La revue La Terre Sainte a commencé de parler du Mont Nébo dès l’acquisition du terrain en 1931. Elle a par la suite régulièrement donné des nouvelles du lieu, mais en novembre 1963, elle consacre un dossier à ce sanctuaire, revenant sur la personne de Moïse, le récit de sa mort et ses interprétatioms spirituelles, l’histoire de l’acquisition de la propriété, et une étude sur les mosaïques. Nous publions également tiré de ce dossier l’article présentant les fouilles des annés 1933,35, 37.
Moïse est mort sur le Mont Nebo. En son honneur les chrétiens byzantins ont construit là une grande basilique et un monastère qui devinrent centres de pèlerinages. L’auteur nous présente l’histoire des fouilles réalisées par l’Institut Biblique Franciscain de la Flagellation en 1933, 35, 37, et nous fait revivre la vie monastique de ces lieux, en utilisant des relations de l’époque, écrites par des pèlerins spécialement par Éthérie et Pierre l’Ibérique.
« Nous ne pûmes arriver en voiture que jusqu’au Djebel-en-Néba ; le reste du chemin, nous dûmes le faire à pied. Il soufflait ce jour-là un vent très fort et ce n’est pas sans difficulté que nous arrivâmes à Siaga pour y parcourir les ruines. Dans un coin à l’abri du vent, nous fîmes la lecture du dernier chapitre du Deutéronome et le récit de la visite d’Éthérie au sanctuaire de Moïse au Nébo. »
Tel est le récit de la première visite au Mont Nébo, le 29 décembre 1931, du jeune étudiant franciscain d’alors, le père Sylvestre Saller. Il devait devenir l’archéologue qui mit en lumière l’un des sanctuaires les plus importants de la Palestine : le mont Nébo, où mourut Moïse après avoir conduit le peuple élu jusqu’aux portes de la Terre Promise.
À travers les ruines du Siaga, le jeune étudiant voyait en esprit la « grande église » et les « divers monastères » construits tout autour, dont parle le pèlerin byzantin Pierre l’Ibérique. Dès lors, il n’eut plus qu’un désir : enlever les décombres et dégager les constructions qui honoraient la mémoire du grand législateur d’Israël.
Une fois obtenu le permis des autorités pour des fouilles à grande échelle, il fallait trouver des aides et la main-d’œuvre nécessaire. Il forma un groupe de religieux choisis, qui fut comme l’équipe dirigeante : P. Saller, directeur, P. Llul, architecte pour les plans ; P. Berardi, photographe, P. Antolin, dessinateur, P. Fuster, aide. Plus tard, vinrent se joindre à eux, le
P. Bellarmin Bagatti, spécialiste en archéologie chrétienne et le P. Schneider, spécialiste en céramique. C’était, croyons-nous, la première fois dans l’histoire de l’archéologie de Palestine qu’un groupe de religieux dirigeait et réalisait des fouilles. Le cas se renouvela pour Emmaüs, lorsque tous les religieux italiens y furent internés pendant la deuxième guerre mondiale : dirigeants et ouvriers, tous étaient religieux.
Au Nébo, il y eut d’abord 20 ouvriers, plus tard jusqu’à 70, la plupart, des chrétiens de Madaba et des Bédouins de la région.
278 jours de travaux, trois campagnes de fouilles
D’abord, les préparatifs : avant tout, il fallait créer une route pour pouvoir accéder en voiture ou en camion au Siaga, ensuite construire un abri pour l’équipe des dirigeants, car on était loin de toute agglomération.
Les fouilles durèrent 278 jours, divisés en trois campagnes successives : les étés de 1933, 1935, 1937. Jours d’un travail monotone : terrassements, photographies, plans, études de la céramique et des mosaïques.
Sauf quelques inscriptions, rien n’apparut que des restes d’édifices, que les archéologues furent heureux de pouvoir identifier avec les constructions byzantines déjà connues par les récits de voyages des anciens pèlerins, comme Éthérie et Pierre l’Ibérique.
Le résultat concret de ces 278 jours de fouilles permit de découvrir sur 6640 m², tout un ensemble d’édifices religieux, comportant une basilique avec son narthex, trois dépendances latérales et un grand parvis au centre, et, autour, trois monastères. Ces constructions sont de la fin du VIe siècle. Leur position sur la colline permettait de jouir d’une vue admirable sur toute la plaine. Tout autour étaient plantées des vignes. Ce sanctuaire dédié à Moïse devint par la suite un centre de pèlerinages.
