Depuis plus de deux ans, des échafaudages masquent les murs intérieurs de la basilique de la Nativité à Bethléem. Quand ils seront démontés, ils révéleront le résultat des travaux de restauration. Terre Sainte Magazine a confié sa plume et un casque de chantier à Claire Bastier pour vous dévoiler la primeur des nouvelles.
Depuis septembre 2013, la basilique de la Nativité n’est plus seulement fréquentée par les touristes, les pèlerins et les habitants de Bethléem venus se recueillir là où l’Enfant Jésus est né. A terre ou perchés sur les échafaudages, couchés, debout ou bien accroupis, casque vissé sur la tête et outils en mains, une petite troupe d’ouvriers italiens et palestiniens s’active quotidiennement dans l’édifice.
Un chantier intégral dont la basilique – reconstruite au VIe siècle sous Justinien – avait bien besoin, n’ayant pas subi la moindre rénovation depuis près de 200 ans. Intempéries, tremblements de terre dont celui de 1834, conflits réguliers dont la dernière Intifada et puis tout simplement l’usure du temps, l’édifice était dans un bien piètre état et menaçait à terme de s’effondrer.
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Le bois de la charpente et ses travées, pour partie de l’époque justinienne, étaient en effet pourris par endroits à cause des infiltrations d’eau ; d’ailleurs, par forte pluie, le pèlerin devait slalomer entre les flaques sur les dalles de la nef obscure de la basilique.
En 2008, son inscription sur la liste des cent sites les plus menacés de l’Observatoire des monuments mondiaux créée par le Fond mondial pour les monuments permet une première prise de conscience. L’Autorité palestinienne considère en effet l’édifice non seulement comme un haut lieu de la chrétienté, mais comme élément patrimonial palestinien.
Priorité à la charpente
Sous l’égide du ministère du Tourisme et des Antiquités et du ministère de l’Administration locale, la municipalité de Bethléem et le Centre pour la préservation du patrimoine culturel nomment un comité consultatif qui élabore d’abord un plan technique de restauration de la toiture, en étroite collaboration avec les confessions latine, grecque orthodoxe et arménienne apostolique, en charge de l’édifice.
Exercice périlleux : tout projet de rénovation fait débat entre elles car il porte atteinte au Statu quo défini par le firman ottoman de 1852. Finalement, en septembre 2010, les trois patriarches signent un accord, en présence de l’Autorité palestinienne, engageant une expertise puis une restauration élargie à l’ensemble de la basilique. Avant le début des travaux, en 2012, elle est d’ailleurs classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
“La priorité a d’abord été mise sur la partie haute car elle est plus difficile d’accès et surtout parce qu’il fallait réparer la charpente”, explique Frère Stéphane, un temps supérieur de la Nativité et toujours responsable des travaux pour la Custodie de Terre Sainte. Contrairement à de nombreuses églises orientales, le toit ici n’est pas à voûte mais à fermes, éléments de la charpente supportant le poids de la toiture.
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Ludovic de Rochechouart décrit en 1461 : “Une structure en bois, construite depuis l’Antiquité qui se détériore de jour en jour, surtout dans le chœur. Les Sarrasins n’autorisent ni les constructions ni les restaurations, et c’est un miracle de l’Enfant né à cet endroit que l’édifice subsiste encore”. La charpente est cependant réparée quelques années plus tard en 1479, à l’initiative des Franciscains, en 1671, puis en 1842 sous l’égide de l’Église grecque orthodoxe.
Au terme d’un appel d’offres international, le chantier contemporain est confié à l’entreprise italienne Piacenti, experte dans la restauration de structures architecturales en bois. Elle envoie une trentaine d’ouvriers, ingénieurs et artisans sur place. En décembre 2013, trente tonnes de poutres en chêne convoyées depuis l’Italie arrivent au port israélien d’Ashdod pour être acheminées à Bethléem. Les poutres d’origine gagnées par la moisissure sont remplacées suivant les techniques employées par les maîtres d’œuvre de Justinien. Après la charpente, c’est le tour des dix-huit fenêtres du haut de la nef, puis du narthex et des portes. Et enfin, celui des mosaïques murales au début de l’année 2015.
