Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

« Nous désirons ardemment que nos fidèles restent enracinés dans cette Terre Sainte »

Marie-Armelle Beaulieu
31 janvier 2010
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L’église syriaque catholique, est en nombre de fidèles une des plus petites Eglises orientales. C’est, eu égard à son riche patrimoine, une des plus grandes. Avec les Chaldéens et les Maronites, elle partage le privilège de prier en syriaque, la langue la plus proche de l’araméen du Christ. A l’occasion de sa récente visite en Terre Sainte, le patriarche de tous les syriaques catholiques, Sa Béatitude le Patriarche Mar Joseph III Younan, a bien voulu nous accorder un entretien.


Béatitude, sur quel territoire s’étend votre sollicitude patriarcale ?

Il couvre toute notre Eglise au Moyen orient soit Liban, Syrie, Irak, Turquie, Jordanie, Terre Sainte, Egypte, Ethiopie. Cela c’est notre territoire patriarcal mais j’ai une autre autorité qui est plutôt dépendante du rite et morale sur tous nos fidèles syriaques catholiques dans le monde entier. Donc même si un patriarche oriental catholique n’a pas de juridiction sur ses fidèles en dehors du Moyen Orient, il a une autorité morale sur eux. De plus, les éparchies qui sont créées en dehors du Moyen Orient sont membres de plein droit du synode de l’Eglise. En somme, comme patriarche d’Antioche pour les syriaques catholiques ma sollicitude patriarcale s’étend sur tous les syriaques catholiques du monde.

C’est une lourde responsabilité…

C’est une grande responsabilité effectivement mais comme c’est la volonté du Seigneur et c’est le choix de mes confrères, j’ai accepté et je compte sur la grâce pour pouvoir remplir cette mission. Et puis, je n’ai pas 90 ans… aussi comptant sur la grâce et puisque je jouis aujourd’hui d’une bonne santé je vais faire de mon mieux pour accomplir cette tâche.

Comment se porte votre Eglise syriaque catholique ?

Elle va sûrement… et depuis que j’ai été élu patriarche j’ai essayé d’être en contact avec plusieurs diocèses, avec le clergé et les fidèles. Je me suis rendu jusqu’à présent dans six pays ; quatre au Moyen Orient, Liban, Syrie, Irak, Terre Sainte, c’est-à-dire ici et en Jordanie, et deux dans l’Eglise de la diaspora : Etats Unis et Canada. Et Dieu merci, partout où je suis allé j’ai pu constater qu’il y a un désir commun de s’investir davantage dans notre Eglise, de travailler à la rajeunir et surtout de la rassembler dans la charité vraie afin que – tout en étant une petite Eglise qui n’a pas l’ambition de concurrencer d’autres Eglises beaucoup plus grandes – nous ravivions la communion chrétienne entre tous les membres de notre Eglise et nous nous encouragions mutuellement à être fiers de notre patrimoine syriaque qui remonte à l’ère apostolique.

Ce patrimoine, vous le partagez avec l’Eglise syriaque orthodoxe. Quelles sont vos relations avec cette Eglise sœur et séparée ?

Je peux dire sans exagération qu’elles sont bonnes. J’avais invité sa Sainteté le patriarche Ignace Zakka Ier Iwas, patriarche d’Antioche pour les syriaques orthodoxes du monde, à mon installation, il n’a pas pu venir sa santé ne le lui permettant pas mais il a envoyé des représentants. Je suis allé le visiter au mois d’août dans sa résidence près de Damas. Nous avons eu de nombreux échanges notamment sur les moyens à mettre en œuvre pour aller de l’avant ensemble, tourner la page du passé et regarder ensemble vers l’avenir.

Nous avons envisagé la mise en place de commissions bilatérales inter ecclésiales qui pourraient réfléchir sur l’essentiel de ce qui nous rapproche et travailler ensemble à notre patrimoine commun comme la liturgie et sa réforme, la conservation et diffusion de ce patrimoine notamment en imprimant ensemble des livres. Et nous avons exprimé le désir de renforcer nos liens fraternels. Donc sur le plan liturgique et œcuménique nous allons, si Dieu le veut, faire des pas très significatifs. Notre première rencontre a été vraiment encourageante et j’espère que début 2010 nous pourrons mettre en place et au travail ces commissions.

