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Les enfants fantômes d’Alep

Terrasanta.net
29 novembre 2018
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Des milliers d'orphelins et d'enfants abandonnés, souvent des enfants de combattants djihadistes, sont le legs de la guerre. Un projet pour les aider prend forme à Alep, présenté par Mgr Abou Khazen.


Ecoles fermées, cours interrompus, droit à l’éducation refusé. Les conséquences de la guerre en Syrie touchent les enfants, ceux qui ont fui avec leur famille, tout comme ceux qui sont restés enfermés chez eux à cause du danger que représentent les snipers et les bombes. Subsistent les traumatismes, comme celui d’avoir vu de ses propres yeux un membre de sa famille tué, chez soi ou dans la rue. Les mineurs sont surtout victimes des conséquences qui persistent dans la période d’après-guerre. Mais il y a parmi eux, un groupe plus vulnérable encore : les enfants « fantômes », les enfants non désirés, les enfants nés de l’occupation et durant les sièges, ceux des femmes violées, ces enfants dits de la honte (comme pendant la guerre de Bosnie). Des personnes qui, sans avoir commis aucune faute, sont considérés comme un symbole de l’horreur.

« Rien qu’à Alep, ils sont environ 2 000. C’est l’une des conséquences de sept années de guerre – affirme Mgr Georges Abou Khazen, vicaire apostolique des catholiques latins, et franciscain de Terre Sainte -. Selon le ministre des Affaires sociales, Kinda al-Shammat, ils seraient près de 5 000. Mais même s’ils n’étaient que quelques centaines… ce sont les enfants des djihadistes, ces gens qui ont abandonné leurs enfants. Ils vivent dans la rue ou dans des appartements à moitié détruits ». La plupart d’entre eux ont entre 4 et 7 ans. Ils ne sont pas déclarés, ils ne connaissent pas leur père ni même parfois leurs deux parents, il arrive qu’ils soient pris en charge par des frères et des sœurs un peu plus âgés.

Alep, centre industriel et commercial de la Syrie, a été déchirée par l’un des fronts les plus violents de la guerre. Entre 2012 et 2016, les affrontements entre les forces gouvernementales et les rebelles ont divisé la ville. Des milliers d’Alépins sont morts et des centaines de milliers ont fui des quartiers détruits. Même si en 2016, les forces de Damas ont repris le contrôle de la ville, la vie y demeure extrêmement difficile, en particulier dans la zone Est reconquise avec l’aide des Russes et des Iraniens. Ici, le problème des enfants abandonnés est plus délicat encore.

Mgr Abou Khazen en a parlé à Milan le 8 novembre, lors d’une conférence sur la Syrie à la Bibliothèque Ambrosienne et lors de la Journée annuelle des associations de volontaires engagés pour la Terre Sainte, qui a eu lieu à Rome le 10 novembre. « Nous avons distribué des vivres alimentaires aux familles, par le biais d’instituts religieux – a-t-il dit, en décrivant le quotidien des Alépins -. Nous avons fourni des livres, contribué aux frais de scolarité et universitaires. Nous avons distribué des médicaments et permis des visites médicales. Trois hôpitaux, appelés les « Hôpitaux ouverts », sont gérés par des religieux catholiques. L’un d’entre eux se trouve à Alep, où les sœurs de Saint-Joseph reçoivent indistinctement tous les malades, musulmans et chrétiens. »

L’évêque franciscain s’est concentré principalement sur le drame des enfants abandonnés. « Ils existent et n’existent pas car ils ne sont pas déclarés, et sans déclaration de naissance, ils ne peuvent pas être inscrits à l’école. Le parlement étudie une loi ad hoc pour pouvoir les régulariser. Face à ce drame humain, les franciscains ne peuvent pas se taire ». Souvent, les enfants sont cachés, par honte, pour ne pas créer de scandale. Aucune aide publique ne peut donc parvenir aux petits et à leurs mères.

C’est pourquoi l’évêque a lancé une initiative pour répondre aux besoins les plus urgents, avec frère Firas Lutfi et Ahmad Badreddin Hassoun, grand mufti d’Alep. L’adoption n’étant pas envisagée dans la culture islamique, le mufti a mené une étude selon laquelle, dans le respect de la religion, une famille musulmane puisse accueillir un enfant et le garder jusqu’à ses 18 ans. Il ne peut transmettre ni le nom de famille ni l’héritage ; mais son avenir est tout de même garanti s’il est pris en charge dans sa jeunesse.

Cependant, pour que les familles puissent accueillir des enfants en situation très difficile, une aide est nécessaire. Le projet s’appelle Un nom et un avenir : « Un nom pour qu’ils puissent être déclarés et un avenir pour les aider à avoir des perspectives – explique Mgr Abou Khazen. Beaucoup risquent d’être utilisés. Plane la menace de préparer une nouvelle génération de combattants de l’Etat islamique ; or ils sont des êtres humains innocents qui méritent d’être aidés ».

Le projet est géré par l’association ATS pro Terra Sancta, qui s’occupe de la collecte de fonds et de la mise en œuvre sur le terrain. Ce projet a plusieurs objectifs : répondre aux besoins alimentaires et autres nécessités de base ; apporter une aide psychologique pour atténuer les traumatismes causés par la guerre ; travailler sur le rôle des femmes mères en les aidant à devenir financièrement autonomes.

Nous voulons toucher 500 familles, qui seraient accueillies dans un centre prévu à cet effet, et environ 2 000 autres enfants (avec leurs mères) qui pourront bénéficier d’aide hors du centre. D’ici un an, l’ATS envisage d’ouvrir quatre centres d’accueil dans la ville. La concrétisation du plan d’aide dépend de la collaboration avec les personnes les plus influentes des quartiers : des gens qui connaissent la situation locale, indiquent les cas les plus urgents, présentent les enfants. La collaboration avec les autorités musulmanes est importante, pour qu’il soit clair qu’il s’agit bien d’actions de charité et non pas de prosélytisme.

« Nous n’étions pas préparés à la crise – observe Mgr Abou Khazen -. Nous n’étions pas équipés pour faire face à tant d’urgences. Si nous pouvons offrir de l’aide, c’est uniquement grâce à de nombreux bienfaiteurs étrangers ». D’une forme d’assistance, les aides ont désormais vocation à devenir un soutien vers l’autosuffisance. Pour restaurer la dignité des personnes, il est important d’encourager le retour des nombreux Alépins qui ont fui leur ville, en particulier les jeunes. « La communauté chrétienne, catholique, orthodoxe, évangélique, a été décimée – ajoute-t-il -. Sur les 185 000 chrétiens à Alep, il n’en reste pas plus de 40 000. Nous nous demandons si les autres reviendront. Nous n’avons pas seulement aidé les chrétiens, mais tous ceux qui en avaient besoin. Nous ne nous sentons pas comme une minorité abandonnée et écrasée, mais membres de la grande famille de l’Église ».

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