Voici la reconstitution d’une journée de travail des moines, selon les récits des pèlerins. Après les offices du matin, chacun se dédiait à ses tâches particulières : l’un allait aux vignes, l’autre aux services du monastère ; d’autres s’occupaient des catéchumènes qui venaient se faire baptiser au sanctuaire de Moïse ; d’autres recevaient les pèlerins attirés par la renommée du sanctuaire et par « les prodiges, miracles, guérisons qui s’opéraient en ces lieux ». On accourait des villes voisines : Nébo, Hesbon, Philadelphie (ville actuelle de Amman, capitale de la Jordanie) ou de la Cisjordanie, c’est-à-dire la plaine du Jourdain. Il en venait de l’Occident, comme Éthérie, qui en plus des sanctuaires évangéliques de la Palestine, s’aventuraient à la visite lointaine du sanctuaire de Moïse, l’homme de l’Ancien Testament qui avait eu une telle intimité avec Yahvé.
Comment se présentait la basilique ?
Tous étaient reçus par les moines « avec la plus grande délicatesse » comme dit l’un des pèlerins. On était conduit directement au parvis, puis au grand escalier qui donnait accès au narthex, et on entrait dans la grande et belle église. On parvenait au cénotaphe de Moïse situé au bout de la nef latérale de droite. On y écoutait l’explication donnée par un moine sur l’origine du culte dédié à Moïse : « Un berger de la ville de Nébo, disait-il, s’approcha de ce lieu, en paissant ses brebis. Tout à coup il eut une vision dans laquelle lui fut montrée une grotte très grande inondée de lumière, d’où se répandait un suave parfum. Le berger était dans l’admiration, n’ayant jamais rien vu de pareil. Inspiré par une vertu divine, il osa descendre dans la grotte et vit un vieillard vénérable au visage resplendissant de grâce qui reposait sur un lit d’une grande beauté. Le berger comprit qu’il s’agissait de Moïse. Dans la crainte et dans la joie que l’on pense, il courut aussitôt vers la ville de Nébo pour faire connaître sa vision aux habitants, semant sur son chemin des cailloux pour pouvoir retrouver son chemin. Et tous d’accourir, et le berger, prenant Dieu à témoin, de leur dire : « C’est là que j’ai eu la vision. Je suis descendu dans cette grotte et j’y ai vu le saint prophète. J’ai pris de ces cailloux que vous voyez, j’en ai semé sur mon chemin pour être sûr de retrouver ce lieu, de peur que par ordre de Dieu le prophète ne vînt à disparaître. Les habitants de la ville furent persuadés de l’authenticité de la vision et s’empressèrent de réunir tout le nécessaire pour y construire un temple dédié au grand prophète et législateur qui manifestement et sans aucun doute proclame à tout le monde sa bonté et sa puissance par les prodiges, miracles et guérisons qui s’opèrent continuellement en ce lieu ».
Après les « prières et dévotions pour se mettre sous la protection du grand prophète », comme dit un pèlerin, et après avoir pris quelque pieux souvenir, les pèlerins, continuaient la visite de l’église : ils admiraient son élévation, les mosaïques du pavement, de l’abside et du baptistère : là venaient se faire baptiser les habitants des cités voisines, car la personnalité de Moïse rappelait le passage du peuple hébreu à travers la Mer Rouge, qui est considéré comme le symbole du baptême.
Ils visitaient ensuite la chapelle de la Vierge « Théotocos » comme on le lit inscrit sur le pavement : chapelle latérale, avec sanctuaire et autel reposant sur quatre colonnes et un parterre riche de mosaïques. De l’autre côté, à gauche, il y avait la salle des catéchumènes pour leur instruction catéchistique avant le baptême, et leur assistance à quelques cérémonies liturgiques de l’église.
Une visite au monastère
Après la visite de l’église, les pèlerins étaient conduits à une des cellules du monastère où on leur racontait l’histoire d’un saint moine égyptien qui y avait vécu plus de 40 ans sans jamais en sortir. Un peu plus loin, on passait aux appartements de l’Abbé. Le guide racontait là l’histoire des saints Abbés, comme Alexandre, Martirios, Théodore, célèbres par leurs vertus, leurs constructions et les embellissements qu’ils avaient apportés au monastère et à la basilique.
Puis on visitait les autres dépendances et, en particulier, la « chambre sépulcrale » (en face de la façade de l’église) qui, sur 3 m de profondeur, contenait les restes mortels des moines du monastère : 100 cadavres ont été trouvés par nos archéologues.
