Pour aller à la rencontre du père Moussali, vicaire patriarcal pour la communauté des Chaldéens, réfugiés d’Irak en Jordanie, j’ai beaucoup lu sur la situation actuelle en Irak et les motivations de l’exode chrétien. Aussi, lors des deux rencontres que j’ai faites à l’occasion de célébrations eucharistiques, dans deux endroits différents, j’ai été tétanisée. Je regardais ces visages, ces sourires, ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces adolescents, avec à l’esprit toutes ces histoires lues d’un drame vécu au quotidien : rapt, extorsion de fonds, torture, viol, assassinat. Je n’ai pas osé interroger un seul de ces réfugiés. Ne me sentant pas capable de remuer leur douleur. Le bruit s’était vite répandu que j’étais journaliste au service des Franciscains. La combinaison des deux me valut le meilleur des accueils et l’on me permit de faire des photos.
Le sourire du père Raymond Moussali et ses explications me font découvrir autrement cette communauté.
« En Jordanie, les réfugiés irakiens sont venus en deux principales vagues. La première est celle de 1990, avant la guerre du Golfe, au moment de l’invasion du Koweït. Ils ont préféré la Jordanie à la Syrie qui était alors un pays ennemi.
La seconde vague est entrée après l’invasion américaine en 2003. Si bien qu’aujourd’hui on trouve des familles appartenant à ces deux vagues.
Avoir une communauté chaldéenne en Jordanie n’est pas une nouveauté totale, au début du siècle, une communauté existait déjà qui s’est dispersée dans les divers rites quand elle n’a plus eu de pasteur chaldéen pour la servir. »
Abouna Raymond n’est pas irakien. Il est né en Syrie, d’une famille originaire de Mossoul en Irak, d’où son nom de famille Moussali. Sa famille a gardé le rite chaldéen en Syrie et lui a été élevé dans cette culture avec son dialecte propre et sa langue liturgique l’araméen. C’est en 2002, qu’il a été nommé vicaire patriarcal pour les chrétiens irakiens réfugiés. 90 % des chrétiens irakiens sont chaldéens et, selon le père Moussali, ils ont été jusqu’à 25 000 chrétiens réfugiés en Jordanie.
Combien sont-ils aujourd’hui ? Difficile à dire, vraisemblablement de 5 à 7 000 et les 4/5e d’entre eux ont fait la demande d’un visa pour l’étranger avec des rêves d’Amérique ou d’Australie plein la tête, d’Europe à défaut.
C’est vers ces pays que se sont envolés tous les irakiens qui ont transité ces dernières années par le royaume hachémite. La Jordanie a compté jusqu’à un million de réfugiés irakiens sur son sol.
« Pour les réfugiés chrétiens et musulmans, poursuit le père Raymond, retourner en Irak est devenu un rêve impossible car l’Irak n’est toujours pas stabilisé. Il faudrait garantir davantage de sécurité pour que certains d’entre eux osent rentrer. »
« Mais il est plus facile pour un musulman de retourner en Irak que pour un chrétien, précise le prêtre. Car depuis l’invasion américaine, les chrétiens assimilés à leurs « cousins d’Amérique » sont persécutés, encore plus qu’avant. En Irak, on a enlevé des prêtres, on en a massacré, jusqu’à l’archevêque de Mossoul (février 2008), on a enlevé et assassiné des religieuses, on a détruit des couvents, des églises, on a rançonné les familles ou on les a détruites. La situation est devenue catastrophique pour les chrétiens. Les chrétiens sont poussés, incités à quitter le pays pour sauver leur vie.Mais l’Église chaldéenne a son berceau en Irak, là en Mésopotamie, c’est de chez nous que nous sommes chassés. Et tout le monde se tait. Quel choix reste-t-il à ces populations ?»
En fuyant, ils ont sauvé leur vie mais pour quelle vie ?
« La communauté chaldéenne de Jordanie va mal. Comme nos fidèles ont fui leur pays et sont entrés illégalement, illégaux ils demeurent sans que leur soit donné de permis de séjour, sans être enregistrés comme « réfugiés » (NDRL. au sens de la convention de Genève ce qui leur permettrait une prise en charge au moins relative), mais ils sont enregistrés comme illégaux et doivent s’acquitter d’une amende journalière de 2 dollars par personne, par personne, répète le père, même les bébés et si tu ne paies pas, tu es expulsé du pays à moins de réussir à te faire enregistrer auprès des Nations Unies, alors tu seras aidé mais lorsque tu quittes le pays, soit tu t’engages à ne plus jamais y revenir soit ce sont les Nations Unies qui doivent payer pour la durée de ton séjour. Maintenant les conditions d’entrée en Jordanie se durcissent et il faut préalablement un visa. La persécution, elle, se poursuit.»
Le matin même de notre rencontre, un attentat visant un convoi d’étudiants chrétiens faisait 4 morts et 171 blessés.