Au cœur de l’histoire
Après avoir grimpé de petits escaliers grinçants, baissé la tête pour ne pas se cogner aux poutres basses, aperçu non loin le clocher de Sainte-Catherine à gauche, celui du couvent grec à droite, et de plus près dans la pierre blonde, les impacts de balles rappelant le siège de la basilique en 2002, l’entrée dans la partie haute de la nef principale est un de ces moments rares où le temps est mis entre parenthèses à la vue du paysage qui s’offre au regard.
Au-dessous de l’enchevêtrement complexe des poutres et traverses en cèdre du Liban, chêne d’Anatolie ou pin disposées en étoile, s’aligne sur les murs à vingt mètres du sol, une série de mosaïques murales, grands tableaux de tesselles de pâte de verre colorée, parfois incrustée de nacre, sur fond doré ou argenté : on y reconnaît des figures auréolées, des coupoles d’églises entourées d’arbres et de fleurs, des frises végétales où se cachent angelots et petits animaux.
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Le vert, le bleu et le rouge dominent, rehaussés de nacre, d’or ou d’argent. Quelques mots écrits en grec se lisent çà et là. “Au-dessus des colonnes de la nef est un mur tout couvert et peint de la plus belle et fine mosaïque qu’il est possible de voir, n’étant composée que de petites pierres fines et transparentes comme cristal de toutes les couleurs” racontait déjà le chanoine Jean Doubdan lors d’un pèlerinage en 1661.
Le thème des mosaïques s’organise en trois registres en partant du bas : saint Joseph et la généalogie de Jésus, les conciles œcuméniques ou provinciaux et synodes locaux, et enfin, en haut, une procession d’anges monumentaux de part et d’autres des grandes fenêtres arrondies et dont la tunique blanc nacré brille lorsque la lumière se diffuse sur les tesselles qui la composent. Ils semblent se diriger vers la Grotte de la Nativité. Au pied de l’un d’entre eux, un nom est incrusté, Basile, probable signature d’un des mosaïstes.
Faire des choix
Là, debout, cinq restaurateurs travaillent chacun sur une mosaïque, pinceau ou truelle à la main et palette dans l’autre : l’ambiance est silencieuse car la tâche minutieuse. La première phase de la restauration, terminée en juin 2015, consistait à nettoyer la surface des mosaïques du plâtre qui les recouvraient par endroits et d’en repérer les fragments manquants.
Parfois, pour combler les vides, de la peinture avait été ajoutée par-dessus. Le débat s’est alors axé sur le remplacement ou non des tesselles disparues par de nouvelles petites pièces. “D’en bas, voir le plein, c’est joli, mais d’un point de vue scientifique et historique, ce serait croire que la mosaïque n’a jamais été détériorée à ces endroits” explique l’un des spécialistes. Ils ont finalement décidé de combler les manques avec un enduit sur lequel sont dessinées les lacunes. La deuxième phase consiste en un nettoyage plus minutieux afin de redonner aux tableaux leur éclat d’antan.
En effet, la poussière et les lampes à huile ont assombri les mosaïques. Une tache sombre laissée sur une mosaïque nettoyée permet de se rendre compte du résultat de la restauration. Pour les restaurateurs italiens, travailler sur de telles pièces datant du XIIe siècle est une occasion unique.
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Le nom des mosaïstes, Efrem et Basile, d’origine syrienne, laisse penser qu’elles auraient été composées par des maîtres orientaux à l’époque croisée. Ils se seraient inspirés de la tradition byzantine, comme le signale l’inclinaison des tessons dorés vers le bas. Une technique permettant aux fidèles dans la nef d’admirer les scènes représentées avec d’autant plus de nuances, par le jeu de la lumière.
Elles n’ont cependant subi aucune retouche depuis leur réalisation. A titre de comparaison, celles de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem issues de la même période ont été retravaillées. “C’est tout le paradoxe d’un lieu qui n’a pas été touché, en partie à cause du Statu quo”, résume Frère Stéphane. Ce qui permet aujourd’hui d’admirer des chefs-d’œuvre qui ont tenu malgré tous les chaos climatiques et humains que la basilique a traversés.
La nef devrait être libérée de ses échafaudages et les mosaïques ainsi dévoilées fin 2015. Visiteurs, pèlerins et habitants de Bethléem pourront dès lors lever les yeux au ciel, à l’intérieur de la basilique, pour en découvrir ces merveilles et embrasser ainsi du regard peut-être un avant-goût du paradis. τ
Dernière mise à jour: 19/11/2023 10:57