Après l’Église syriaque catholique, (La Terre Sainte Janvier Février 2010) nous poursuivons notre découverte des Églises orientales de Terre Sainte au cours d’un entretien avec Mgr Paul Nabil Sayah, archévêque de l’Église maronite de Terre Sainte et exarque à Jérusalem, en Palestine et en Jordanie.
Mgr Sayah, vous êtes évêque de la communauté maronite de Terre Sainte. Or quand on pense maronite, on pense libanais.
Quand vous dites maronite vous dites Liban parce que, si les Maronites sont venus d’Antioche vers le Liban au VIIe siècle, après les invasions arabes, c’est du Liban qu’ils se sont dispersés dans le monde entier et avec eux leur Église. Ce mouvement migratoire, qui a toujours existé, s’est amplifié au XIXe siècle. Ensuite chacune des guerres a été accompagnée d’un nouveau flux migratoire. S’il n’y a pas besoin d’être Libanais pour être Maronite, on peut considérer que l’immense majorité des Maronites dans le monde est d’origine libanaise.
Aujourd’hui, l’Église maronite, ou ceux qui sont de descendance Maronite dans le monde sont estimés à environ une quinzaine de millions. Elle compte 42 évêques au premier rang desquels son patriarche, Sa Béatitude Mgr Nasrallah Boutros Sfeir dont le siège est à Bkerké au Liban. En dehors du Liban il y a 14 diocèses, alors qu’au Liban il y en a 13. En réalité de nos jours, il y a beaucoup plus de Maronites en dehors qu’au Liban même. Nous avons des évêques un peu partout dans le monde, par exemple nous en avons deux en Amérique, un au Canada, en Australie, au Mexique, en Égypte, à Chypre, en Terre Sainte etc. Nous avons aussi un Visiteur apostolique en Europe.
Quelles sont les spécificités de votre Église ?
Nous sommes des syriaques antiochiens et nous sommes une Église d’origine monastique.
Nous sommes la seule Église, à ma connaissance, à avoir été fondée par un individu, un moine, saint Maron (ou Maroun en arabe). Nous nous inscrivons dans la tradition syriaque et nous partageons une partie des hymnes avec les autres Églises de tradition syriaque. Notre liturgie est célébrée principalement dans la langue du pays, mais la langue syriaque est maintenue dans certaines parties de la liturgie et en particulier les paroles de l’Institution sont récitées ou chantées en syriaque.
Ce qui nous caractérise aussi c’est que l’Église maronite a été, en quelque sorte, une Église Nation. Depuis le VIIe siècle, le peuple Maronite s’est organisé avec une certaine autonomie au cœur de laquelle le patriarche occupait une position à la fois religieuse et politique. C’est ainsi qu’en 1919, les communautés libanaises ont délégué le patriarche Elias Hoayek au congrès de Versailles pour réclamer l’indépendance du Liban. Cela a été un facteur très important dans le développement de la communauté maronite au plan national. C’est pour cela qu’aujourd’hui encore le Patriarche prend une part active dans le dialogue politique au Liban et dans la région.
Ce qui a fait également la force des Maronites dans la region à travers l’histoire c’est l’éducation à laquelle notre Église a toujours été attentive au point qu’elle ait inscrit l’éducation dans les exhortations du synode qu’elle tint au XVIIe siècle. Depuis le XVIe siècle également, et notamment avec la création du Collège maronite de Rome, nous avons eu des contacts assidus avec l’Occident nous donnant une ouverture et la possibilité d’établir des passerelles entre les deux cultures orientale et occidentale. Autrefois on disait de quelqu’un bien éduqué « docte comme un maronite ».
Vous nous avez parlé des mouvements migratoires des maronites. Cette émigration est-elle toujours d’actualité pour les maronites du Moyen Orient ?
Dans cette partie du monde la situation des chrétiens n’est pas des plus faciles. Au Liban, ce qui a poussé à l’émigration c’est surtout la guerre. Les gens émigrent parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité ou parce que l’avenir n’est pas clair, ou la situation économique n’est pas bonne.
Il ne reste qu’une cinquantaine de familles dans les Territoires palestiniens. En Israël, spécialement en Galilée c’est différent. Les conditions économiques sont beaucoup plus stables. Si bien que la communauté maronite d’Israël augmente en nombre.
Pourtant la communauté maronite de Terre Sainte dans son ensemble a connu des phases de latinisation…
C’est vrai, il y a eu des courants successifs de latinisation de la communauté maronite de Terre Sainte. En fait, tout au début, les Maronites sont venus du Liban et se sont installés en Terre Sainte pour aider la Custodie dans sa mission.
