaque jour d’être les disciples du Christ, et à partir d’aujourd’hui encore plus, jusqu’à la fin, usque ad sanguinis effusionem. Nous devons marcher derrière le Maître, prêts à aller même là où notre sensibilité, parfois offensée à juste titre, ne voudrait pas aller.
La différence chrétienne ne réside pas dans notre force, nos possessions, notre éventuel prestige. La différence chrétienne réside dans nos choix de réconciliation, de dialogue, de service, de proximité, de paix. Pour nous, l’autre n’est pas un rival, c’est un frère. Pour nous, l’identité chrétienne n’est pas un rempart à défendre, mais une maison hospitalière et une porte ouverte sur le mystère de Dieu et de l’Homme où tous sont les bienvenus. Avec le Christ, nous sommes pour tous. »
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