Passionné d’agriculture et d’ingénierie agricole, ce jeune chrétien palestinien de 32 ans essaye d’adapter son mode de vie et celui de sa famille au changement climatique en économisant les ressources et en pensant à la régénération des terres. Un engagement qu’il transmet depuis peu à travers un projet de tourisme alternatif.
Tu as vécu 7 ans en France, tu parles 5 langues couramment… Qu’est ce qui t’as ramené en Terre Sainte ?
J’ai toujours eu en tête de revenir. Je savais que la France ne serait qu’un passage. Nos terres sont ici. Quand j’étais plus jeune, la guerre à Gaza m’a beaucoup touché. Une de nos voisines était très engagée au niveau social et elle nous parlait beaucoup des bienfaits de s’investir pour les autres. Je crois qu’elle a planté les graines de mon propre engagement.
Pour quoi es-tu engagé ?
Pour la terre. Dans toutes ses conceptions. Comme toutes les familles de Taybeh, on possède des terres. J’ai été élevé au milieu des oliviers et des abricotiers et les liens familiaux se sont construits autour du devoir de s’occuper de nos terres. Ma mère est originaire de Colombie, où elle a rencontré mon père, qui lui vient d’ici. Le fait qu’elle soit étrangère a compliqué notre intégration à Taybeh quand on s’y est installé après les accords d’Oslo, dans les années 1990.
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C’est l’amour de cette terre qui nous a permis de nous intégrer. Je voulais être ingénieur agronome, mais très tôt, je me suis rendu compte qu’on ne pouvait pas gagner sa vie en travaillant seulement la terre. Tout le monde me le disait, mon oncle se plaignait tout le temps que la terre ne donnait rien. Alors j’ai trouvé un travail à la mairie de Ramallah, mais j’ai réussi à lier ma passion pour l’agriculture à mon envie de connecter les gens entre eux, dans un projet de camping qu’on a inauguré en mai 2023.
Quel est le concept de ce camping ?
C’est un “glamping”. Un camping glamour. Peut-être le niveau 1 du glamour, mais nos 10 tentes sont tout confort. Elles sont entièrement écologiques et autonomes énergétiquement. On ne dépend ni du réseau d’eau, ni du réseau d’électricité. Je me suis inspiré des systèmes que nous avons mis en place dans notre maison. On l’a construite de nos mains entre 2011 et 2019. Pour l’électricité, on utilise des panneaux solaires. Pour l’eau, on récupère les pluies hivernales qu’on stocke ensuite dans un réservoir de 100 m3 sous la maison. Cette eau est filtrée pour la consommation, et utilisée telle quelle pour les douches, les lessives, les toilettes…
J’ai aussi mis en place un système d’assainissement de l’eau qui nous permet de ne rien perdre de cette ressource qui devient de plus en plus rare ici : les eaux grises (douches, lessives…) servent à irriguer le potager. Les eaux noires (chasses…) partent dans des cuves où une bactérie issue du fumier consomme les éléments organiques dans une réaction chimique qui produit du méthane. Lequel gaz est alors réinjecté dans la maison, pour chauffer l’eau. Pendant l’hiver, la maison est chauffée grâce à la combustion des noyaux d’olives, récoltées pendant l’automne.
Rien ne se perd, tout se réutilise…
Exactement ! Et c’est aussi la philosophie que j’applique dans mes cultures. Depuis 2019, je participe à un projet de recherche qui sélectionne les plantes locales qui supportent les évolutions du climat, pour les propager et les planter dans un écosystème qui imite la nature. On appelle ça l’agriculture régénérative. On recrée ce qui se passe dans les forêts : des plantes qui se complètent, qui s’entraident, se protègent. Ce système permet de produire ce qu’il faut pour se nourrir, tout en permettant à la terre de se régénérer en permanence.
