Midi, Balata, camp de réfugiés à la périphérie de Naplouse, pas un chat au tombeau de Joseph. Mais l’odeur fétide des phéromones des félins à laquelle se confond celle de l’urine d’êtres humains. Je m’attendais à devoir faire toutes mes photos dans la même puanteur. Non. Une fois entrée dans le sanctuaire peu de papiers jonchent le sol. Ce qui traîne, ce sont les restes des chandelles d’une nuit de prière.
Il faut dire qu’il veille au grain le policier palestinien en faction. Son service consiste à préserver le lieu « des deux côtés » comme il dit sobrement. Celui des habitants du camp de Balata et voisins du lieu, qui voient dans cet espace « vide » une déchetterie naturelle et l’occasion d’offenser les juifs.
Au milieu du camp de Balata
L’autre côté, c’est celui des juifs en question religieux de surcroît, ultra sionistes va sans dire. Mais le fonctionnaire veille ! Au cas où quelque intrépide viendrait planter sa tente dans l’endroit, au beau milieu du camp de réfugiés. Certes, au point où nous en sommes, tout est possible.
Pour l’heure, je suis seule. Le policier ne voit pas d’objection à ce que je fasse des photos encore qu’il ne comprenne pas ce qu’il y a à photographier.
Je lui concède, lui parlant toutefois d’archéologie et d’histoire, d’« intrusion militaire nocturne » de son rôle de vaillant gardien, évitant soigneusement de lui parler du patriarche juif, arrière-petit-fils de notre père d’Abraham, le fils préféré de Jacob/Israël, dont il est aussi fait mention dans la sourate 12 du Coran qui le tient pour un grand prophète. Je pressens que tout serait un peu compliqué pour lui.
Je m’en vais solitaire sur le cénotaphe. Ce qu’il en reste. Les grilles ont disparu. Il a perdu la moitié de sa hauteur par rapport à la dernière photo que j’ai de lui, prise en 1973.
A vrai dire c’est la deuxième Intifada qui a eu raison du site. Depuis le retrait de Tsahal en octobre 2000, cela va de mal en pis. Destructions, incendies, saccages, profanations. La population du camp ne sait pas quoi infliger au sanctuaire pour manifester, à peu de frais (et de risque), sa haine du sionisme religieux, celui qui lui « mange la laine sur le dos et grignote inlassablement ses terres ». C’est de mauvaise guerre, comme elles le sont toutes.
Prière partagée
Reste que je suis seule devant ce moignon de cénotaphe. Seule devant 3000 ans d’histoire. Seule devant l’histoire biblique. Seule, libre et en sécurité quand d’autres entrent ici de nuit, par milliers, protégés par l’armée. Et cette solitude m’impressionne. Il m’a été si facile de venir. Ce que je vis seule d’aucuns le tiendraient pour un privilège si bien que les mots manquent à ma prière. C’est bien un lieu saint et ce patriarche est aussi le mien, n’en déplaise aux frères aînés. Je pense à eux. Je me demande ce qu’est une prière juive ici. La mienne ça va donner : « Euh mon Dieu… saint Joseph… pas celui-là, l’autre… Je vous prie pour tous vos descendants… comme vous savez, mieux que moi, ce dont ils ont besoin je vous fais confiance, enfin… s’ils pouvaient juste être heureux. »
D’un autre côté, je n’ai pas trop envie que le bonheur de certains passe par la récupération du sanctuaire. On se retrouverait devant le même schéma qu’à Hébron-Kyriat Arba. On trouve un compromis et les colons extrémistes s’engouffrent dans la brêche ouverte et c’est le début de la déconfiture. Au lieu d’apprendre à partager, on va vouloir s’exclure, puis se chasser. On se haïra pour la plus grande Gloire de Dieu. Tristement déjà vu.
Je quitte le lieu toute guillerette. J’ai mes photos, j’ai aussi le sentiment confus d’avoir fait un pied de nez au conflit. Je pense à Michael qui a vécu une tout autre visite (voir pages précédentes). C’est ce qui a motivé la mienne en plein jour, par curiosité, pour voir, pour comparer, pour expliquer comment ce pays est si incroyablement complexe. Qu’on peut y vivre tout et son contraire. C’est ce qui le rend délicieux et parfois désarmant même s’il est surarmé.
Dernière mise à jour: 21/11/2023 10:58