“Voici le bois de la Croix, où fut pendu le Christ, Sauveur du monde. Venez, adorons!“. Ce que les croyants font symboliquement le Vendredi saint en embrasant une croix, les pèlerins du Saint-Sépulcre le font mais en vénérant le bois de la vraie croix. Comment la vraie croix a-t-elle pu arriver jusqu’à nous ? Relation d’une tradition.
En témoigne le saint bois de la croix, pour nous encore visible”. La croix était déjà vénérée au IVe siècle puisque l’évêque de Jérusalem Cyrille en parle dans les années 340.
Une quarantaine d’années plus tard, on sait comment les pèlerins vénéraient la croix. “Un par un, tous se courbant, ils touchent la croix avec leur front puis avec leurs yeux, puis ils embrassent la croix et s’en vont.” Égérie précise : “On raconte que quelqu’un a arraché avec ses dents et volé un morceau de la croix sacrée. C’est pourquoi elle est gardée par des diacres de part et d’autre, au cas où quelqu’un s’aventurerait à recommencer.” La pèlerine Égérie séjourna à Jérusalem entre 381 et 384. Elle ne fait pas mention d’Hélène, mais elle explique que la croix était exposée et vénérée le 14 septembre, jour de la dédicace de l’église du Saint-Sépulcre.
Sous la plume de saint Ambroise
Le premier qui relie la découverte de la croix à sainte Hélène est saint Ambroise, en 395. Dans l’oraison funèbre de l’empereur romain Théodose, il fait le récit suivant : “Elle [Hélène, la mère de Constantin] commença par visiter les lieux saints. L’Esprit lui souffla de chercher le bois de la croix. Elle s’approcha du Golgotha et dit : “Voici le lieu du combat ; où est la victoire ? Je cherche l’étendard du salut et ne le vois pas.” Elle creuse donc le sol, en rejette au loin les décombres. Voici qu’elle trouve pêle-mêle trois gibets sur lesquels la ruine s’était abattue et que l’ennemi avait cachés. Mais le triomphe du Christ peut-il rester dans l’oubli ? Troublée, Hélène hésite. Elle hésite comme une femme. Mue par l’Esprit saint, elle se rappelle alors que deux larrons furent crucifiés avec le Seigneur. Elle cherche donc la croix du milieu. Mais, peut-être, dans la chute, ont-elles été confondues et interverties. Elle revient à la lecture de l’Évangile et voit que la croix du milieu portait l’inscription : “Jésus de Nazareth, Roi des Juifs”. Par là fut terminée la démonstration de la vérité et, grâce au titre, fut reconnue la croix du salut”. D’autres versions parlent d’un mort ressuscité au contact de la croix.
Le pèlerinage de la mère de Constantin eut lieu entre 326 et 328. Inspiratrice de la conversion de son fils et de l’Empire, elle aurait transformé de nombreux temples en églises. Un des temples avait été édifié sur le lieu de pèlerinage chrétien du Golgotha. Ce temple aurait fait partie des plans de reconstruction de Jérusalem. Après la révolte juive de Bar Kokhba (132-135), les Romains avaient rasé la ville. Par décision de l’empereur Hadrien, ils auraient ainsi transformé un lieu de mémoire chrétien dans l’intention de paganiser la ville rebelle. L’inventio crucix (“invention” pour découverte de la croix) alors que l’Empire romain devient chrétien, c’est le début de la tradition de la croix.
“L’évêque [de Jérusalem] distribue quelques fragments de la croix aux pèlerins, pour affermir leur foi (…). Ce qui est merveilleux, c’est que quoique d’une matière inerte, elle a néanmoins la propriété des corps vivants ; depuis son invention on en détache sans cesse des parcelles pour satisfaire une foule de demandes, sans qu’elle éprouve aucune altération.” Peu après l’invention de la croix – Saint Paulin de Nole écrivit cette lettre à peu près en 403 – des reliques commencent à être dispersées.
