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Les défis de la Syrie qui se relève

Matteo Colombo
19 décembre 2018
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La Syrie commence à faire face à sa reconstruction. Le gouvernement de Damas établit de nouvelles normes, comme la loi n°10, mais qui ne favorisent pas les réfugiés. Notamment la question des droits de propriété sur l'immobilier qui ne sera pas facile à régler.


Le gouvernement syrien a récemment approuvé la loi n°10, une série de règles controversées visant à réglementer la reconstruction de certains quartiers de la région de Damas, qui s’étendra probablement à d’autres régions du territoire national. Le texte original de la loi accordait 30 jours aux Syriens pour revendiquer la propriété d’une maison ou d’un terrain, mais le président Bashar al Assad a ensuite décidé d’étendre cette période à un an. Sa décision fait suite à plusieurs critiques envers la loi, y compris celles de l’organisation Human Rights Watch.

Les opposants soulignent plus particulièrement combien ces règles rendent difficile l’obtention de la reconnaissance des droits de propriété. Pour confirmer la possession d’une ou de plusieurs propriétés, il faut se rendre dans la ville ou le village où l’on possède un bien immobilier ou alors envoyer à sa place un membre de sa famille. Cette procédure pourrait cependant s’avérer un vrai parcours du combattant pour près de 11 millions de Syriens qui ont dû quitter leur maison. Autrement dit environ la moitié de la population totale avant le conflit. De nombreux réfugiés ou personnes déplacées dans leur propre pays n’ont pas la possibilité de retourner dans leur lieu de résidence d’avant 2011 ni même de déléguer la démarche administrative à un parent. Parmi eux, il y a les cinq millions de Syriens – ou presque – résidant à l’étranger, notamment en Turquie (3,6 millions), au Liban (951 000) et en Jordanie (673 000), ainsi qu’une partie des six millions de personnes déplacées sur le territoire national. Celles-ci comptent soit des Syriens qui ont fui la persécution de groupes djihadistes pour trouver refuge dans les territoires contrôlés par le gouvernement, soit des Syriens qui ont échappé à la violence des forces loyalistes pour obtenir une protection dans les territoires contrôlés par les milices rebelles. Les premiers seraient en mesure de revendiquer leurs biens sans difficulté particulière, tandis que les derniers risqueraient d’être considérés comme des traîtres à la patrie ou susceptibles de mettre en danger la réputation de leurs proches.

De fait, de nombreux citoyens ont abandonné leur domicile pour éviter le service militaire obligatoire qui, depuis le début du conflit, n’a plus réellement de date de fin. Une telle infraction est passible d’un une incorporation forcée mais, selon la loi, la peine encourue inclut potentiellement 260 jours d’emprisonnement. Un autre problème est que de nombreux Syriens ne peuvent pas prouver qu’avant 2011, ils habitaient dans la maison qu’ils ont quittée. Une enquête récente menée par le Conseil norvégien pour les réfugiés indique que seulement 17% des réfugiés hébergés à l’étranger et 9% de personnes déplacées se trouvant encore dans le pays sont en possession des documents nécessaires pour prouver la propriété de leurs biens. En outre, les registres de logements situés dans les zones contrôlées par les opposants d’Assad ont été détruits, alors que certaines des maisons sont occupées par des milices armées et leurs familles.

Il convient également de souligner que plusieurs bâtiments se trouvant à la périphérie des grandes villes n’ont jamais été enregistrés au cours des années qui ont précédé le conflit. Par exemple, on estime qu’en 2004, environ 40% de la population vivait dans des logements illégaux aux alentours de Damas. Les quartiers où se trouvent les habitations illégales étaient souvent les épicentres de la protestation anti-Assad, et par conséquent, plusieurs des maisons situées dans ces zones ont été endommagées ou détruites. Enfin, beaucoup de réfugiés et de personnes déplacées risquent d’être accusés d’avoir participé à des manifestations anti-régime ou d’avoir eu des relations avec des miliciens dans les zones contrôlées par les rebelles. De telles plaintes les exposeraient à de graves risques personnels et pourraient mettre en danger la réputation de leurs proches dans un système où le népotisme règne en maître comme c’est le cas dans certaines régions de la Syrie.