Béatitude, vous venez d’effectuer une visite patriarcale en Terre Sainte, l’aviez-vous déjà visitée ?

Je suis déjà venu il y a une dizaine d’années, j’étais alors évêque au Canada et aux Etats Unis et j’ai participé avec un groupe d’évêques à un voyage d’étude pour envisager comment organiser les pèlerinages à l’occasion du jubilé de l’an 2000.

Vos impressions en tant que patriarche sont-elles différentes de celles du pèlerin ?

Certaines sont identiques, certaines sont nouvelles. Quand j’étais évêque, j’ai eu des contacts avec quelques fidèles et membres du clergé, l’évêque alors était Mgr Abdel Ahad et déjà à cette époque nous avions pu constater la gravité de la situation de nos chrétiens, des chrétiens de toutes les Eglises mais cette fois, les contacts sont plus profonds, intenses. Je suis venu visiter cette Eglise syriaque catholique et j’ai pu rencontrer les communautés de Bethléem et Jérusalem, j’ai pu écouter leurs soucis, leurs espoirs, découvrir leurs projets pastoraux. J’ai pu également m’entretenir avec les chefs des Eglises tant catholiques qu’orthodoxes et j’espère grâce à tous ces entretiens réussir, une fois rentré, à préciser l’idée que je me fais de la situation des chrétiens de Terre Sainte.

Quelles sont précisément les difficultés que votre communauté en Terre Sainte a exprimées et quel message lui avez-vous adressé ?

Nous avons surtout parlé de la gravité de la situation des familles qui rencontrent beaucoup de difficultés et peinent à rester ici car elles sont harassées de toute part : comme minorité religieuse, du fait des difficiles conditions économiques qui ne les incitent pas à rester en Terre Sainte et aussi les obstacles mis à la circulation entre la Ville Sainte de Jérusalem et les Territoires.

Nos chrétiens attendent de l’Eglise qu’elle intervienne davantage dans le domaine social, de l’aide aux familles, dans le domaine éducatif également et qu’elle fasse davantage entendre sa voix.

Je les ai bien évidemment écoutés avec joie et avec beaucoup d’intérêt parce que nous désirons ardemment que nos fidèles restent enracinés dans cette Terre Sainte. Nous sommes appelés à les servir et pas seulement spirituellement surtout ici en Terre Sainte et dans les pays du Moyen Orient, où les autorités politiques et civiles ne facilitent pas leur vie. C’est alors à l’Eglise d’intervenir et de répondre eux besoins de ses fidèles dans la mesure du possible. Nous sommes ouverts à leurs questions, à leurs attentes et comme pasteur et père spirituel, nous sommes prêts à travailler avec eux pour trouver des solutions afin de les encourager à rester ici et leur permettre de vivre dans la dignité comme des citoyens de plein droit.

Concrètement cela signifie par exemple : comment aider les familles à se loger de façon digne, comment aider les jeunes dans leurs études, comment leur donner les atouts pour leur permettre de trouver un travail. C’est un ensemble d’efforts qu’il faudra déployer avec le vicaire patriarcal, le curé mais aussi un groupe de laïcs qui soient vraiment engagés à remplir leur devoir de paroissiens et paroissiennes sur le plan social et éducatif. Je crois que, même si nous sommes une toute petite communauté, si vraiment nous travaillons ensemble nous pouvons y arriver.

Béatitude le pape Benoît XVI a convoqué un synode pour le Moyen Orient en octobre prochain, qu’en attendez-vous ?

