« Heureux les doux, ils hériteront la terre » (Mat 5, 4). Jésus a fait du don de la terre une béatitude. C’était bien dans sa culture biblique où la terre, ses fruits et son travail ont une part prépondérante, toujours en signe de bénédiction.
Le monde agricole avec ses rythmes, ses symboles, ses termes est très souvent représenté dans la culture biblique de l’Ancien Testament. En commençant par les noms qui ont été pris dans le monde de la nature et donnés à de nombreuses villes : pistachier (Beten, Gn 19,25 et Betonim Gn 13,26) ; maison de la vigne (Beyt Haccherem, Jr 6,1) ; maison du pain (Beyt Lehem, Rt 1,19) ; abricot (Tappuah, Gn 12,17) ; cité des palmes (Iyr Hattemarim, Jg 1,16) ; grenade (Rimmon, Gn 15,32) ; pressoir de la grenade (Gath Rimmon, Gn 19,45) ; Mont des Oliviers (Har Hazzetim, Za 14,4) ; Yhwh sème (Jizreel, Gn 18,19), palmier (Tamar, Ez 47,19) ; vigne de Dieu (Carmel, Gn 15,55).
Après plusieurs décennies d’études nous apprenons à connaître les méthodes employées par les agriculteurs de l’antiquité, et nous avons une meilleure compréhension des termes employés pour les plantes, les semences, les fruits, les légumes, et l’art de l’agriculture en général. Parmi les documents découverts dans les fouilles archéologiques, se trouve le fameux calendrier de Ghezer. Il s’agit d’une inscription découverte il y a un siècle par l’archéologue R.S.A. Macalister. Le calendrier est daté du Xe siècle av. J.-C., c’est-à-dire qu’il est contemporain de l’Ancien Testament (AT). La lecture du texte est surprenante, on y trouve recensée la succession des travaux des champs, en suivant les douze phases de la lune d’une année solaire : Deux lunes pour la récolte des olives ; deux lunes pour l’ensemencement des céréales; deux lunes d’ensemencement pour les légumes et les plantes potagères tardives ; une lune pour le labourage des champs semés de foin ; une lune pour la moisson de l’orge ; une lune pour la moisson du froment et du blé ; deux lunes pour la récolte du raisin ; une lune pour la récolte des fruits d’été. Le terme « lune » est employé dans l’inscription de Ghezer, c’est la mesure du temps avant que ne soit utilisé le terme « mois » introduit en Israël après le VIIIe siècle av. J.-C. La première période ou mois de la récolte, c’est l’automne, comme il advenait dans le calendrier des cananéens. Les israélites n’ont pas importé en Terre Promise de nouvelles plantes à fruits ou des céréales, mais ils ont continué à suivre les traditions locales des cananéens expérimentées durant les siècles passés. Le total des lunes du calendrier de Ghezer est de douze, comme les mois de l’année solaire, c’est ce qui justifie le titre donné à ce document, une pierre calcaire de 11,1 centimètres de long sur 7,2 centimètres de large.
Plusieurs ostraca (tessons de poterie réutilisés dans l’Antiquité comme support d’écriture) trouvés à Lachish, Samarie et Tel Arad mentionnent des contrats d’achat et de vente de produits, en particulier d’huile, de vin et de froment. Ou bien ils comptabilisent les entrées fiscales de l’administration. Des fouilles de sites bibliques proviennent une grande quantité d’objets manufacturés, en particulier des faux, des chars, des charrues, des pioches, des vases, des jarres, des meules, des balances, des poids etc. qui nous permettent d’éclairer les aspects pratiques du travail agricole dans l’antiquité.
Le travail des champs, source d’inspiration biblique
Les auteurs sacrés ne sont pas les premiers à avoir décrit la terre de Canaan. Le général Uni décrit au pharaon Pépi I (2315 av. J.-C.) qu’en Canaan on trouve des figuiers et des vignes. Pour l’égyptien Sinhue (1900 av. J.-C.) en Canaan, il y a plus de vin que d’eau ; et il ajoute que c’est un pays regorgeant de miel, d’oliviers, de froment et d’orge. Après la conquête de Megiddo (1465 av. J.-C.), Tutmosi III rapporta son butin en Égypte. Il fit rédiger une liste pour décrire les fruits de la Vallée d’Esdrelon et les troupeaux grands et petits. Durant d’autres campagnes militaires, le pharaon récolta les fruits de la terre, les foins, l’encens et le vin aromatisé au miel et certains exemplaires de la flore et de la faune de Canaan pour les jardins royaux.
