Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Frère Francesco Patton: « En Terre Sainte, je ferai partie du rêve de Dieu »

Propos recueillis par Giuseppe Caffulli
30 mai 2024
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Gardien du Saint-Sépulcre. Le titre officiel du Custode de Terre Sainte est “Gardien du Mont Sion et du Saint Sépulcre” ©Nadim Asfour/CTS

A l’issue d’un long processus consultatif des frères de la Custodie, le Ministre Général et son conseil ont élu comme provincial des franciscains de Terre Sainte le père Francesco Patton. Une surprise pour tous puisque le nouveau custode ne connaît pas la Terre Sainte. Sa densité spirituelle traduit certainement quel franciscain est devenu custode.


Père Custode, votre nomination a incontestablement été une surprise…

Plus qu’une surprise : cela a été un choc. Jamais, vraiment jamais, je n’aurais imaginé être nommé custode de Terre Sainte. Quand on m’a demandé d’entrer dans le trio des possibles nommés, j’ai accepté avec difficulté. Mais j’étais tranquille, je pensais que je finirais certainement troisième. Je sors d’une très longue période de service de mes frères, deux mandats comme provincial de la province du Trentin.

Alors quand le définitoire (conseil de l’Ordre des frères mineurs, ndlr) m’a communiqué que le choix était tombé sur moi, et que le Saint-Siège avait exprimé un avis favorable, j’ai eu un moment de vertige. Les responsabilités ne sont pas des honneurs, elles impliquent souvent des larmes et du sang. Celui qui assume une quelconque responsabilité à la légère est soit inconscient soit un incompétent qui n’a aucun sens des limites.

Quel est votre lien avec la Terre Sainte ?

Un lien intime, un lien de la foi. Quand j’étais enfant, j’écoutais la lecture de la Bible et des Évangiles qui racontent l’histoire du Salut. Je m’identifiais à ces histoires, je me sentais faire partie de cette histoire et de ces lieux. Frère Pierbattista Pizzaballa, que j’ai pu connaître et apprécier durant sa charge custodiale, parle souvent de la Terre Sainte comme d’un endroit où vous pouvez approfondir l’histoire, mais aussi la géographie du Salut. Le Salut, pour nous chrétiens, n’a pas une dimension abstraite, il est concret et incarné. Il vit dans le temps et dans l’espace. Alors l’amour pour les Lieux Saints n’est en rien quelque chose de romantique, mais il est lié à la prise de conscience de ce que signifie être chrétien.

Une concrétude qui a profondément marqué l’histoire de saint François…

Certainement. Pour moi, vivre en Terre Sainte signifie retourner à la réalité du charisme franciscain. François, qui était un homme pratique et concret, en bon fils de marchand qu’il était, est revenu transformé par son expérience en Terre Sainte. C’est à partir de ce pèlerinage qu’ont été incorporées dans la Regula non bullata (première Règle de 1221-ndlr) quelques directives fondamentales et ce encore pour aujourd’hui dans notre rapport à l’expérience missionnaire.

Lire aussi >> Francesco Patton nouveau Custode de Terre Sainte

Nous sommes appelés à « ne faire ni disputes ni querelles » et à adopter un style de minorité dans n’importe quel contexte où nous sommes appelés à vivre. « Confessant » d’être chrétiens au travers du service rendu à nos frères et « annonçant » le Christ quand nous verrons ce qui sera agréable au Seigneur. Faisant preuve d’une intelligence dans le dialogue qui nous permette de comprendre quand le cœur de notre interlocuteur est prêt à accueillir notre annonce. Ces traits du charisme franciscain sont inextricablement liés à l’expérience de la Terre Sainte.

Dans les années suivant son retour de Terre Sainte, François a toujours mis l’accent sur la dimension de l’expérience : le besoin de voir avec les yeux pour croire avec le cœur. Cette attitude l’a conduit, en 1223, à recréer à Greccio l’environnement dans lequel Jésus était né, pour tenter de faire revivre avec les sens la naissance du Sauveur. En somme, la Terre Sainte permet non pas seulement d’entendre mais aussi de « voir et toucher » la Parole de Dieu.

Vous êtes né dans les montagnes du Trentin. Comment est apparue votre vocation franciscaine ?

La présence franciscaine à Trente est très ancienne, elle remonte à 1221. On connaît même la date de la première prédication des frères envoyés par saint François : c’était un 29 septembre. Quelques années plus tard, les frères mineurs se sont établis de façon permanente dans la ville. Les franciscains font partie de l’histoire de l’Église de Trente. Et même pour moi, depuis l’enfance, ils ont été une présence habituelle. Je suis né dans un village, Vigo Meano, non loin de la ville, le 23 décembre 1963. Et à Noël, j’ai eu la grâce de recevoir le baptême. J’ai grandi dans une famille simple et paysanne.