A la sortie de la messe, il fait l’objet de toutes les conversations : qui connaît-on parmi les victimes ? Mais comment vivent vos fidèles ?
« Il y a la Caritas, certaines associations, ONG, les familles déjà émigrées qui envoient un peu d’argent. Le plus dur ce n’est pas la pauvreté c’est l’oisiveté des hommes, des jeunes. Certains membres de la communauté qui étaient dans les affaires ou les commerces arrivent à tirer leur épingle du jeu. D’ici, ils gardent des contacts avec leurs intérêts en Irak. Ils ont les moyens de payer l’amende journalière, les plus chanceux pourront s’offrir les papiers de résidence en Jordanie moyennant 50 000 dollars à verser au gouvernement. Les autres n’ont rien. »
Le père Moussali n’a pas grand chose à donner mais il se démultiplie pour être présent, pour être une oreille attentive, un pasteur aimant, pour mettre une lueur d’espoir dans les coeurs et il doit fait face à des problèmes qu’on n’aurait pas imaginés.
« Faute de moyens, beaucoup de familles envoient leurs enfants dans les écoles gouvernementales jordaniennes où ils apprennent le Coran. Ces familles n’ont pas les moyens de scolariser leurs enfants dans les écoles chrétiennes. Je peux bien aider quelques familles, les autres églises aident un peu aussi, mais ce n’est pas suffisant. Il y a aussi l’offensive des Églises évangéliques issues de la Réforme – une vingtaine – venues ici pour « aider » les chrétiens irakiens et qui font tout pour les attirer à elles profitant de leur manque de ressources et de moyens. Et, elles, des moyens, elles en ont. C’est un de mes gros soucis. »
Que faire pour aider ?
« Bien sûr on peut aider l’Église directement et financièrement. Cela nous aiderait à maintenir les activités que nous avons mises en place pour nos fidèles cela va du club de foot, à celui d’informatique, aux cours d’arabe (NDLR. La langue maternelle des chrétiens d’Irak est un dialecte araméen, ils connaissent mal l’arabe littéraire), d’anglais, de math, de catéchisme, des conférences.
Régulièrement nous essayons de fournir des repas, d’aider au paiement des loyers, des frais de santé et d’éducation etc.
Mais fondamentalement, ce n’est pas une question d’argent.
Ce que nous désirons vraiment c’est que l’Église d’Europe ne se taise pas, ne se taise plus. Elle doit intervenir, elle doit aider les chrétiens d’Orient.»
Comment ?
« Que les chrétiens d’Occident viennent nous voir, qu’ils chercent à nous connaître pour nous reconnaitre, qu’ils viennent nous visiter, nous aider, nous aider à être vivants, nous aider à faire des camps religieux d’été avec nos enfants.
Les juifs aident les juifs, les musulmans aident les musulmans, et que font les Églises d’Europe pour les chrétiens d’Orient ? Nous ne vivons pas que de bonnes paroles. Qui se lève en Europe contre le massacre des chrétiens d’Irak ? Qui nous aide ?
Il faut favoriser les jumelages entre Église d’Orient et Église d’Occident. Il faut découvrir ce que nous vivons, notre histoire, notre patrimoine, nos réalités, nos rêves. Il faut faire l’unité de l’Église catholique. Nous ne demandons pas la charité, nous demandons à être aimés, reconnus comme partie intégrante de l’Église catholique, membre de son corps.»
Au moment de nous dire au revoir, évoquant avec le père Raymond la notion de martyrs de la foi, il me dit : «Avec tout ce tribut que l’Église chaldéenne a payé au cours des siècles, au nom de sa Foi, et aujourd’hui plus que jamais, sais-tu que pas un seul de nos martyrs n’a été canonisé ni même béatifié par l’Église ? »
Le premier, je pense, le père sait que les chrétiens d’Irak n’ont pas le temps de monter des procès en canonisation. Ses rêves à lui ne sont d’ailleurs pas là.
« Ce dont je rêve ? Je rêve d’avoir une église, une vraie, ici tu as vu c’est le garage et le salon de mon appartement qui font office d’église, chez les Jésuites qui nous donnent la chance de nous réunir c’est une salle polyvalente. Je rêve d’une église avec un centre paroissial que nos chrétiens dans ce lieu d’accueil puissent se sentir aimés de leur propre Église chaldéenne et catholique, accueillis et considérés par elle. Je rêve d’une école : que nos enfants n’aient pas à aller dans des écoles musulmanes pour être instruits, je veux qu’ils puissent suivre le catéchisme, qu’on leur transmette leur culture propre.
Notre patriarcat chaldéen – qui a déjà tant de soucis à régler en Irak et tant d’aide à apporter là-bas – ne peut pas nous aider ici, aussi comptons-nous sur les Églises catholiques, et spécialement sur l’Église catholique d’Occident.»
« Tu sais le principal, c’est de ne pas se taire. »
Dernière mise à jour: 20/11/2023 11:54