Sous la pression des Eglises de Jérusalem, Benjamin Netanyahu est intervenu pour freiner l’examen d’un projet de loi qui autoriserait l’Etat à saisir les terres vendues par elles. Mais report ne veut pas dire retrait.
Week-end mouvementé en Terre Sainte. Un projet de loi, soutenu par le ministre de la Justice israélien, Ayelet Shaked, autorisant l’Etat hébreu à confisquer les terres en Israël vendues par les Eglises de Terre Sainte à des promoteurs privés, devait être à l’ordre du jour à la Knesset (le parlement israélien) le dimanche 21 octobre. Au nom des 13 dénominations chrétiennes de Terre Sainte, les Eglises grecque-orthodoxe, franciscaine et arménienne en Terre Sainte, alertées de cet agenda inattendu, ont vivement exhorté le Premier ministre israélien à « bloquer le projet de loi une bonne fois pour toutes », peut-on lire dans une lettre adressée le 19 octobre à Benjamin Netanyahu que l’AFP a eue entre les mains. Le Times of Israel indique également que « des pressions ont aussi été exercées vendredi sur le Premier ministre par le groupe Hellenic-Israel Alliance » – un puissant caucus de sénateurs américains, initié il y a cinq ans pour encourager les relations entre la Grèce, Chypre et Israël.
Face à cette bronca, Benjamin Netanyahu est intervenu pour que la discussion du projet de loi par le comité chargé à la Knesset d’approuver le texte soit reportée d’une semaine. « Même si la possibilité qu’il soit encore une fois ajourné à l’avenir n’a pas été exclue », souligne le Times of Israel. Sur son compte Facebook en arabe le patriarcat grec-orthodoxe annonçait dimanche matin que Benjamin Netanyahu avait annoncé qu’il ferait retirer le projet. Mais à l’heure où est écrit cet article, aucune déclaration officielle n’a été faite en ce sens. La menace demeure donc.
Le projet de loi parrainé par la députée du parti centriste Kulanu, Rachel Azaria, a été mis sur pied après la révélation que le patriarcat grec-orthodoxe avait vendu certains terrains qu’il possédait à Jérusalem, à des investisseurs anonymes. La parlementaire israélienne ambitionne de protéger des spéculations immobilières, les centaines de résidents de quartiers tels que Rehavia, Talbieh et Nayot à Jérusalem qui vivent sur des terres qui, jusqu’à récemment, étaient la propriété de l’Eglise orthodoxe. Cette Eglise, deuxième propriétaire terrien le plus important du pays après l’Autorité des terres d’Israël, louait et loue ses terres sous la forme de baux emphytéotiques signés dans les années 1950 entre l’Eglise et l’Etat d’Israël, via le Fonds national juif. Ces contrats établissent qu’à expiration du bail, toutes les habitations construites sur ces terrains reviennent à l’Eglise. Or, les résidents s’attendaient à ce que ces baux soient prolongés. La question pour eux est désormais de savoir si les habitants installés sur des terrains immobiliers vendus à des investisseurs privés se verront renouveler les baux une fois arrivés à terme. Les résidents vivant dans ces maisons craignent que les promoteurs privés en achetant aux Eglises, soient libres de faire ce qu’ils veulent avec leurs biens : augmentation des loyers, expulsions, destruction des maisons, etc. Voilà pourquoi Rachel Azaria souhaiterait que l’Etat d’Israël puisse se saisir de ces terres vendues, en compensant financièrement les investisseurs.
Atteinte aux droits de vente et donc de propriété
Mais les Eglises chrétiennes depuis que le texte a été déposé la première fois à la Knesset en juillet 2017 se refusent de passer sous les fourches caudines car elles voient dans cette proposition de loi une atteinte à leurs droits de vente et donc de propriété.
Le courrier du 19 octobre dernier signé par le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem, Théophilos III, le Frère Francesco Patton, Custode de Terre Sainte, et le patriarche arménien de Jérusalem, Nourhan Manougian, n’est pas leur premier coup de pression. Les Eglises chrétiennes de Terre Sainte ont été littéralement piquées au vif et n’ont guère apprécié d’être flouées face à la réapparition dans les couloirs parlementaires israéliens du projet de loi qu’elles considèrent dans leur dernière lettre comme « humiliant ». Pourtant, le gouvernement israélien avait en février dernier annoncé la suspension de l’examen de cette proposition de loi après la fermeture de la basilique du Saint-Sépulcre décidée par les Eglises de Jérusalem en guise de protestation. En juin dernier, rebelotte, le projet de loi jouait l’arlésienne camouflée sous une nouvelle version qui avait rayé toute référence aux Eglises et été réintitulé sobrement « les terres louées qui ont été vendues. » Mais les Eglises n’étaient pas restées dupes et avaient estimé dans un courrier, là aussi adressé au Premier Ministre, que si elles le jugeaient nécessaire elles riposteraient. Les trois chefs des Eglises chrétiennes de Jérusalem, qui partagent la garde du Saint-Sépulcre critiquaient « un projet de loi scandaleux. » Ou encore : « une attaque systématique et sans précédent contre les chrétiens de Terre Sainte. » Un texte capable de violer « les droits les plus élémentaires » et de saper « le délicat tissu de relations » construit il y a des décennies entre les communautés chrétiennes locales et l’Etat hébreu. En clair, une menace pour le statu quo entre l’Etat et les institutions non-juives. Benjamin Netanyahu avait finalement accordé dans une lettre signée en juillet, indique l’AFP, « des garanties sur le retrait du projet de loi ». La menace n’a visiblement pas été totalement écartée.
Pour mémoire, le projet de loi qui était revenu sur le devant de la scène en février avait semé le trouble en même temps que la question de l’arnona, la taxe d’habitation israélienne. La municipalité de Jérusalem souhaitait appliquer le recouvrement des impôts sur les biens des Eglises qu’elle considère comme commerciaux (hôtellerie, restauration, boutiques de souvenirs, etc.) Les lieux de culte et les établissements scolaires n’étant pas concernés. A noter que les Eglises ont toujours été exemptées depuis l’époque ottomane.
Face à la réaction des Eglises sur ces deux points, le gouvernement de Benjamin Netanyahu avait annoncé une concertation avec le ministre de la coopération régionale, Tzachi Hanegbi. Ce dernier « a rencontré les responsables religieux pour la première fois le 13 septembre et il leur aurait dit que la législation n’était plus d’actualité pour le moment. », a rapporté le Times of Israel dans son édition du 22 octobre.
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