Mon père travaillait dans les champs et avait un amour particulier pour les vignes. Ma mère était institutrice en classe maternelle. De mon enfance, je me souviens de l’harmonie et de la sobriété de la vie familiale. Nous étions une famille comme tant d’autres, ni bourgeois, ni riches. Nous vivions du travail de la terre. J’allais à la messe tous les jours, accompagnant ma mère, une femme de grande foi. Le franciscanisme est venu à moi parce que j’en portais le nom… Mais aussi parce que ma famille m’a appris que la foi n’est pas une enveloppe, mais la moelle qui nous soutient dans la vie.

Lire aussi >> Père Patton : « J’apporterai la complexité de la Terre Sainte à Bari »

Et puis, je dois l’avouer, je suis resté fasciné par le Saint d’Assise après avoir lu la bande dessinée de sa vie conçue par le maître Dino Battaglia… Un travail qui, je pense, est encore aujourd’hui un chef-d’œuvre. J’ai alors ressenti le désir de vivre à la manière des frères mineurs. A la fin du cycle d’études primaires, j’ai demandé à entrer au Collège Séraphin de Villazzano, dans la banlieue de Trente. Mon frère Jean m’y avait précédé, lui aussi est devenu frère mineur… Ainsi, après des années de formation et de discernement, embrasser la vie franciscaine a été un choix naturel.

Quelle perception avez-vous de la situation en Terre Sainte, malheureusement marquée par les conflits et la division ?

Au cours des dernières années, j’ai constamment suivi les événements de la Terre Sainte à travers les récits du frère Pietro Kaswalder (confrère du Trentin, professeur au Studium Biblicum Franciscanum à Jérusalem et décédé prématurément en juin 2014) et les interventions du Père Pierbattista Pizzaballa, mais aussi dans les rencontres et la participation au chapitre général de 2009 et 2015. J’aime à penser de la Terre Sainte qu’elle est un « pari de Dieu ».

Je crois que le fait que Dieu ait choisi de s’incarner précisément en cette Terre Sainte porte une signification. L’histoire de cette terre est marquée par les conflits et les affrontements. Le fait que Dieu ait choisi de s’incarner ici ressemble véritablement à un pari. Comme pour nous dire : s’il se réalise ici, alors il est possible que la paix et la justice puissent régner sur toute la terre. Nous sommes tous appelés à aller et rester en Terre Sainte, en sachant que nous faisons partie de ce « rêve de Dieu ».

C’est-à-dire la possibilité que « le loup habite avec l’agneau », comme le raconte la vision d’Isaïe. Et qu’advienne un temps, comme l’annoncent les prophètes, de « cieux nouveaux et terre nouvelle ». Nous devons croire que tout cela se déroulera. Parce que ce qui empêche la réalisation du projet de Dieu est notre manque de foi.

Quels sont vos sentiments au moment de faire votre entrée solennelle à Jérusalem ?

Une grande émotion et une grande responsabilité. Pour moi, ces premiers temps en Terre Sainte seront une sorte de « noviciat ». Je n’ai pas la prétention de réussir à entrer subitement dans une réalité complexe comme celle de la Custodie de Terre Sainte et du contexte ecclésial et social dans lequel les frères mineurs sont appelés à travailler. Je me mettrai à l’écoute. Je crois que les expériences de l’internationalité au service de l’Ordre pourront m’aider à prêter attention aux différentes sensibilités et cultures.

Lire aussi >> Fr Patton: « Eglise au Moyen-Orient », cette exhortation apostolique toujours d’actualité

Ce dont je suis sûr c’est que mon cœur est en Terre Sainte. Depuis le moment où ils m’ont communiqué la nomination, j’ai commencé à rappeler, chaque jour, dans la prière nos frères qui vivent en Syrie, tous ceux qui servent avec tant de dévouement dans les sanctuaires et sont engagés dans les paroisses et dans les nombreuses réalités sociales de la Custodie ; ceux qui se livrent dans les différents centres et pour n’oublier personnes les pères commissaires investis dans le monde entier dans la diffusion du travail de la Custodie. J’ai pour eux une grande affection et reconnaissance. Ils me sont précieux et je les sens tous unis dans la prière.

Vous aurez peut-être la nostalgie des vallées et des montagnes de votre pays natal…

Mes racines sont dans les champs et dans les montagnes du Trentin. Ma forma mentis restera certainement celle d’un agriculteur et d’un montagnard, avec tout ce que cela signifie. Mais je ne parlerais pas de nostalgie. En tant que chrétien et en tant que franciscain je me sens à la maison là où me met la volonté de Dieu. Je viens sur la pointe des pieds et dans l’humilité, conscient de devoir écouter et apprendre.

S’il y a une chose qui m’a vraiment fait plaisir en ces jours qui précèdent mon arrivée à Jérusalem, ce ne sont pas les titres des journaux ou les félicitations, mais les messages de tant de gens simples qui m’ont assuré leur soutien dans la prière. Tout comme les nombreux frères qui m’ont écrit de Terre Sainte pour me dire : nous t’attendons et nous prions pour toi. Y compris les frères de Syrie, qui, bien que vivant une situation de profonde souffrance, m’ont encouragé et ont offert de me soutenir par la prière. La prière de ceux qui souffrent est précieuse, parce qu’ils sont plus proches de Dieu.

Dernière mise à jour: 10/01/2024 20:28

Sur le même sujet