Nous chrétiens du Moyen Orient, surtout les catholiques puisque c’est un synode spécial pour les évêques catholiques, nous mettons beaucoup d’espoir dans ce synode. Tout d’abord pour l’Eglise institutionnelle. C’est-à-dire nous patriarches et évêques, nous devons faire un examen de conscience et réfléchir sur la façon d’accomplir notre mission de bons pasteurs, la façon de répondre aux besoins légitimes de nos fidèles tant sur le plan spirituel que social et éducatif. Nous ne devons pas nous retrancher dans nos tours en pensant que tout va bien. Nos fidèles, de toutes nos Eglises, vivent une situation de minorité et ils ont toutes sortes de difficultés à affronter pour vivre dans la dignité. Dans tout le Moyen Orient, et je dirais malheureusement, le pouvoir politique n’est pas séparé du religieux et donc nous, comme chefs des Eglises, nous avons cette responsabilité de nous mêler des affaires sociales et éducatives de nos fidèles.

Ce synode est un réexamen pour nous, c’est aussi un appel pour nos fidèles, partout au Moyen Orient, à redécouvrir leur mission de témoins dans des sociétés non chrétiennes. C’est aussi un appel pour eux à s’enraciner et à ne pas céder à la tentation de l’émigration. Le monde est devenu plus petit avec la globalisation, les facilités de communication et de transport… Les jeunes générations ne veulent pas mener la même vie que leurs parents qui pour la plupart ont vécu comme des citoyens de deuxième ordre. Nos jeunes sont tentés de partir pour trouver une vie qu’ils espèrent plus digne ailleurs, plus heureuse. A nous de les aider à mieux comprendre la mission du chrétien, disciple du Christ, appelé à témoigner de sa foi même dans un milieu hostile qui est le milieu des sociétés moyennes orientales en général.

Ce synode pourrait aussi être l’occasion de nous adresser aux pays qui ont leur mot à dire sur le plan international, les pays occidentaux, de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord, afin qu’ils fassent plus d’efforts pour que les chrétiens orientaux puissent rester chez eux et qu’ils cessent de voir le Moyen Orient comme un puits d’où ils peuvent tirer du pétrole sans penser aux populations, sans penser aux conséquences notamment sur les populations chrétiennes minoritaires dans ces pays.

Ces pays devraient s’inspirer de ce qu’a dit Benoît XVI sur le « développement humain intégral » qui selon lui passe par la charité dans la vérité. On ne doit pas regarder ces pays du Moyen Orient uniquement comme source du pétrole qu’on doit à tout prix et par tous les moyens garder, dont on doit garantir le bon écoulement et la distribution. Mais les pays occidentaux doivent intervenir auprès de ces pays pour exiger d’eux qu’ils assurent les droits de l’Homme pas seulement en le disant en passant mais aussi à l’heure de passer leurs contrats. Aujourd’hui, ils ferment les yeux sur ce qui se passe dans nos pays regardant les droits civils, je pense par exemple à l’Egypte, à l’Irak.

Ces pays forts économiquement, politiquement, doivent jouer leur rôle et assurer la survie des minorités dans la dignité, la survie des chrétiens qui sont originaires de ces pays, ils ne sont pas venus du dehors, ils ne sont pas venus chercher du travail dans ces pays, ils appartiennent à cette terre depuis des milliers d’années.

Lors de la célébration de Bethléem qui a réuni toutes les Eglises de Terre Sainte, vous avez appelé tout le monde à l’amour dans la justice. C’est votre message pour la Terre Sainte ?

Oui je suis tout à fait convaincu que la paix ne sera rétablie que si elle est basée sur la justice. L’amour n’est pas compris de la même façon dans toutes les religions abrahamiques. Les juifs et les musulmans ne comprennent pas la charité comme nous la comprenons mais la justice dans son sens biblique, comme la justice telle que mentionnée dans le Coran, doit être la base de la paix. Cela veut dire donner à chacun ses droits. On ne peut pas le faire sans quelques compromis mais au moins dans le respect de chaque personne, de ses particularités et de son identité, de son humanité. Maintenant, comment cela va se concrétiser… cela je ne sais vraiment pas.