Durant des siècles, nous avons été la seule Église orientale catholique et c’est pour cela que le Saint père, au XIIIe siècle, a écrit aux Maronites pour leur dire « Écoutez, nous avons dorénavant des franciscains en Terre Sainte pour garder les Lieux saints. Ils ne connaissent ni la région ni la langue, voulez-vous bien les aider. » Et les maronites ont répondu à cet appel de Rome. Ainsi, dès que les franciscains s’installaient quelque part, on faisait venir du Liban des familles pour constituer, à côté de la communauté des frères, une communauté chrétienne locale catholique. C’est ainsi par exemple que les familles Sabbah et Bathish sont issues de Maronites venus du Nord Liban, de la famille Yammine et se sont installés à Nazareth.
Mais dans la seconde moitié du XVIIe siècle, certaines custodes ont latinisé les Maronites. Aussi le patriarche maronite s’est-il plaint au pape sous l’impulsion duquel les franciscains s’engagèrent à reconnaître l’autorité du patriarche maronite sur ses fidèles en Terre Sainte. A la restauration du patriarcat latin, il y a eu une nouvelle phase de latinisation.
De nos jours, quand un maronite émigre, ne risque-t-il pas de se latiniser ?
Tant qu’il reste catholique cela nous va, surtout quand il n’y a pas d’église Maronite dans la localité. Notre souci c’est l’oubli de la foi dans la confrontation avec une nouvelle culture et une nouvelle société de consommation. Par ailleurs malgré l’érection de diocèses et paroisses maronites un peu partout dans le monde, nous ne pouvons pas servir tous nos fidèles. Alors celui qui émigre et garde la Foi va aller chez les latins, ou parfois chez les orthodoxes. Mais cela ne nous gêne pas. Il y a des latins et des orthodoxes aussi qui fréquentent des paroisses maronites, parce qu’elles sont plus proches.
Revenons-en à la communauté maronite de Terre Sainte. Comment se porte-t-elle ?
De mon point de vue, elle se porte bien. Mais il faudrait que d’autres que moi en témoignent. En tous les cas, nous avons pour commencer de très bonnes vocations sacerdotales. Je viens d’ordonner un prêtre qui avait fait le Technion (NDLR: le Technion est la première université scientifique et technologique d’Israël et l’un des plus grands centres de recherche appliquée. Les conditions d’admission y sont particulièrement relevées). Nous avons un autre séminariste en préparation à Rome, lui aussi a un diplôme d’ingénieur du Technion, un autre qui est en formation au Liban a fait des études universitaires à Londres. Nous sommes très exigeants sur les conditions d’entrée au séminaire et l’admission au sacerdoce. La qualité du clergé est une condition essentielle pour l’avenir de l’Eglise. C’est pour moi un point crucial, quand on a de bons prêtres, une bonne partie du combat est gagnée. Je tiens à ce que les prêtres aient un contact très assidu avec nos fidèles. Pour ma part, je circule beaucoup d’un pays à l’autre, d’une paroisse à l’autre, pour visiter toutes nos communautés.
Signe de bonne santé également, nous avons fait des innovations dans les trois zones pastorales.
A Jérusalem, nous avons rénové le foyer Mar Maroun nous permettant de passer de 35 lits pour l’accueil des pèlerins à 55. Nous avons pu ajouter à la maison une résidence pour l’évêque. Le foyer Mar Maroun est aussi le siège de la paroisse maronite de la ville.
A Amman, en Jordanie, nous avons maintenant un centre pastoral qui se développe bien. A mon installation, il n’y avait rien sur place aucune structure, ni paroisse, ni curé et la messe était célébrée quelques fois l’an chez les Frères des Écoles chrétiennes dont le directeur était maronite. Mais suite à un don du Roi d’un terrain, nous avons pu construire ce centre pastoral qui comprend l’église, le presbytère et une petite maison d’accueil pour des retraites, des camps de jeunes etc. Les familles de la paroisse viennent aussi le samedi ou dimanche pour assister à la messe et profitent du grand jardin qui fait partie de centre pour faire un pique-nique et passer la journée ensemble. La nouvelle église Saint Charbel sera inaugurée le 8 mai prochain date de sa naissance.