Un autre thème sur lequel se concentrent les opposants à la loi n°10, est celui de la démographie. Le règlement confirme deux autres dispositions (décrets 63 et 66 de 2012), qui permettent au Ministère des Finances de prendre possession des propriétés de ceux qui sont qualifiés de « terroristes » ou de détruire des logements illégaux dans des quartiers désignés comme « zones de développement ». Les opposants pensent que ces deux règles, ainsi que la loi n°10, pourraient être utilisées pour modifier l’équilibre démographique dans certaines parties de la Syrie. La raison en est qu’une partie des maisons appartenant à des personnes qualifiées de terroristes seront données à des miliciens étrangers qui ont combattu aux côtés de l’armée syrienne pour les récompenser de leurs services rendus à la nation. En outre, l’Iran et la Russie, principaux alliés d’Assad, pourraient avoir tout intérêt à faire reconnaître la citoyenneté syrienne à certains de leurs anciens combattants ou citoyens essentiels pour influencer la politique intérieure. Le gouvernement syrien pourrait accepter d’étendre la citoyenneté aussi aux étrangers qui se sont battus pour défendre Assad et à leurs familles afin de renforcer les forces armées. En fait, la Syrie n’a pas assez de soldats pour contrôler son territoire, étant donné le nombre total de personnes engagées dans l’armée aujourd’hui, très loin des 250 000 hommes d’avant-guerre. De plus, le gouvernement pourrait accorder la citoyenneté à certains étrangers en mesure de contribuer à la reconstruction, vu que de nombreux syriens ingénieurs et experts en construction ont fui à l’étranger au tout début du conflit. Il faut également ajouter que le gouvernement syrien est trop faible pour s’opposer aux revendications de l’Iran et de la Russie, deux pays qui ont joué un rôle déterminant dans la victoire militaire d’Assad. Enfin, plusieurs réfugiés ayant participé de différentes façons à des mouvements d’opposition, soit au sein des milices armées soit comme activistes de la société civile, risquent de ne pas voir reconnus les droits de leurs propriétés antérieures. Parmi eux, on compte surtout des Syriens appartenant à la majorité arabe sunnite (environ 70% de la population avant le conflit), d’où proviennent la plupart des opposants d’Assad.

Enfin, il y a le thème de la reconstruction matérielle du pays. La situation économique en Syrie est dramatique, ce qui nécessite la contribution d’investisseurs étrangers pour retrouver les conditions économiques antérieures au conflit. La Banque mondiale estime que le coût de la guerre, incluant autant la perte du produit intérieur brut que le coût de la reconstruction, s’élève à presque 226 milliards de dollars. Cette charge financière est insoutenable pour un pays qui a perdu 57% de son PIB entre 2010 et 2015, et où la population vivant sous le seuil de pauvreté a atteint 83% de la population totale en 2015. Sans investisseurs étrangers, il faudrait des dizaines d’années rien que pour reconstruire les maisons des citoyens syriens endommagées ou détruites, correspondant selon les estimations de la Banque mondiale à 27% du parc immobilier. Dans ce scénario, les entreprises iraniennes, en particulier celles qui sont liées aux Gardiens de la Révolution, et les entreprises russes sont prêtes à jouer un rôle de premier plan. 

Obtenir le contrôle de nombreux projets de reconstruction reviendrait à rembourser l’effort de guerre des six dernières années et à renforcer l’influence du pays également sur le plan économique. Cependant, d’autres pays sont également prêts à jouer un rôle majeur dans la reconstruction, y compris ceux qui s’étaient opposés à Assad au tout début du conflit. Parmi eux, la Turquie, mais aussi plusieurs pays occidentaux et du Golfe. Le gouvernement syrien a pour objectif de permettre aux anciens ennemis de participer à la reconstruction en échange d’une réhabilitation politique complète. Une stratégie qui a déjà porté ses premiers fruits, comme en témoigne la probable réouverture de l’ambassade des Emirats Arabes Unis d’ici quelques semaines. D’autres pays pourraient prendre des décisions similaires ces prochains mois, lorsque les ennemis d’hier se retourneront pour considérer Assad comme le représentant légitime de la Syrie et pour participer au grand business de la reconstruction.

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