La littérature biblique abonde d’images prises à l’agriculture. Elles sont employées par les auteurs de l’histoire sacrée, les théologiens de l’Alliance, et même par les Prophètes. De cette façon on aboutit à une description idyllique de la Terre Promise en Dt 8,7-9 : « Mais Yahvé ton Dieu te conduit vers un heureux pays, pays de cours d’eau, de sources qui sourdent de l’abîme dans les vallées comme dans les montagnes, pays de froment et d’orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers, pays d’oliviers, d’huile et de miel ». En Dt 26,9 nous lisons le « petit credo » qui était récité à la remise des prémices des champs : « Il nous conduisit en ce lieu et nous donna cette terre, une terre où ruissellent lait et miel. »
Une image significative d’Israël, la vigne du Seigneur, est chantée sur différentes tonalités par les Prophètes et par les Psaumes pour indiquer l’héritage de Dieu (Jr 2,21 ; Ez 17,3-10 ; Os 10,1). Le petit poème d’Is 5,1-8 chante l’amour du Seigneur pour Israël, sa vigne. Le Prophète Jérémie emploie l’image de l’amandier en fleur pour décrire sa vocation (Jr 1,11). Le prophète Amos se vante d’être berger et pinceur de sycomore (Am 7,14). Le jugement divin prend son inspiration des travaux agricoles : pour les impies rien de tel ! Mais ils sont comme la bale qu’emporte le vent (Ps 1,4). Le messianisme et l’eschatologie de l’AT se servent aussi des images agricoles : Ils forgeront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes (Is 2,4 ; Mi 4,4.13 ; Za 3,10).
La terre d’Israël a peu de plaines cultivables et elle s’étend pour la majeure partie sur les montagnes de Galilée, de Samarie et de Judée. C’est pourquoi les israélites ont introduit le système des terrasses pour augmenter les surfaces de terrains cultivables. Et ils ont introduit des méthodes efficaces pour l’irrigation, pour la conservation et la transformation des produits. Le plus grand mérite attribué aux israélites est le soin qu’ils ont eu pour l’entretien des terrains, devenus fertiles grâce à l’apport de fertilisants naturels (fumier, cendres) et d’eau ; et grâce à la rotation des ensemencements et au système de repos du terrain par jachère. Les lois du Lv 19,19 et Dt 22,9 et la sagesse du cultivateur décrit par Is 28, 24-29 semblent suggérer ces moyens pour sauvegarder la terre et ses fruits.
La Bible est riche d’allusions au travail agricole, ou d’images empruntées aux champs pour exprimer un principe sapiential ou une image théologique. En résumé, la terre est source de vie, mais aussi d’inspiration, cf. Samson et le miel (Jg 14,14-18) ; Iotam et les arbres de la forêt (Jg 9,8-15) ; Ézéchiel et la fable de l’aigle (Ez 17,3-10); ils emploient des allégories champêtres pour transmettre un message. Dans l’ancien Israël, même l’art et l’architecture doivent beaucoup à la nature des champs, comme par exemple le motif de la grenade décliné de mille façons (pendentifs, bijoux, monnaies, sceaux) ; et la timorah c’est-à-dire le chapiteau à forme de palme de dattier pour les édifices.
L’agriculture était source de richesse, comme l’on en déduit par exemple de l’histoire de Salomon (1 R 5,25 ; 2 Ch 2,9). Pour payer les cèdres au roi Hiram de Tyr, le roi Salomon a livré vingt mille mesures de froment et d’orge, d’huile et de vin. Le rythme des saisons, avec les travaux d’ensemencement etc. est l’occasion de rédiger un calendrier liturgique : cf. la Pâque célébrée au printemps ; les sept semaines ou Pentecôte qui est aussi appelée la fête des moissons en Ex 23,16 ; la Fête des Tentes célébrée à la fin des récoltes d’automne, appelée aussi fête des récoltes (Ex 23,16).
La vie rurale et la moralité sociale biblique
Le vocabulaire de l’AT est riche de termes liés au calendrier des saisons, parce que chacune a son travail agricole approprié, comme labourer, ensemencer, faucher, moissonner, battre le blé, récolter, vendanger. Les cultures connues au temps de la Bible sont très nombreuses. Tout d’abord les céréales, c’est-à-dire l’orge, le froment et le millet avec lesquels était confectionné le pain. Puis les légumes, c’est-à-dire la fève et la lentille. Et puis les épices comme le cumin (Is 28,25), le coriandre (Ex 16,31 ; Nb 11,7), le lin et le sésame (Is 28, 25). Certaines espèces ne sont pas mentionnées dans l’AT, mais dans les fouilles archéologiques il en a été relevé de nombreuses traces. Parmi celles-ci il y a les pois chiches (peut-être en Is 30,24), les petits pois et le foin grec. En combinant les données de l’AT avec les découvertes archéologiques, il résulte que le blé et l’orge, les fèves et les lentilles étaient les produits les plus cultivés, par contre les épices avaient une attention mineure. Les plantes de grande taille mentionnées dans l’AT sont innombrables, que ce soit les arbres fruitiers ou les plantes ornementales ; celles des jardins, des champs et les plantes sauvages. Parmi les plantes cultivées sont mentionnés la vigne, le figuier, le grenadier, l’olivier, le dattier, le sycomore, le mûrier, l’amandier, le pistachier, le noyer.