Ces deux frères ennemis ne veulent pas descendre l’un vers l’autre et regarder leurs points d’accord. Ils comprennent la religion matériellement, et d’une façon tellement liée à la terre – c’est-à-dire au territoire – qu’ils sont bloqués. A mon avis, ils ont besoin d’être aidés par la communauté internationale. Mais une communauté internationale désintéressée, or tant qu’elle voit son profit dans le conflit, alors il se poursuivra. En revanche si cette communauté internationale veut vraiment résoudre ce conflit, elle peut le faire. Ces frères ennemis ne peuvent se mettre d accord que par l’intervention d’une personne ou d’un facteur plus fort qu’eux afin qu’ils comprennent qu’il est temps de faire des compromis et de résoudre leurs différends ce qui sera très profitable pour les deux dans l’avenir. La force ne pourra pas résoudre le conflit pour toujours. Ils doivent s’accorder dans le dialogue.

Quel est le dernier message de votre visite ?

Un message d’espérance. L’Eglise du Christ a toujours vécu dans l’espoir du Royaume, d’une vie meilleure, elle est toujours dans une marche vers le Royaume ; nous sommes toujours orientés vers une lumière eschatologique donc nous ne devons jamais perdre espoir, nous ne devons jamais avoir peur de ce qui se passe, de ce qui entrave notre vie, d’autant que Jésus a promis qu’il sera toujours avec nous et c’est une raison de plus pour être toujours davantage un peuple d’espérance.


Un patriarche élu

L’Eglise latine nous a habitués aux nominations d’évêques et de patriarches par le Saint Père, le plus souvent sur présentation d’une liste établie par la conférence des évêques (chaque évêque restant libre de présenter un candidat). La liste, établie tous les trois ans pour chaque diocèse, est remise au nonce qui complètera l’enquête.
Dans les Eglises orientales, pour une candidature à l’intérieur du territoire des Églises patriarcales ou archiépiscopales majeures, l’élection d’un patriarche ou d’un archevêque majeur se fait par un synode tenu par les évêques de l’Église concernée. Les candidats potentiels auront préalablement obtenu le consentement du pape, sinon le nouveau nommé devra l’obtenir. Le synode informe ensuite le pontife romain et le nouveau patriarche lui écrit une lettre pour lui demander la communion ecclésiastique. Dans ces Églises, les nominations par le pape font figure d’exception.


Les patriarches d’Antioche aujourd’hui
  • Le titre de Patriarche d’Antioche (aujourd’hui Antakya en Turquie) est porté par cinq patriarches dont trois catholiques. Aucun d’entre eux n’y réside.
  • Sa Béatitude Ignace Joseph III Younan, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient. Il est le chef de l’Église catholique syriaque et réside à Beyrouth au Liban.
  • Sa Sainteté Ignace Zakka Ier Iwas, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient. Il est le chef de l’Église syriaque orthodoxe et réside à Damas en Syrie.
  • Sa Béatitude Mar Nasrallah Boutros Sfeir, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient. Il est le chef de l’Église Maronite et réside à Bkerké au Liban.
  • Sa Béatitude Ignace IV Hazim, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient. Il est le chef de l’Église orthodoxe d’Antioche et réside à Damas.
  • Sa Béatitude Grégoire III Laham, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem des Melkites. Il est le chef de l’Église grecque-catholique melkite et réside à Damas.

Syrien ou syriaque ?

Les deux appellations de chrétien syrien ou syriaque coexistent. Le patriarcat catholique, basé au Liban, a quant à lui tranché, on doit préférer dans tous les cas l’adjectif syriaque à celui de syrien.
Le terme syriaque désigne la nation et la langue des Araméens après que ceux-ci se furent convertis au christianisme au IIIe siècle.
Le terme syrien, dans son acceptation plus large, désignait les habitants de la province romaine de Syrie (sensiblement plus étendue que la Syrie actuelle elle recouvrait toute la Palestine, le Liban actuel etc.).
G.S.


 

 

 

Dernière mise à jour: 18/11/2023 19:24

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