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Comprendre la Shoah, une étape vers la paix

Fanny Houvenaeghel
31 janvier 2012
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Khaled Kasab Mahameed (pull rayé) à Jenine où se tient son exposition permanente sur la Shoah. Un autre coin de la salle est réservé à la Naqba, la catastrophe pour les Palestiniens. © Fanny Houvenaeghel

Quand il a vu les juifs dresser le mur de séparation, Khaled a voulu comprendre quel traumatisme justifiait de telles protections.
Il s’est rendu à Yad Vashem. Depuis, il essaie de faire appréhender par les Palestiniens l’horreur de la Shoah.


♦Nombreux sont les Palestiniens qui n’ont jamais entendu parler des 6 millions de Juifs tués au cours de la Seconde-Guerre-Mondiale, leurs livres scolaires n’accordant souvent que quelques lignes à cet épisode de l’histoire quand ils ne le passent pas sous silence. D’autres reconnaissent le génocide mais y voient une justification pour leurs ennemis d’avoir pris leurs terres, et sont plus critiques que compatissants. Enfin, certains nient tout simplement sa véracité. Pourtant, la Shoah est la chose qui de nos jours façonne le plus la société israélienne et la politique du gouvernement.
Khaled Kasab Mahameed est avocat arabe israélien de Nazareth. En 2005, il s’est rendu au pied du mur de séparation qui serpente le long de 730 kilomètres en Israël et dans les territoires palestiniens. Khaled s’est alors décidé à essayer de comprendre le traumatisme subi par les juifs pour qu’ils en soient arrivés à construire ce mur. Il s’est rendu à Yad Vashem (le musée de l’Holocauste à Jérusalem) avec ses enfants, et s’est trouvé désarmé devant l’horreur de ce qu’il voyait. Il a compris le soutien de la communauté internationale à la création de l’État d’Israël, et s’est dit que mourir aujourd’hui parce qu’on est juifs c’est encore la Shoah.

Comprendre et partager

De retour à Nazareth, Khaled a installé un petit musée dans une pièce de son bureau. Il a exposé des photos de la Shoah, des déportés palestiniens pendant la Naqba et aussi du mur de Berlin. Son but est de montrer qu’il y existe des victimes dans toutes les situations, et que les murs sont voués à tomber un jour ou l’autre. Il a dépensé 5 000 euros, édité une brochure en arabe sur la Shoah et l’a illustrée d’un tas de photos tirées de Yad Vashem. Il dépose ses brochures un peu partout, dans les salles d’attente, les librairies, les distribue dans la rue. Il les retrouve parfois dans la poubelle quelques minutes après les avoir distribuées, mais il ne perd pas espoir. Par ailleurs, il se déplace chaque semaine dans les villes, villages et camps de réfugiés palestiniens pour éclairer la population sur la Shoah. Il explique que la politique de sécurité israélienne trouve ses racines dans cette peur-là et montre des photos de détenus dans les camps de concentration et d’extermination.
Tout n’est pas toujours facile. Khaled est parfois reçu très froidement par des gens hostiles à sa démarche, et il est en conflit avec certains membres de sa famille qui l’accusent de sympathiser avec l’ennemi. Une de ses conférences a été annulée suite à des rumeurs selon lesquelles il était employé par le gouvernement israélien. Quand il s’est rendu à Edna, un village palestinien, les murs étaient recouverts de photos de « martyrs » palestiniens. Beaucoup d’enfants du village ont déjà passé de longs séjours dans les prisons israéliennes. Lorsqu’il a fait passer une photo d’un détenu juif devant une fosse de cadavres nus, les auditeurs se sont tus. « Cet homme, ce survivant de la Shoah, il est venu en Israël. Pouvez-vous imaginer les cauchemars qu’il a en tête ? ».

Le déni de la shoah ? Une erreur

Les photos font souvent l’effet d’une bombe dans les esprits, une bombe qui amène à la réflexion. Pour Khaled, les Palestiniens doivent comprendre la Shoah, sa place dans la psychologie des Israéliens et leur obsession pour la sécurité. L’avocat est conscient qu’il est très difficile de parler de ce sujet tabou, mais il estime que la compréhension de la souffrance de l’autre permettra à terme un dialogue plus aisé et constructif entre Israéliens et Palestiniens. Selon lui, l’ignorance et le déni de la Shoah sont irrationnel et va à l’encontre du but recherché : cela sert surtout à discréditer la cause palestinienne aux yeux du reste du monde.
Yad Vashem offre aujourd’hui une page en langue arabe sur son site en Internet, et met à disposition des guides audio d’explication. Si cette nouveauté va dans le sens de la démarche de Khaled, des incompréhensions demeurent encore quant à la démarche de cet avocat. Nombreux sont ceux qui doutent de sa sincérité, comme la Ligue Antidiffamation (ADL, une organisation non gouvernementale américaine) qui l’a accusé de se servir du musée pour comparer la Shoah à la Naqba.
Khaled réfute une telle accusation. Il estime même que les Israéliens devraient être d’autant plus enclins à faire la paix avec les Palestiniens du fait de l’humiliation qu’ils ont vécue. Il se sert donc de la morale des Israéliens pour dénoncer leur comportement en Cisjordanie, et pour les inciter à traiter les Palestiniens plus humainement. Il est clair que l’Holocauste ne peut justifier la violence, et Khaled pense que les Israéliens commettent une grande erreur en reportant leurs souffrances passées sur les Palestiniens d’aujourd’hui. « Si les Juifs se considèrent comme les seules victimes, les Palestiniens aussi portent la Shoah sur leurs épaules ».
La route est longue mais l’énergie est là. Changer les mentalités et déconstruire les idées reçues est un processus difficile. Khaled lui espère que les barrières peuvent encore tomber n

Dernière mise à jour: 01/01/2024 00:34

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