Si Notre Dame faisait fondre les murs ?
Les Israéliens en parlent comme de la « barrière de sécurité », les Palestiniens l’appellent « le mur ».
Il sépare deux mondes de façon hermétique ou presque. Il est construit sur quelque 700 kilomètres dont 45 kilomètres « en dur ». Des agences de voyages « alternatives » en font découvrir le tracé aux abords de Jérusalem. Vu du ciel, ses courbes dessinent d’improbables représentations comme celle d’une femme enceinte du côté de Béthanie.
À vrai dire, en 2003, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution condamnant sa construction. Cette décision n’est pas contraignante et a été rejetée par l’État d’Israël. La Cour Internationale de Justice a émis un avis le déclarant illégal. Rien n’y a fait. Il s’est construit.
Alors certains se sont battus et se battent encore pour le faire reculer à défaut de l’abattre.
Le pape Benoît XVI a été profondément choqué. « Une de mes plus tristes images au cours de ma visite sur ces terres a été le mur. », disait-il au Président israélien tandis qu’au Président palestinien il avait déclaré : « Près du Camp et surplombant une partie de Bethléem, j’ai vu également le mur qui fait intrusion dans vos territoires, séparant des voisins et divisant des familles. Alors qu’il est facile de bâtir des murs, nous savons que ceux-ci ne sont pas éternels. Ils peuvent être démolis. Cependant, il faut d’abord enlever les murs que nous construisons autour de notre cœur, les barrières que nous érigeons contre notre prochain. »
Saisissante image que celle du pape au pied de ce mur-là
Depuis sa construction, les panneaux de béton de huit mètres de haut, un mètre de large, de la partie construite en dur sont devenus le support de sa contestation.
Peut-on embellir le mur ?
Slogans, dessins, graffitis, affiches, collages, tableaux tout ce qui peut s’inscrire sur une surface plane est de la partie.
C’est vrai qu’on y lit des expressions de haine qui font aussi mal que peur. C’était surtout le cas au début de sa construction en 2003. Depuis, on ne s’y est pas résolu mais il a imposé son ombre massive et la violence a laissé la place à l’interrogation : comment, pourquoi cette injustice ? Et aux revendications « le mur de Berlin est tombé, celui-ci doit suivre. »
Les tagueurs, grapheurs qui viennent, pochoir et bombe (de peinture) à la main, en dénoncer l’injustice et l’absurdité laissent parfois de belles réussites. Il y a quelques années un tableau gigantesque représentait le paysage du désert de Judée tel qu’on pouvait l’admirer avant que ce grand rideau gris n’en brise les courbes comme les espoirs d’apprendre à vivre ensemble.
La question se pose de savoir si on peut « embellir le mur » avec toutes ces œuvres d’art. « Il ne faut pas l’embellir, il ne faut pas le transformer en un tableau beau à regarder » déclare Jamal Joma’a, coordinateur de la Campagne populaire pour la résistance contre le mur et la colonisation. « La majorité des graffitis sont l’œuvre d’amateurs étrangers et de Palestiniens. Mais certains ont été produits par des professionnels. Nous condamnons l’existence de la majorité de ces graffitis. Durant la première intifada, les murs portaient de nombreux slogans et dessins. Nous n’avons rien contre ce phénomène. Mais concernant le mur de séparation, notre position a été claire dès le départ : il ne faut pas l’embellir, il ne faut pas le transformer en un tableau beau à regarder. Il faut qu’il reste gris et laid, empreint de la laideur du racisme et de l’occupation qu’il symbolise. »
Malgré les graffitis et les œuvres d’art, il est difficile de le trouver beau. Aux messages de haine s’opposent ceux qui invitent à inventer un avenir avec – même si ce doit être à côté – les habitants de l’État d’Israël. Ce mur pourrait être une frontière mais non c’est une barrière.
Peut-on prier au pied du mur ? On a vu manifester, crier mais prier ? Depuis 2004, les sœurs du Baby Caritas Hospital de Bethléem le font qui disent tous les vendredis le chapelet en le longeant. C’est un moment très fort.
Le mur peut-il devenir un espace sacré ?
On y avait déjà vu des croix, lu des passages de la bible mais depuis décembre 2010, une icône est apparue. Il faudrait dire qu’elle a été écrite sauf que…
La force d’une rencontre
Sauf que pour quiconque la voit en vrai, c’est un choc de rencontrer cette figure de la Vierge enceinte, triste et à l’écoute. Bien sûr on pourrait vous la décrire par le menu, vous dire que c’est une vraie icône, avec tous les codes de l’icône, dorée à la feuille, de quatre mètres de hauteur (porte ouvrant sur Jérusalem comprise). Elle a même été bénite à l’initiative de ceux qui l’ont commandée, quelques chrétiens de Bethléem, inspirés en cela par le Synode des évêques pour le Moyen Orient !
