Les langues sémitiques quand vous en connaissez une, vous les connaissez plus ou moins toutes. Par exemple si vous connaissez le français et l’italien, vous pouvez lire en espagnol. Il m’arrive de lire des publications scientifiques en espagnol sans avoir jamais étudié la langue…” La plupart d’entre nous, à entendre cela sommes déjà devenus verts.
Michael Langlois est déconcertant.
À le voir, on le croirait sorti d’un roman de Tolkien avec ses longs cheveux bruns, sa barbe de quelques jours et son amour des langues étranges… Celui qui vient de dire qu’il peut lire une publication scientifique dans une langue qu’il n’a jamais apprise, vous dit sans rire : “Je ne suis pas très doué pour les langues modernes.” Son truc ce sont les langues anciennes. À la phrase interrogative, vous parlez donc araméen couramment, il répond : “Oui autant qu’on puisse “parler” couramment une langue qu’on ne fait que lire.” Et vous connaissez d’autres langues sémitiques ? “La plupart en fait…” Et dans son timbre de voix, il n’y a pas un soupçon de fanfaronnade ou d’orgueil. Cela semble juste normal.
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“Dans le cadre de mes études de théologie, j’ai commencé par apprendre le grec et l’hébreu bibliques. Autant en étudiant le grec biblique on a l’impression que la langue est bien documentée, autant avec l’hébreu biblique, nous butions souvent sur un mot. En hébreu biblique, on est assez régulièrement obligé d’aller chercher dans les autres langues sémitiques pour comprendre tel ou tel mot de la Bible. Pour moi c’était un choc car lisant la Bible en français, je pensais que le texte était clair. On ne se rend pas compte que derrière il y a des difficultés.”
Puisque pour s’améliorer en hébreu, il lui fallait passer par le biais d’autres langues sémitiques, alors Michaël se mit à les apprendre.
Facilités déconcertantes
“J’ai commencé par l’araméen, car on trouve des passages de la Bible en araméen dans les livres de Daniel et Esdras. Ensuite, j’ai fait du syriaque, qui est finalement une sorte de dialecte araméen. Puis j’ai étudié à l’École des langues et civilisations de l’Orient ancien – à l’Institut catholique de Paris. Là, dans la formation, ils proposent d’apprendre les langues par trois. Je me suis donc mis à l’ougaritique et à l’éthiopien car pour ma thèse, j’ai étudié le livre d’Hénoch. »
« Je m’intéressais aux fragments araméens d’Hénoch (1), une œuvre littéraire qui n’est connue que de façon très fragmentaire en araméen. La seule version complète est en éthiopien. Je me suis dit, si je veux faire mon travail d’identification correctement, il faut pouvoir comparer les morceaux araméen avec le texte continu qui n’est qu’en guèze (le nom de l’éthiopien ancien NDLR).”
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“Ensuite ça va vite, poursuit-il, disons que lorsqu’on a fait une, deux, trois langues sémitiques – j’ai fait du sudarabique, de l’akkadien, de l’arabe – honnêtement ça vient vite surtout quand on ne cherche pas à parler la langue mais seulement à la lire. Ce sont des langues qui sont suffisamment proches les unes des autres pour ne pas avoir à recommencer de zéro.”
Et les hiéroglyphes ? “Non je n’ai pas fait. Ce n’est pas une langue sémitique. Je m’y suis essayé, mais non. C’est comme le hittite, cela demanderait un investissement trop important, alors je fais confiance aux collègues. Et à ma petite sœur qui a fait une thèse sur le hiéroglyphe.” Parce que c’est un virus familial ? “Je n’ai contaminé que ma petite sœur. À vrai dire le virus familial il est plutôt scientifique.”
Langues bibliques et ses variantes
Et c’est là que l’on apprend que celui qui est venu aux langues sémitiques lors d’études de théologie a commencé par les sciences dures : mathématique, physique, chimie. “J’ai une licence en mathématique fondamentale. J’aimais bien, j’ai même commencé un master. Mais j’ai arrêté pour commencer la théologie. Je pense que je l’ai faite comme un appel, une vocation. J’étais croyant et je voulais développer mes connaissances bibliques.”
C’est parce qu’il confrontait des traductions en langue française de la Bible qu’il s’est piqué pour les langues bibliques. Mais il ne s’est pas arrêté là. Une fois qu’il a connu les langues bibliques, ce sont donc les manuscrits bibliques qu’il a commencé de comparer.
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“Et là aussi, je me suis aperçu qu’il y avait des variantes. En travaillant à comparer les éditions des manuscrits de la mer Morte, je me suis aperçu que les épigraphistes ne faisaient pas toujours la même lecture d’une lettre. Donc j’ai commencé à regarder les photos des manuscrits, pour me faire ma propre opinion. Et à l’époque on n’avait pas de très bonnes photos à disposition mais que des microfiches de piètre qualité. Donc je ne savais pas quoi en penser. Aussi, me suis-je dit, il faut aller à Jérusalem pour examiner les fragments.”