Vous avez appelé votre camping “Barrieh”. Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est l’arabe utilisé dans le Nouveau Testament pour désigner les zones sauvages, ces montagnes à la frontière du désert où Jésus aimait se retirer. À Taybeh, on est précisément dans une zone semi-désertique. Ce mot, “barrieh”, a aussi plus de sens que jamais à l’heure du réchauffement climatique : le semi-désertique est en train de se transformer en désertique. Il y a 20 ans, les montagnes qui entourent Taybeh, située à 800 m d’altitude, étaient beaucoup plus vertes.
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Les champs d’oliviers s’étendaient plus loin, plus bas. Aujourd’hui, sous 750 m d’altitude, la terre reçoit moins de 300 mm d’eau par an. C’est impossible pour un olivier de survivre. L’idée du camping, c’est d’éduquer les gens à un mode de vie alternatif, économe en ressources et adapté aux défis du changement climatique.
C’est aussi une alternative au tourisme de masse qui étouffe la Terre Sainte…
Oui, on a pensé le projet comme une offre différente. Aujourd’hui, le but d’un pèlerin c’est de visiter un maximum de lieux en un minimum de temps et en dépensant le moins d’argent possible. Ils sont rares les groupes qui prennent le temps de rencontrer les autres pierres, celles qui sont vivantes et qui ont des messages à faire passer : nous, les chrétiens autochtones. Le christianisme est né ici, dans cette campagne palestinienne qui est encore imprégnée des traditions des premiers chrétiens. Et ça, on ne peut le découvrir qu’en allant vraiment à la rencontre des chrétiens palestiniens.
Votre mode de vie est à contre-courant de celui d’une société palestinienne où les normes de confort sont de plus en plus élevées. Vous vous sentez à la marge ?
Ça n’a pas toujours été ainsi. Lors de la première Intifada (1987-1993), il y a eu une volonté de créer un système de société civile alternatif. Ça a commencé par la création de comités dans les villes : comité de santé, d’éducation… Il y en a eu 9 différents, dont un pour la nourriture. Il a été créé lorsqu’un village a été assiégé par l’armée israélienne. Les villages alentours ont organisé le ravitaillement alimentaire, et son partage de manière égale. Ça s’est produit à Taybeh aussi : le village voisin s’est fait assiéger et mon oncle, avec son tracteur, est passé par les montagnes pour faire entrer la nourriture. À partir de là, il y a eu une vraie réflexion autour de l’indépendance vis-à-vis des produits israéliens. À l’époque on pouvait le faire plus facilement : l’essentiel, c’était la terre qui nous le donnait.
Qu’est ce qui a changé depuis ?
Avec la création de l’Autorité palestinienne, après les accords d’Oslo de 1993, les comités ont été remplacés. La corruption et l’arrivée du capitalisme ont changé l’état d’esprit des gens. À partir de 2010, la Palestine a contracté une grosse dette envers la Banque Mondiale qui a alors imposé ses conditions et un Premier ministre du nom de Salam Fayyad, qui a importé le micro-crédit dans le pays. Ça a été une révolution : tout le monde avait désormais accès au crédit, alors qu’avant l’Intifada, seulement 10 % de la population de Ramallah avait un compte bancaire.
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Les salaires étaient payés par chèques toutes les 2 semaines. Les gens n’ont pas été éduqués aux crédits. Tout le monde s’est endetté très vite pour accéder à un niveau de vie fantasmé. Rien que l’année dernière, les Palestiniens ont emprunté 90 millions de dollars pour acheter des voitures de luxe. Oui, les gens ont besoin de voiture, mais pourquoi acheter du luxe quand on n’a pas le moyen de se l’offrir ? C’est une mentalité nouvelle qui est arrivée dans le pays : le paraître. La société palestinienne ne comprend pas pourquoi notre famille prend les transports en commun quand elle pourrait s’offrir une voiture à crédit, ou pourquoi on choisit des emplois libres quand on peut avoir un salaire fixe ? C’est toujours plus facile de suivre le courant.
Qu’est ce qui t’anime du coup ?
Le fait d’être libre. De ne dépendre de personne pour survivre. D’ailleurs, je crois que survivre devrait être aussi simple que ce que Jésus dit dans l’Évangile : cultiver la terre et en récolter les fruits.
Dernière mise à jour: 24/01/2024 13:59