Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Une nuit au Kever Yossef

Michaël Blum
21 septembre 2010
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Deux doubles pages sur la visite d’un même lieu saint dans des conditions diamétralement opposées. En livrant au lecteur ces expériences, nous espérons faire appréhender la complexité d’un pays où l’on peut tout vivre... et son contraire. Il n’en est que plus urgent de se garder des clichés et des étiquettes.


Minuit, barrage de Fourik, entrée de Shekhem, Menahem (photographe) et moi attendons l’autorisation de l’armée pour entrer dans la ville. Naplouse, (déformation de Napolis, nom donné par les Romains à Shekhem) est une des grandes villes palestiniennes de Cisjordanie (Samarie) qui a la particularité comme Hébron, d’abriter un site présumé d’une tombe d’un personnage biblique, Yossef, le fils du patriarche Jacob. Pendant plusieurs années, une Yechiva dirigée par le rabbin Ginzburg était installée sur le site, accueillant quelques dizaines d’élèves.

Le Tombeau de Joseph est situé à Balata, un camp de réfugiés palestiniens, crée en 1950 pour les habitants arabes qui avaient quitté Jaffa. Reconnu comme lieu saint dans les accords d’Oslo, le site reste sous la responsabilité israélienne jusqu’au début de la seconde Intifada, pendant laquelle, suite à une attaque sur le site de palestiniens armés, le Tombeau de Yossef est abandonné par Tsahal. Brûlé, détruit et transformé en décharge publique, le lieu saint est de nouveau visité après l’opération Remparts quand Tsahal reprend le contrôle de la ville.

Depuis, les autorités israéliennes ont autorisé de rares visites sous haute protection militaire, avec une augmentation des permissions de pèlerinage depuis deux ans, amenant parfois plus d’un millier de personnes dans la même nuit. Cette nuit, aux abords de la ville, 25 bus bondés attendent l’autorisation de pénétrer à Balata. A peine arrivés sur place, les responsables de l’organisation qui milite pour la réouverture du site, installent des rampes pour les escaliers, un générateur, des projecteurs, des tables… La veille, ils sont venus repeindre et nettoyer le Tombeau qui est en fait une structure antique, avec en son centre, une pierre considérée comme celle de la tombe de Yossef.

Hommes et femmes, jeunes et vieux, orthodoxes et traditionalistes, jeunes des collines et hassidim de Breslev, tous se précipitent vers la pierre tombale, l’embrassant, se couchant dessus, priant les larmes aux yeux ou encore dansant autour avec ferveur. Les soldats chargés de la protection des visiteurs profitent des moments de pause pour se recueillir sur la tombe. Tsahal n’autorise que quatre bus à la fois à rester autour du site, ce qui devrait faire à peu près 200 personnes, mais en réalité le double, les gens se battant pour pouvoir entrer dans les bus. Cinq fois de suite, le site est vidé de tous ses visiteurs pour permettre à d’autres de venir et chaque fois les soldats doivent se disputer avec les pèlerins pour les sortir du site.

« Yossef !!! », le cri s’élève de la gorge de centaines de personnes tout au long de la nuit. « Celui qui sait conserver son passé peut assurer son avenir », me confie Gershon Messika, président du Conseil régional du Shomron, qui milite pour que le site soit ouvert en permanence. Certains sont arrivés de loin, comme ce couple de Ramleh, venu couper les cheveux de leur fils de trois ans ou encore ce père de famille d’origine française, parti de Eilat vers 18 heures et qui accompagné de ses deux fils, est arrivé à 3 heures du matin. Tova, 66 ans, vient de Tel Aviv pour demander la libération de Gilad Shalit. Elle allume des bougies et récite des prières, demandant aux soldats présents de répondre ‘amen’, avant de leur offrir du café de sa thermos.

Le jour va se lever, un dernier groupe de hassidim danse en cercle avant de remonter dans le bus. Tout près, la voix du muezzin appelle à la prière, les juifs s’en vont, Shekhem redevient Naplouse…

Post Scriptum : Sur les sites pro-palestiniens, ce genre de visites suscite la colère : « Des sources palestiniennes ont dit que des dizaines de colons extrémistes sionistes ont envahi un lieu saint islamique, à l’Est de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, et sont venus par plusieurs bus sous la protection de grandes forces de l’armée de l’occupation israélienne qui ont imposé un barrage sécuritaire contre la région et empêchent les palestiniens d’arriver au lieu. » (source ISM). Sans commentaires…

Dernière mise à jour: 21/11/2023 10:58

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