La Jordanie a révélé la découverte d’un tombeau du IIe siècle ap. J.-C. Fresques et inscriptions en araméen narrent la fondation de Capitolias, cité de la Décapole. Un patrimoine inédit, ancêtre de la bande dessinée.
Près de 260 figures. Des divinités, des Néréides (nymphes du monde marin), des animaux, des paysans, des ouvriers. Le tout représenté sur des scènes animées peintes a fresco dans un tombeau de 52 m2, creusé dans la roche et datant de l’époque romaine.
La découverte n’est pas nouvelle (novembre 2016) mais a été récemment rendue officielle par le Département des antiquités de la Jordanie fait savoir le Journal du CNRS qui a communiqué le 18 septembre sur le sujet. L’hypogée creusé dans la roche, sans loculi (petites niches funéraires) est très bien conservé (malgré le fait qu’il ait été certainement pillé) et abrite un grand sarcophage en basalte orné de deux têtes de lions.
Le tombeau et ses trésors picturaux ont été retrouvés au nord du pays dans la province d’Irbid, à Beit Ras, sur le site de la cité antique de Capitolias (citée parfois aussi sous le nom de Raphana). L’ensemble illustre la fondation – à cheval entre le Ier siècle et IIe siècle après J.-C. – de cette ancienne cité de la Décapole au passé militaire et nommée en l’honneur de Jupiter Capitolinus. La Décapole était cette région reculée de l’Empire romain constituées de dix cités-Etats hellénisées (dotées d’institutions de type grec mais appartenant à l’Empire romain).
Les nombreuses et grandes fresques du tombeau décrivent des scènes mythologiques, des activités de la vie quotidienne aussi bien que les étapes des chantiers de l’édification de la ville. « Ce fourmillement de figures compose un récit qui s’ordonne de part et d’autre d’un tableau central représentant un sacrifice offert par un officiant aux divinités tutélaires de Capitolias et de Césarée maritime, la capitale provinciale de la Judée », explique pour le Journal du CNRS, Julien Aliquot. Il est l’un des trois chercheurs du Laboratoire histoire et sources des mondes antiques (HiSoMA) à avoir pu entrer dans le tombeau à deux reprises, aux printemps 2017 et 2018.
Visite guidée
Le complexe funéraire est divisé en deux chambres funéraires. La plus petite est une annexe sans peinture, aménagée pour accueillir plusieurs dépouilles. La plus grande (43m2) est la plus décorée et abrite le sarcophage. Autour de la porte d’entrée, et au plafond, on peut apercevoir des peintures représentant le Nil, le monde marin, les signes du zodiaque, les planètes… Sur le mur de gauche, se trouvent trois panneaux. Le premier représente un banquet où plusieurs divinités couchées sur des lits se repaissent des offrandes des hommes qui sont dessinés de plus petite taille que les divinités.
Sur le deuxième tableau, ce sont des épisodes qui dépeignent la vie paysanne : travaux des champs avec des bœufs, récolte des fruits, travail de la vigne. Alors que le troisième tableau aborde « un thème rarissime dans l’imagerie gréco-romaine », selon le Journal du CNRS, à savoir des scènes de bûcheronnage dont l’aide des dieux est manifeste. A droite de la pièce, une grande fresque illustre l’édification de remparts autour de la ville. Cette scène de chantier fait figurer des architectes, des contre-maîtres, des tailleurs de pierre, des maçons. Des chameaux et des ânes portent outils et matériaux. Même les risques du métier et les accidents sur le chantier sont dessinés. Une seconde planche de peinture, relate quant à elle, un sacrifice offert par un prêtre en l’honneur des divinités tutélaires de la ville.
Puisque la situation du tombeau, rattaché à une nécropole située à l’est d’un impressionnant théâtre dégagé de terre depuis 2002, certifie qu’il se trouve bien sur le site de l’ancienne cité de Capitolias, l’histoire illustrée qui se trouve sur les murs du tombeau, est – selon les chercheurs, très probablement celle de sa fondation. On comprend mieux le résumé qui en est fait à travers les peintures. D’abord, les hommes via des offrandes ont consulté les dieux pour déterminer l’endroit où bâtir la ville. Puis, il a fallu préparer le terrain avant d’élever les remparts de la ville. De fait, des sources historiques confirment bien que Capitolias était entourée d’un mur englobant une superficie de 12,5 hectares d’après certains historiens ou de huit selon d’autres. Une fois Capitolias sortie de terre, un prêtre offre un sacrifice en l’honneur des divinités protectrices de la cité.
Des bulles araméennes transcrites en grec
Des inscriptions accompagnent le déroulé de l’histoire de ce chantier urbain. Il y a environ 60 inscriptions écrits en noir, partiellement déchiffrés à l’heure qu’il est. Ces libellés « présentent la particularité d’être rédigés en araméen, la langue locale, tout en utilisant des lettres grecques », a indiqué Jean-Baptiste Yon, un autre chercheur du Laboratoire HiSoMA. « Cette combinaison des deux principaux idiomes du Proche-Orient antique est rarissime et va permettre de mieux cerner la structure et l’évolution de l’araméen », s’enthousiasme le chercheur. « Par ailleurs, fait-il remarquer, les inscriptions s’apparentent à des sortes de bulles de bande dessinée puisqu’elles décrivent les activités des personnages qui parlent en expliquant ce qu’ils font : “Je taille (la pierre).”, “Hélas pour moi ! Je suis mort !”). Ce qui est, là encore, exceptionnel ».
On ne connaît pas encore l’identité de la personne enterrée dans l’hypogée (les ossements sont encore là). Vu la décoration qui en est faite, il pourrait s’agit du fondateur de la cité. Peut-être que son nom est « gravé sur le linteau de la porte qui reste à dégager », explique Pierre-Louis Gatier, un autre chercheur au HiSoMA. Il faudra attendre janvier 2019 pour en savoir plus. A l’occasion de la présentation des travaux de recherche en cours, à Florence en Italie durant la 14ème conférence internationale sur l’histoire et l’archéologie en Jordanie.
La Jordanie peut mener à bien ces recherches, grâce à l’aide d’un soutien financier du Projet d’Héritage Culturel Durable à Travers l’Engagement de Communautés Locales (SCHEP), un programme de l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID). Le royaume hachémite a par ailleurs créé un consortium international avec des chercheurs jordaniens, français, américains et italiens pour la conservation du tombeau et pour son étude iconographique comme épigraphique. Les archéologues jordaniens collaborent avec des chercheurs du laboratoire HiSoMA, du CNRS (AOrOc), de l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et de deux instituts italiens de restauration.
Vidéo de la découverte du tombeau