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Les écoles latines de Jordanie: haro sur une publication

Christophe Lafontaine
10 décembre 2018
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Le 9 décembre, les écoles du Patriarcat latin en Jordanie ont dénoncé la publication d’une image injurieuse pour les chrétiens sur un média à forte influence. Le ministère de l’Education est appelé à réagir et à agir.


Al Waqueel news est dans le collimateur des écoles du Patriarcat latin en Jordanie. Cette chaîne de télévision jordanienne a publié sur son site web « un message qui insulte le Seigneur Jésus-Christ qui est offensant pour tous ceux qui croient en Lui », ont déploré le 9 décembre dans un communiqué les écoles du Patriarcat latin installées dans le royaume hachémite. D’autant plus que l’acte, d’après les écoles, a été répété sur ce site web et ailleurs. L’image qui suscite le vif émoi des écoles catholiques est un photomontage d’une huile sur toile de Philippe de Champaigne, intitulé La Cène, représentant un célèbre boucher turc – connu pour ses vidéos sur Youtube – au milieu de Jésus et ses apôtres. Depuis, fait savoir l’agence de presse Fides, al Wakeel a retiré l’image litigieuse et a publié un message d’excuse qui a nié toute intention d’offenser les « frères chrétiens de notre patrie bien-aimée » reportant l’erreur sur un employé, en annonçant des mesures disciplinaires punitives à son encontre.

Mais dans leur déclaration qui se veut une « sonnette d’alarme » les écoles latines en Jordanie constatent que dans le passé « de telles pratiques se sont soldées par des excuses ou des justifications qui ne correspondent pas à la réalité », publiée sur ces mêmes pages.

C’est pourquoi elles veulent passer au stade supérieur. Non seulement, elles entendent – en s’exprimant avec « tous les travailleurs de [leurs] écoles » qu’ils soient musulmans et chrétiens – dénoncer et condamner une erreur qu’elles qualifient de « grave. » Mais plus encore, elles demandent au ministère jordanien de l’Education de condamner officiellement de tels agissements et de surtout « suivre la question au niveau judiciaire », car cela porte à de graves conséquences en matière d’éducation, alertent-elles. Les écoles latines en Jordanie n’ont de fait pas manqué de souligner en amont, dans leur communiqué, que les médias dont il est question « ont un impact fort et direct sur la communauté locale. » Ce qui est bien sûr « regrettable », car cela risque d’entretenir chez certains « la haine, le rejet des autres, ainsi que l’intolérance », estiment les auteurs du communiqué.

De la réforme des programmes scolaires

C’est pourquoi, les écoles latines en Jordanie ne veulent pas en rester là et demandent au ministère de l’éducation « d’accélérer le processus de mise à jour des programmes » dispensés dans les établissements scolaires. Les écoles catholiques latines voyant dans le comportement d’une certaine presse en Jordanie, le résultat de programmes qui n’inspirent, selon elles, ni le respect des autres, ni l’acceptation des autres ni le bien-vivre ensemble. Risquant de mettre en péril, on le comprend bien, le tissu social jordanien. Et encourageant des modes de pensée dangereux chez les jeunes générations. 

En février 2016, Mgr Maroun Lahham, alors vicaire patriarcal pour le diocèse du Patriarcat latin de Jérusalem en Jordanie, pointait déjà du doigt le fait que des manuels scolaires ignoraient « totalement la présence chrétienne en Jordanie jusqu’à l’arrivée de l’Islam au VIIème siècle, sans parler de fausses notions en présentant le Christianisme, toujours d’après la vision de l’Islam. »

Depuis, un début de réforme a été initié par le ministère jordanien de l’Education visant à réorganiser les programmes scolaires pour lutter contre les influences de l’extrémisme islamique dans la société jordanienne. Des modifications ont été apportées par petites touches pour la rentrée 2016-2017 concernent l’islam, l’histoire, l’arabe et l’éducation civique. Soixante-dix modifications – certes minimes mais notables – ont été apportées dans les ouvrages scolaires. Par exemple, les chrétiens sont dorénavant reconnus en tant que composante démographique de la population. Pages illustrées avec des photos d’églises. Des textes du Coran et des paroles du prophète Mahomet sont moins disséminés dans les différents manuels et on peut voir aussi l’image de femmes non voilées.

Mais les promesses de révision du programme n’ont pas abouti jusqu’à présent à une réforme en profondeur. Les écoles latines de Jordanie, dimanche, ont demandé au ministre de l’Education de passer à la vitesse supérieure. Mais, de fait, la Jordanie actuelle hérite de l’influence qu’ont eue les Frères musulmans dans les sphères du pouvoir notamment à la fin des années quatre-vingt où l’un des leurs devint ministre de l’Education. « Ils y ont introduit des pratiques dont on souffre encore aujourd’hui », s’était plaint Mgr Lahham en février 2016 une trentaine d’années plus tard. Soit plus d’une génération plus tard. Les Frères musulmans avaient alors notamment propagé une idéologie visant à réduire les droits des communautés chrétiennes afin d’affirmer la supériorité politique de l’Islam.

La Jordanie, pays musulman à 97%, n’est pas pour autant un foyer de l’Islam dur et l’influence des Frères musulmans, que le pouvoir a divisés, est contenue aujourd’hui. Mais cet incident médiatique que dénoncent les écoles catholiques latines en Jordanie survient à un moment où le pouvoir se trouve fragilisé à Amman. Le roi Abdallah II a changé de Premier ministre au début de l’été dernier, afin de faire retomber les contestations sociales fomentées dans le pays au regard de la politique fiscale du royaume ainsi que de la précarité grandissante d’un cinquième de la population. L’afflux des réfugiés (de Syrie et d’Irak) et une économie dégradée peuvent apparaître comme un terreau propice à la recrudescence de certains mouvements islamistes. Comme on l’a vu dernièrement derrière les manifestations en Jordanie dont figurent parmi les principaux acteurs, les Frères musulmans.

C’est dans ce contexte fragile que les écoles latines du Patriarcat de Jérusalem implantées en Jordanie sont montées au créneau « à un moment où nous (ndlr : les Jordaniens) avons surtout besoin d’efforts massifs pour faire face aux circonstances délicates que traverse notre pays. » Afin que la Jordanie soit protégée « des idéologies extrémistes » et continue d’être « un bon modèle sous la sage direction dirigée par les Hachémites », soutiennent-elles. La Jordanie est en effet connue pour avoir à sa tête un roi qui prône un islam modéré. Le monarque hachémite a d’ailleurs reçu en novembre dernier le prestigieux prix Templeton qui est décerné aux acteurs s’étant distingués pour leurs activités dans l’entraide et la compréhension interreligieuse. Le roi de Jordanie est le premier chef d’Etat à être récompensé. En recevant son prix, le roi Abdallah a déclaré : « Tout ce que vous saluez en moi ne fait que perpétuer ce que les Jordaniens ont toujours fait et la manière dont les Jordaniens ont toujours vécu : dans la bienveillance, l’harmonie et la fraternité mutuelles. » En 2004, le souverain avait lancé son fameux « Message d’Amman », qui visait à clarifier les messages essentiels et pacifiques de l’Islam. Puis, en 2010, il avait proposé l’établissement aux Nations unies de la Semaine mondiale de l’harmonie interconfessionnelle qui, depuis, est célébrée tous les ans en février.  

 

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