Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

L’abrupt chemin vers la quiétude

Aline Jaccottet
7 mars 2019
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Elle a pardonné au Palestinien qui l’a agressée et œuvre pour le dialogue, un engagement qui n’empêche pas Michal Froman, habitante de la colonie juive de Tekoa en Cisjordanie, de s’interroger profondément sur sa relation à Dieu et au monde.


Perché au sommet d’une colline de Cisjordanie, Tekoa ressemble davantage à un village de vacances qu’à l’idée que l’on peut se faire d’une colonie israélienne. Espaces verts soigneusement entretenus,  maisons coquettes, air pur et paysages à couper le souffle ont attiré des Israéliens de tous horizons. On compte même un certain nombre de religieux « hippies » parmi ses 4000 habitants. Véganisme, yoga, méditation, voyages en Inde : Tekoa passe pour être l’une des implantations les plus « new age » de toute la Cisjordanie.

L’homme à l’origine de cet état d’esprit alternatif, c’est Menahem Froman. Un rabbin, décédé en 2013, qui a œuvré toute sa vie pour que Palestiniens et Israéliens puissent vivre côte à côte en bénéficiant des mêmes droits, au nom de la foi monothéiste. Dans sa vision, peu importait que la terre soit aux mains des Israéliens ou des Palestiniens : ce qui comptait, c’est que les croyants des trois religions monothéistes puissent y vivre en paix. Une approche très marginale dans le monde religieux sioniste israélien, qui lui a cependant valu une grande notoriété et l’amitié de nombreux Palestiniens de la région.

Aujourd’hui, sa belle-fille Michal fait partie de ceux qui portent cet héritage d’ouverture. La trentenaire au look baba cool et à la voix douce, qui se forme à l’architecture et donne des cours de yoga, habite dans un grand appartement à la vue spectaculaire. C’est qu’il faut de la place pour la famille, dont les cinq enfants rentrent de l’école au moment où nous commençons à discuter. Parmi eux, la petite Shaked Ahava, une fillette qui a failli ne jamais voir le jour. En janvier 2016, Michal, enceinte, est poignardée au ventre par un jeune Palestinien. « Lorsque j’ai appris, dans l’ambulance, qu’il avait été blessé par nos forces de sécurité, j’ai d’abord ressenti de la satisfaction, puis j’ai réalisé que perpétuer le cycle de haine et de vengeances ne mènerait nulle part », raconte-t-elle avec un sourire. Michal guérit, donne naissance à sa fille et écrit à son agresseur auquel elle dit avoir pardonné. La jeune femme n’a jamais reçu de réponse, mais cet événement dramatique l’a poussée à s’engager pour le dialogue avec les Palestiniens. « Il faut imaginer un avenir différent, nous n’avons pas le choix », affirme-t-elle.

Au mois de février 2019, la violence du conflit s’est rappelée avec cruauté aux habitants de Tekoa à travers le meurtre de Ori Ansbacher, fille de leur rabbin. La jeune femme de 19 ans a été brutalement tuée par un Palestinien de Hébron. Ce dernier a évoqué des motifs nationalistes pour justifier son crime, qui a suscité beaucoup d’émoi en Israël. Un drame qui n’entame pas l’engagement de Michal pour le dialogue, un engagement mêlé à un attachement profond à la terre, au passé biblique. « Il suffit que je regarde ces collines pour sentir que ma vie a un sens », glisse la jeune femme avant d’étreindre sa fille Shaked Ahava.

 

Que représente Dieu pour vous ? 

Il est Celui dont j’espère qu’il sera toujours dans ma vie et que j’espère rendre heureux en tout. Nous ne détenons qu’une petite part de Lui en nous, mais il faut lui faire de la place. Mais mon idée de Dieu a beaucoup évolué ces dernières années. Récemment, j’entretiens une relation nouvelle avec lui. Ce n’est plus le vieux Dieu que je connaissais, c’est un Dieu nouveau.

Qu’est-ce qui a changé ?

Pendant dix ans, je l’ai imaginé comme une entité qui pouvait m’aider à accomplir quelque chose. J’allais prier dans la nature pour qu’Il m’accorde des enfants, une belle maison… Maintenant qu’Il m’a exaucée, il faut que ma relation avec Lui évolue, mais je ne sais pas vraiment comment.

Parvenez-vous à prier dans ce contexte ?

C’est très difficile. Un de ces derniers shabbat, j’ai été m’isoler dans la montagne pour lui dire merci, sinon j’ai beaucoup de peine à entrer en contact avec Dieu. C’est comme si la religion ne parvenait pas complètement à répondre à mon aspiration d’une vie authentique, en lien avec moi-même. Je suis un peu en crise existentielle. Il faudrait peut-être que je commence à méditer…

Etes-vous parfois en colère contre Dieu ?

Oui, quand je pense à ce conflit avec les Arabes qui s’éternise. Pourquoi une si longue haine entre nos peuples, un tel manque de compréhension de ce que Tu attends de nous ? Montre-nous que quelque chose évolue, donne-nous de l’espoir !

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