En Galilée, nous sommes en train de construire un centre pastoral diocésain, sur le Mont Carmel. Ce centre a trois objectifs. C’est là que se tiendront toutes les activités pastorales des paroisses ; camps de jeunes, réunions des familles, des paroissiens du troisième âge etc. Il y aura là aussi un centre d’écoute permanent pour les familles et pour les jeunes. Enfin ce sera aussi un lieu de rencontres interreligieuses entre jeunes Druzes, Chrétiens, Musulmans et Juifs. Cet aspect nous tient particulièrement à cœur.
Nous commencerons avec les Druzes. Ces dernières années, et de façon hélas régulière, il y a eu des affrontements en Galilée entre druzes et chrétiens par exemple à Maghyar ou Shefar Am. Cela fait du tort à tout le monde.
Ce dialogue est d’une extrême importance pour la bonne entente en Galilée. Il est capital que nous adultes nous permettions à nos jeunes de se rencontrer, d’apprendre à se connaître, à vivre ensemble. Je crois fermement en ce dialogue, sans ce genre d’activité l’avenir est incertain. Malheureusement les relations entre juifs et arabes en Israël on l’air de se détériorer. Songez qu’un sondage effectué par l’Université de Haïfa auprès de jeunes israéliens, juifs et arabes, des adolescents, a montré un négativisme très prononcé dans la perception mutuelle entre jeunes juifs et arabes.
En chiffre, à combien de fidèles estimez-vous votre communauté ?
Nous estimons à 10 000 le nombre de nos fidèles en Israël.
Qu’attendez-vous du prochain synode ?
J’ai distribué les lineamenta dans les paroisses il y a un mois. Mais il se trouve que cela ne tombe pas très bien dans notre organisation du travail. En effet, nous participons au suivi du Synode diocésain des Églises Catholiques en Terre Sainte – il est très riche. Dans l’Église maronite nous vivons le synode patriarcal – le document final est d’environ 800 pages. Cela va être difficile de tout faire… Mais nous ferons notre possible pour que nos fidèles profitent le mieux possible de cet évènement.
Ce qui est sûr c’est que les thèmes du synode, « communion et témoignage », vont nous pousser à travailler davantage ensemble, entre chrétiens mais aussi avec les druzes, les musulmans et les juifs, et cela va nous renouveler dans la prise de conscience de nos responsabilités dans cette partie du monde, où bien que minoritaires nous sommes appelés à assumer notre responsabilité de témoignage Chrétien. Ce sera certainement une occasion pour prouver aussi que ce n’est pas le nombre qui compte le plus mais la qualité de notre présence.
On peut espérer aussi que le synode puisse apporter une certaine médiatisation sur la réalité du christianisme au Moyen Orient entre vivacité et fragilité.
—-
- Les quelque 2000 chrétiens libanais passés en Israël en l’an 2000 appartenaient aux rangs de l’Armée du Liban Sud (ALS). Une milice libanaise qui opéra avec le soutien de l’armée israélienne pendant l’invasion d’Israël au Liban Sud au cours de la Guerre du Liban.
En mai 2000, à la suite du retrait des forces israéliennes de l’intégralité du territoire libanais, l’ALS qui n’avait pas été concertée fut rapidement dépassée et s’effondra. Le Hezbollah prit contrôle des positions précédemment tenues par l’Armée du Liban Sud. Certains membres influents de l’ALS et leurs familles émigrèrent en Israël tandis que les autres se rendirent aux autorités libanaises ou furent faits prisonniers par le Hezbollah qui les livra à la police libanaise pour être jugés pour collaboration avec l’ennemi.
Un clergé qui peut se marier
Contrairement à l’Église catholique romaine, et à l’instar des Églises orthodoxes et catholiques orientales, l’Église maronite tolère la prêtrise d’hommes mariés.
Les prêtres maronites mariés demeurent des prêtres diocésains. Ils ne seront jamais consacrés évêques et n’auront plus le droit de se remarier en cas de décès de leur épouse.
Cette tradition est due à l’origine «orientale» de l’Église maronite. Toutefois, le patriarche Nasrallah Pierre Sfeir ajoute que le célibat est le joyau le plus précieux de l’Église catholique et que les prêtres mariés vivent des difficultés non négligeables.
En savoir plus sur les maronites
Les Editions Brepols dans leur collection « Fils d’Abraham » viennent d’éditer (janvier 2010), « Les maronites, chrétiens du Liban », de Jabre Mouawad, Ray 268 pages.
L’ouvrage donne également un état de la diaspora.
Dernière mise à jour: 19/11/2023 18:05