Certains sujets de la vie sociale comme la défense du pauvre, de l’étranger, de l’orphelin et de l’esclave, sont recueillis dans un code moral basé sur le travail des champs. Le pauvre pouvait se nourrir avec les restes de la moisson et de la vendange, et bénéficier de la récolte de la septième année et du jubilé, cf. Ex 23,11 ; Lv 19,9-10; 23,22; 25,6; Dt 24,19-21; 26,12 etc. Et la loi du repos sabbatique valait non seulement pour les hommes mais aussi pour les champs : « Pendant six années tu ensemenceras la terre et tu en engrangeras le produit. Mais la septième année, tu la laisseras en jachère et tu en abandonneras le produit ; les pauvres de ton peuple le mangeront et les bêtes des champs mangeront ce qu’ils auront laissé. Tu feras de même pour ta vigne et pour ton olivier » (Ex 23,11).
Jean Baptiste se nourrissait de caroubes. Un autre fruit souvent cité dans l’AT est tappuah, que l’on traduit le plus souvent par « pomme ». Mais il est plus correct d’identifier ce fruit à l’abricot ou au mishmish étant donné que la pomme n’était pas connue dans l’Ancien Israël. Ce fruit est fameux pour sa saveur et son parfum, voir Pr 25,11 ; Ct 2,3.5; 7,9; 8,5; Jl 1,12 etc.
Étrangement le caroubier, qui est une plante très commune encore aujourd’hui dans les terres bibliques, n’est jamais mentionné dans l’AT. Si ce n’est en Qo 12,5 où l’on peut lire « caroube » au lieu de « locuste », comme nous trouvons dans la version grecque des Septantes. Cette annotation concerne la lecture correcte de Mc 1,6 et Mt 3,4 c’est-à-dire les textes où nous trouvons Jean Baptiste qui demeure dans le désert. Il est peut-être préférable de corriger par : « Jean baptiste se nourrissait de caroubes », laissant la version traditionnelle de « locustes ». De même, il semble étrange que l’AT ne connaisse que peu de légumes. Les jardins potagers cultivés sont parfois mentionnés ; cf. Nabot de Yizréel avait une vigne, mais le roi Achab voulait la transformer en jardin potager pour y cultiver des légumes (1 R 21,2). Ces légumes sont probablement la pastèque, le melon, le poireau, l’oignon et l’ail. Cette liste de légumes est mentionnée en Nb 11,5, dans un texte où il est dit que les israélites regrettent les « oignons d’Égypte ».
Enfin, il faut mentionner les maladies qui frappent les plantes et les fruits. La sécheresse et la famine conduisaient à la destruction complète des récoltes. D’autres calamités naturelles sont mentionnées comme les insectes ravageurs, par exemple les locustes et les sauterelles (1 R 8,37) ; les vers et les larves qui dévoraient les plantes, le froment et les vignes (Jon 4,7) ; les souris et autres espèces de rongeurs (1 Ps 6,5) ; les chauves-souris qui mangeaient les grappes de raisin (Is 2,20). En absence de soins avec des anticryptogamiques (fongicides) découverts seulement à l’époque moderne, les maladies qui pouvaient frapper les champs et les fruits de la terre étaient nombreuses. Le charbon ou la rouille des plantes (Dt 28,22 ; 1 R 8,37 ; Am 4,9) et la moisissure (Gn 41,6). On pensait alors que ces maladies étaient provoquées par le vent oriental ou le sirocco. L’orge peut être étouffé par les herbes fétides (Jb 31,40), comme le raisin pouvait être sauvage donc immangeable (Is 5, 2.4).
Mais les pires ennemis des champs et de la vigne étaient les mauvaises herbes, plusieurs d’entre elles n’ont pas encore été identifiées par les botanistes modernes, mais il semble que ce sont des herbes épineuses comme les ronces, les épines, les chardons, les prunelliers, les orties, cf. Gn 3,18 ; Nb 33,55 ; Jg 8,7 ; Is 7,19.23-25 ; 34,13 ; 55,13 ; Mi 7,4 ; Jr 4,3 ;12,13 ; Os 9,6 ; Ez 2,6 ; Pr 15,19. Les mauvaises herbes plus communes présentes encore aujourd’hui dans les champs sont la Caephalaria syriaca, le Galium tricorne, la Scorpirius subvillosa, le Lolium temulentum, la Capparis spinosa, et l’Echium judaeum.
Dernière mise à jour: 19/11/2023 17:50