Et c’est à Jérusalem que nous le rencontrons. Il y est pour une de ses missions épigraphiques puisque épigraphiste il est devenu. L’épigraphie c’est cette spécialité de l’archéologie qui consiste à déchiffrer les inscriptions. À la demande d’Esther Eshel, directrice du Centre épigraphique de l’Université Bar-Ilan en Israël, il est venu faire… de la photo. Michaël Langlois ne serait pas Michaël Langlois si ces photos n’étaient que des photos. Il s’agit : d’imagerie spectrale. Le scientifique est de retour.
Photographies
Dans ses bagages un appareil photo qu’il a largement trafiqué. Mais aussi et surtout une batterie de filtres. “Dans une image, il y a les couleurs que l’on voit et celles, un peu avant, un peu après, que l’œil nu ne peut pas voir, les ultra-violets, les infrarouges.” Ce balayage du spectre des couleurs permet donc de faire apparaître des éléments de lecture que l’œil humain ne peut pas voir.
Or Esther est en charge du déchiffrement d’ostraca trouvés sur un champ de fouilles. Un ostracon c’est un débris de poterie recyclé en support d’écriture. “C’est comme si aujourd’hui vous écriviez un mot au revers d’une enveloppe usagée. Les ostraca ne servent pas à écrire de belles inscriptions royales ou de grands textes religieux, ce sont des brouillons, des notes volantes”, explique Michaël venu en photographier une bonne centaine.
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À dire vrai, il existe des machines en laboratoire capables de faire des images spectrales et de restituer le cube spectral en une seule image et Israël est très bien équipé dans ce domaine, mais l’avantage du matériel de Michaël, c’est sa mobilité. Elle peut se révéler bien utile aux archéologues. En effet, une fois un ostracon extrait d’un champ de fouille, l’inscription risque de se dégrader à la lumière.
Cette technique photographique n’est pas la seule que Michaël a mise au point. Il a aussi créé une base de données informatisée de vocabulaire en langues anciennes ainsi qu’un outil de simulation d’images pour restituer du texte manquant. Comme il a mis au point les polices de caractères qui vous permettraient d’écrire en araméen christo-palestinien ou ougaritique sur votre clavier d’ordinateur.
Et dieu dans tout ça
Et qu’en est-il aujourd’hui de la foi du chercheur ? Car l’exégèse biblique, les recherches sur la constitution des textes en ont asséché plus d’un. “Certes, on se rend compte explique Michaël, que les scribes ne sont pas simplement des copieurs de la Bible mais des rédacteurs. On voit, notamment avec les textes de Qumran, les étapes de constitution du texte. On peut aussi déceler des erreurs de copistes. Mais ces tâtonnements dans la création du texte biblique sont aussi éclairants. C’est comme les différences entre les Évangiles s’agissant de Jésus. Elles nous permettent de voir différents aspects de sa personne, elles nous révèlent en quelque sorte un Christ en 3D”.
“Ce que mon travail scientifique sur la matière même du texte biblique m’apprend, c’est que la religion, la foi n’est pas la croyance aveugle en un texte. La religion, c’est une relation et pour les chrétiens c’est la relation que nous entretenons avec le Christ vivant.”
Il souffle un vent nouveau sur l’épigraphie et tout le travail de Michaël tend vers cela aujourd’hui, révéler toutes les dimensions de la Bible pour, la lisant mieux, en vivre plus profondément le message. “La Bible c’est de la transmission” explique-t-il à ses élèves. Et lui aussi il aime transmettre alors, si vous en avez l’occasion, ne manquez pas ses conférences.
(1) Le livre d’Hénoch, attribué à Hénoch le grand-père de Noé, est un livre biblique canonique uniquement dans l’Église éthiopienne. C’est la raison pour laquelle cette Église qui plonge ses racines dans un judaïsme ancestral l’a conservé. Le judaïsme l’a finalement rejeté et il n’a pas été traduit en grec par les septante. Les Églises chrétiennes le tiennent pour apocryphe.
Un CV long comme le bras
Michael Langlois est docteur ès sciences historiques et philologiques de l’EPHE-Sorbonne, maître de conférences HDR à l’université de Strasbourg, membre de l’Institut universitaire de France, chercheur associé au CNRS / Collège de France, et auxiliaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Ses recherches portent actuellement sur l’écriture de la Bible, les civilisations du Proche-Orient antique, le judaïsme ancien, et le christianisme naissant. Il est régulièrement sollicité pour des conférences sur l’archéologie biblique, la naissance du monothéisme, les manuscrits de la mer Morte, le Messie, la naissance du christianisme, la littérature apocryphe, le livre d’Hénoch, la rédaction de la Bible, ou encore la fixation du canon biblique.
Dernière mise à jour: 21/01/2024 19:58