Les pèlerins montaient ensuite à une terrasse ou sorte de belvédère, d’où l’on jouissait d’un panorama incomparable, un des plus beaux de la Palestine par temps clair : le même qu’avait contemplé Moïse avant de mourir. Là le moine-guide faisait montre de son érudition biblique : sur ce mont, à gauche, le devin Balaam essaya, mais en vain, de maudire les Hébreux campés dans les steppes de Moab ; dans la vallée, la Mer Morte, le Jourdain, les villes principales : Jéricho, Livias, etc. Au fond, les montagnes de la Terre Promise avec leurs cités bibliques et évangéliques : Bethléem ; Jérusalem, Béthanie, Béthel, la Samarie, etc.… À droite, sur les plateaux de Moab, les villes bibliques de Hesbon (capitale du roi amorite Sihon), et Sasdra (capitale du roi Og), vaincues par les Hébreux avant leur entrée en Palestine. Plus bas, Bet-Péor, avec son sanctuaire au dieu moabite auquel sacrifièrent les Hébreux, ce qui suscita l’irritation de Moïse. Dans la plaine, les steppes de Moab, où Josué, successeur de Moïse, prépara dans tous ses détails la conquête de la Palestine.
Les pèlerins, comme nous aujourd’hui, restaient émerveillés devat le spectacle de ce lieu, théâtre de la moitié des événements de la Bible.
Origine du culte chrétien au Mont Nébo
L’origine de ce culte nous est encore inconnue. Le premier témoignage est du IVe siècle. Son histoire peut se diviser en trois périodes bien distinctes.
Première période (IVe-Ve s.) : sur la colline de Siaga, il n’y a qu’un petit édifice religieux, carré, à trois absides. Tout autour et sur les pentes de la montagne, vivaient des anachorètes dans des grottes ou petites cellules individuelles. C’est celui que visita Éthérie en 395.
Deuxième période (vers 437) : à cette date, on agrandit le sanctuaire, qui prend la forme d’une basilique, et on construit un monastère où les anachorètes entrent en vie de communauté. C’est l’évêque monophysite Pierre l’Ibérique qui nous renseigne sur cette église et ce monastère, car il les visita deux fois, en 430, puis 40 ans après. Cette église fut probablement détruite par un tremblement de terre (vers 530 ?).
Troisième période (VIe-VIIe siècle) : période la plus florissante. On reconstruit en l’agrandissant par les ajouts du baptistère et de la chapelle de la Vierge. Avec la conquête arabe de la Transjordanie et de la Palestine (632-38), la vie religieuse, intense jusqu’alors, commence à décliner, tout en continuant pendant tout le VIIe siècle. Peu à peu le monastère fut délaissé lorsque les chrétiens de Madaba et des villes voisines abandonnèrent leurs maisons pour chercher refuge dans des lieux plus en sécurité en Palestine. La vie du sanctuaire baisse alors de plus en plus, et tout tombe en ruines à cause des orages, du vent, des tremblements de terre. Le franciscain portugais, Fr. Pantaléon, ne peut visiter en 1564 que des ruines. On en arrive plus tard à oublier même l’emplacement de ce sanctuaire ; que l’on situe à 30 km plus au nord, sur le mont actuel de Oshua. C’est seulement en 1864 que le duc de Luynes retrouve le vrai Mont Nébo et les fouilles de 70 ans plus tard confirmèrent cette identification et remirent en lumière ce lieu historique, en le convertissant en pèlerinage.
Il faut espérer que les ruines de Siaga soient le plus tôt possible convenablement restaurées, pour qu’on puisse conserver ces restes artistiques et y rétablir le culte qu’y avaient introduit les chrétiens byzantins en faisant du Mont Nébo un grand sanctuaire, le plus beau de toute la Transjordanie.
Première mention
La Terre Sainte, Décembre 1932 Rubrique : Souvenirs bibliques et traditions
Après de longs siècles d’abandon et d’oubli, le Mont sacré avec ses souvenirs vénérables est enfin devenu la propriété des catholiques. La Custodie franciscaine de Terre Sainte en a fait l’acquisition dans les premiers jours d’octobre de cette année (1932 NDLR). Sans doute, au printemps prochain, après avoir obtenu la permission du département des Antiquités de la Transjordanie, les professeurs de l’Institiut Biblique Franciscain en commenceront l’exploitation archéologique qui, nous voulons bien l’espérer, apportera de nouvelles lunières historiques sur ce site.»
Dernière mise à jour: 27/12/2023 22:59