Au début du VIIe siècle, les Perses s’emparèrent d’une partie importante de l’Empire romain d’Orient. Ils prirent et pillèrent Jérusalem en 614, emportant avec eux la relique de la croix du Saint-Sépulcre. En 630, l’empereur byzantin Héraclius la rapporta lui-même à Jérusalem, à la suite d’une contre-attaque victorieuse contre les Perses en 622. Il reprit les territoires perdus jusqu’à défaire les Perses à Ninive en 627.
Aux mains des latins
Jérusalem fut prise en 638 par les Arabes qui vainquirent les Byzantins et les Perses affaiblis par 15 ans de guerre. Ils laissèrent aux chrétiens de Jérusalem une liberté de culte, jusqu’au califat fatimide d’Al-Hâkim au Xe siècle. En 1009, sous la pression d’un islam moins libéral, les chrétiens auraient enterré leur portion de la croix, qui aurait été redécouverte par les Croisés. Ceux-ci l’emmenaient au devant de l’ennemi lors de leurs batailles. Prise par Saladin lors de la défaite de 1187, elle disparaît alors définitivement. Une légende raconte que le pape Urbain III (1185-1187) aurait succombé à la nouvelle.
Lorsque les Vénitiens détournent la quatrième croisade (1203) et que les Croisés mettent à sac Constantinople, ils s’emparent de la relique impériale. Datant de sainte Hélène, elle était gardée à la chapelle palatine du Phare. Saint Louis racheta ainsi une partie de la relique aux Vénitiens en 1238 et fit construire en 1242 la Sainte-Chapelle pour l’y enchâsser.
La tradition de la croix est très populaire au Moyen-Âge. L’évêque Voragine rapporte dans la Légende Dorée plusieurs développements de la tradition. Dans une version, Seth – le fils d’Adam – plante trois pousses de l’arbre de la Compassion dans la bouche de la dépouille de son père. Dans le bois de ces trois arbres ont été taillées les trois croix de Jésus et des larrons. Selon une autre version, Seth planta sur la tombe de son père une pousse de l’arbre de la Connaissance dont ses parents avait goûté le fruit. L’arbre de la tombe d’Adam aurait été coupé quelques siècles plus tard et utilisé pour un pont. Lors de sa visite à Salomon, la reine de Saba fut arrêtée à ce pont, tomba à genoux et révéra le bois. À Salomon, elle aurait dit que la pièce de bois de ce pont entraînerait une nouvelle alliance de Dieu avec les hommes. Inquiet pour son peuple, Salomon fit alors enterrer le bois. Mais après 14 générations, le bois refit surface et on le transforma en croix. Pietro della Francesca a réalisé une célèbre illustration de cette légende : un cycle de fresques à la basilique (franciscaine) Saint-François, à Arezzo en Toscane.
“Si tous les morceaux [de la croix] que l’on peut trouver étaient rassemblés, on pourrait charger un gros navire. Pourtant l’Évangile rapporte qu’un homme seul pouvait la porter.” Cette célèbre moquerie de Calvin (Traité des reliques) est démentie par Charles de Fleury (Mémoires sur les instruments de la Passion). Il a établi le catalogue de toutes les reliques connues et affirme qu’avec toutes les reliques de la croix, on ne pourrait pas reconstituer plus du tiers d’une croix de 3 ou 4 m de haut.
Le monastère du mont Athos en Grèce possède le plus gros morceau de relique : il fait 5 cm3. La relique de la Sainte-Chapelle à Paris, la moitié de ce volume. Examinés au microscope, quatre morceaux (de Santa Croce à Rome, de Notre-Dame à Paris, des cathédrales de Pise et Florence) sont en olivier.
Reste une question : où a-t-on coupé l’arbre qui a servi à faire la croix du Christ ?
Dernière mise à jour: 30/12/2023 14:36