Sauf que… Si vous la voyiez, vous parleriez vous aussi peut-être, sinon d’une apparition, au moins d’une rencontre avec la Vierge Marie et peut-être avec vous-même. Tant de beauté fait mal et vous console. Tant d’expression de douleur et de tendresse vous submerge, tour à tour vous noie et vous enveloppe.
Pourquoi la Vierge Marie ferait-elle mal ? Peut-être parce que tout ce qui est laid en nous nous apparaît à la lumière de sa beauté. Mais la doublure de son manteau, seule « entorse » aux canons iconographiques, est d’or pour nous inviter à nous y plonger et à trouver le repos en Dieu. Le mur habituellement épuisant, le mur devenu prière.
Cette icône n’est pas seulement belle, elle est belle parce qu’elle est écrite précisément là.
Le mur en est-il embelli ? L’icône ne cache ni ne transcende la laideur du mur. Il se dresse toujours solide, impassible, hautain mais pour combien de temps ? Sa froideur, son inhumanité, sa violence sont comme déjà vaincues par celle qui a terrassé le dragon. La Vierge Marie ne va pas renverser le mur, elle va le faire fondre parce qu’il n’y a pas de violence en elle. Il n’y a qu’une infinie capacité à dire « Oui ».
Là où nous disons « non », non à l’autre, non à la différence, non à l’injustice. Elle dit « Oui ». Oui à Dieu, oui à son amour, oui à son projet.
Plus d’un mur à abattre
« Il faut d’abord enlever les murs que nous construisons autour de notre cœur, les barrières que nous érigeons contre notre prochain. » disait le Saint-Père Benoît XVI. Que ce fut dur à entendre pour les habitants des Territoires occupés et emprisonnés… Ils voulaient abattre ce mur, et que le Pape les y aidât. Il leur demanda de patienter, de s’atteler à abattre d’autres murs.
Ya ‘Adra, Ô Notre Dame !
Alors oui, elle a entendu leur cri, leur incompréhension et elle est venue écouter leurs plaintes, toutes les plaintes car elle, parce qu’elle est fille du peuple de l’Alliance et vénérée par les musulmans, est capable de toucher tous les habitants de cette Terre Sainte. Le synode l’a dit au sujet des différentes confessions et religions monothéistes : « La sainte Vierge est un point de rencontre d’une grande importance. »
Elle est apparue là, sur le symbole de la souffrance d’un peuple, des deux peuples, juste à l’écoute, portant en son sein le Prince de la Paix.
En voyant la porte ouverte sur Jérusalem, on pourrait vouloir la passer et s’enfuir mais non, la Vierge nous précède au pied du mur comme elle était déjà au pied de la Croix. Personne n’a rien à lui enseigner de l’injustice, elle qui a vu mourir son Fils unique.
Elle attend, comme un Samedi saint, en disant encore « Oui » à ce qu’elle ne comprend pas, mais en sachant que c’est ce Oui, par sa simplicité, en l’absence de tout calcul, dans la gratuité et la confiance la plus totale qui obtiendra tout.
Alors, quand ils l’ont vue là, ceux-là mêmes qui avaient fait ce pari (ou cet acte de foi) audacieux de demander à un iconographe d’écrire une icône sur ce support insolite, se sont mis à prier pour que la Vierge sainte réalise ce que sa présence rassurante leur a déjà obtenu : de faire tomber tous les murs, de faire fondre les cœurs pour ouvrir tous les horizons.
On ne dit pas où elle se trouve. Enfin presque, la Vierge Marie attire à elle irrésistiblement au point que la messe a déjà été célébrée là, au milieu de nulle part, au pied d’un autre sacrifice et elle se tenait là Notre Dame du Mur pour écouter la prière de ses enfants, pour enfanter son Fils, pour enfanter la paix dans les cœurs meurtris.
Les cœurs s’embellissent
Regardez, pas un détail n’est là pour faire beau. Les entrailles de la terre se sont ouvertes en haut à gauche pour engloutir à jamais les flots de haine. Les trois oliviers à droite, dans les montagnes qui symbolisent la vie spirituelle, représentent les vertus de foi, d’espérance et de charité. « Mais la plus grande des trois, c’est la charité. »
La porte ouverte en bas l’est sur une Jérusalem qui s’éveille à une aube nouvelle, de l’autre côté aussi les trois oliviers de la foi, de l’espérance et de la charité. Les anciens graffitis se voient par transparence, discrètes expressions de souffrance prises dans cette espérance.
Le mur n’est toujours pas beau mais en regardant Marie ce sont les cœurs qui s’embellissent.
« Je prie pour l’union, disait le patriarche Athénagoras. Quand se fera-t-elle ? Interrogé sur la fin du monde, le Christ confesse son ignorance comme homme : « Seul le Père sait. Il connaît le temps et les moments. » Il en est de même pour l’union. L’avenir est en Dieu. Notre tâche est de faire mûrir le temps. L’union viendra, ce sera un miracle, un nouveau miracle dans l’Histoire. Quand ? Nous devons nous y préparer… car un miracle est comme Dieu : toujours imminent. »