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Les icônes s’invitent dans le musée de la custodie

Anaïs Uberti
25 janvier 2019
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Depuis leur arrivée à Jérusalem, elles avaient été entreposées aux archives. La collection d’icônes de la custodie de Terre Sainte sort de l’ombre pour la joie des experts et bientôt des visiteurs du musée. Récit de la redécouverte d’un patrimoine unique.


Une main se lève, l’assemblée se retourne. La réunion du Comité Scientifique du Terra Sancta Museum bat son plein. Assise au milieu de la pièce, Raphaëlle Ziadé, responsable du département byzantin du Petit Palais, s’apprête à évoquer la collection d’icônes de la custodie de Terre Sainte. “C’est certainement l’un des plus importants ensembles d’icônes de Terre Sainte possédé par des latins” (catholiques de rite romain. NDLR) affirme-t-elle Certains hochent la tête, d‘autres marquent leur surprise. Encore inconnues des experts et du grand public, les quelque 300 icônes ne tardent pas à attirer l’attention des membres du Comité. La réflexion est rapidement menée : il est temps d’étudier et de dévoiler le mystère de cette collection.

Le jour même, le projet est confié à Blanche et Adeline, étudiantes à l’École du Louvre et volontaires pour six mois au service du “Trésor du Saint-Sépulcre”. Chargées d’inventorier et de dresser un état des lieux de la collection d’icônes, elles entreprennent un important travail d’observation, de description et de préconisation. Et pour cause, slaves pour la plupart, les plus anciennes datent du XVIe et les plus récentes ont été écrites au XXIe siècle. Armées de gants blancs, de mètres, de mousse et de papier de soie, les deux jeunes femmes apportent aux icônes un soin particulier.

L’essentiel de la collection, plus des deux tiers, est arrivé à Jérusalem de Belgique. C’est là qu’elle a été patiemment constituée par un passionné, Frans Cornelissen, franciscain flamand et Commissaire de Terre Sainte. A sa mort en 2006, la collection fut envoyée à Jérusalem suivant ses volontés.

 

Conservées jusque là dans archives, les icônes devront être déménagées pour des conditions de conservations qui leur correspondent davantage.

 

La plupart des œuvres proviennent de Russie, des Balkans ou d’Éthiopie, certaines icônes de style russe ont été peintes à Jérusalem. “C’est très intéressant : ce qui peut paraître étranger à la Terre Sainte en fait pourtant partie ! Cela manifeste combien l’Église de Jérusalem est à la fois locale et universelle” estime le frère Stéphane, responsable des biens culturels de la custodie. Certaines ont même une histoire atypique. Après quelques instants d’hésitation la main d’Adeline s’arrête sur une Vierge de Tendresse, soigneusement emballée dans du papier de soie. “Elle a été retrouvée sur les pentes du mont Thabor lors de la guerre d’indépendance d’Israël (1947-1948) par une femme musulmane, raconte-t-elle en la déballant. Persuadée de ne pas être autorisée à conserver cette image chrétienne, elle l’a confiée à l’un des moines franciscains qui vivait au sommet du Thabor”.

Il est cependant difficile de retracer l’histoire de chaque pièce. “Elles sont très peu signées car une icône n’est pas une œuvre d’art comme les autres” explique à son tour Blanche, spécialisée en archéologie chrétienne, art byzantin et copte. “Dans l’art de l’icône tout est justifié par des considérations théologiques. Il n’y a aucune liberté artistique”. L’icône symbolise l’invisible et le divin au-delà de la réalité temporelle. “Il suffit d’observer les couleurs utilisées, l’absence d’ombre et de profondeur, la composition géométrique ou les fonds dorés pour comprendre que ces règles sont enracinées dans la doctrine de la foi” ajoute Adeline en mesurant une Nativité écrite par un moine russe quatre siècles auparavant.

 

A l’ouverture de chaque pièce, il faut procéder à un constat d’état, relevant le moindre impact sur l’œuvre ou tout signe de corruption.

 

Nombre d’entre elles sont de grande qualité. “On le voit à leur état de conversation compte tenu de leur ancienneté, de la préciosité des matériaux, souvent plus difficiles à utiliser, de la finesse, de la précision et de la grâce des traits”, souligne Blanche en manipulant un Christ Pantocrator. Après quelques secondes de silence, la jeune femme s’exclame : “Je trouve ça vraiment très impressionnant : tu fais face au visage du Christ, il te fixe tout en étant impassible ! C’est à la fois droit et dogmatique.”

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Cet état des lieux est primordial pour étudier l’évolution de la collection et vérifier que les œuvres ne se détériorent pas. Chaque icône se voit donc attribué un numéro d’inventaire, une analyse stylistique et une préconisation de conservation. Toutes ces données seront ensuite transmises à Raphaëlle Ziadé, chargée de la publication d’un catalogue de la collection pour la section historique du musée de la custodie. Dans un coin de la pièce, un gigantesque sac vert renfermant des icônes semble exiger une attention particulière. S’accroupissant, Adeline commence alors à examiner ses protégées : “Celles-ci sont malades ou infestées par des insectes ; on les place en quarantaine pour qu’elles soient traitées par un restaurateur.”

 

Mesurées, inspectées, décrites, traduites, les icones vont pouvoir retrouver leur lieu
de conservation avant
que leur sort ne soit scellé.

 

Entre la fin de longues études et le début de leur vie professionnelle, travailler sur la collection d’icônes de la custodie n’a pas été une expérience anodine. “Quand on étudie l’histoire de l’art, on a envie d’être confrontée à l’œuvre, sinon ce n’est que de la théorie !” Passionnées par l’art byzantin, les deux jeunes femmes s’intéressent particulièrement à la valeur sacrée des icônes. “Elles s’inscrivent dans une pratique de culte, et c’est ça qui est intéressant” s’enthousiasme Blanche en souriant. Son binôme ne tarde pas à renchérir : “C’est une autre approche du christianisme qui est très émouvante, basée sur le visuel, l’esthétique et le Beau”.

Après avoir écouté l’intervention de Raphaëlle Ziadé lors du Comité Scientifique, le frère Stéphane se lève de sa chaise et s’avance au milieu de l’assemblée. “Pourquoi ne pas en intégrer certaines dans le musée ?” suggère-t-il. Situé à Jérusalem, lieu de rencontre et de confrontation des trois religions monothéistes, le Terra Sancta Museum cherchera à rendre visible l’expression chrétienne de la Cité Sainte. “Les musées qui fonctionnent sont ceux qui ont une forte identité. Élargissons les horizons d’un patrimoine chrétien qui n’est pas seulement latin”.

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Le musée de la custodie : but et date d’ouverture

Gardiens des lieux saints depuis 800 ans, les franciscains souhaitent offrir au monde entier l’opportunité de découvrir les racines du christianisme sur sa terre d’origine. C’est ainsi qu’est né le projet du Terra Sancta Museum. Avec une belle ambition : valoriser au cœur de la Vieille ville de Jérusalem le patrimoine spirituel, archéologique et artistique chrétien, précieusement conservé par la custodie de Terre Sainte. Les sections multimédia et archéologiques sont déjà ouvertes au public, tandis que l’ouverture de la section historique est prévue en 2021, dévoilant les nombreux dons apportés par les nations chrétiennes au fil des siècles.♦

 

 

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