Dans le quartier arménien ou chrétien, les ateliers de céramique arménienne ne manquent pas. Ils sont plusieurs à s’être lancés dans les années 1980, comme Georges Sandrouni ou Hagop Antreassian.
La boutique d’Hagop se situe en face de la Porte de Sion, à l’intérieur de la vieille ville. Tasses, plats, vases et autres objets peints à la main sont exposés sur les étagères tandis qu’à son bureau, il peint un oiseau sur une assiette. Au premier étage, les biscuits, cuits sans émaillage, s’empilent à côté du four.
“Je dessine d’abord les motifs sur du papier calque, avant de percer de petits trous le long des traits. Je peux ainsi utiliser ce dessin plusieurs fois : en saupoudrant un mélange de charbon et de sable, le motif se dessine sur l’assiette. Il faut ensuite passer dessus avec de la peinture noire, puis colorier. On trempe dans l’émail, puis on cuit à 1 000 ou 2 000 degrés.” Hagop a commencé en 1980. Il travaille seul, aidé parfois d’une de ses filles.
“Mon père était prêtre à la cathédrale Saint-Jacques. Quand je l’aidais, je voyais beaucoup de manuscrits, de broderies ou de peintures aux motifs arméniens. C’est pour leur donner vie que je me suis lancé dans la poterie, en autodidacte.” Hagop peut parler des heures de ces motifs.
Oiseaux du paradis
“Pour les Arméniens, le Paradis était en Arménie. Certains oiseaux que nous reproduisons n’existent nulle part ailleurs, ils n’ont pas de nom car ce sont les oiseaux du Paradis, et c’est une fois qu’il en a été chassé que l’Homme a eu besoin de nommer les choses. Le lien entre tous les Arméniens chrétiens du monde est l’huile avec laquelle ils ont été baptisés, consacrée une fois tous les sept ans au Saint-Siège d’Etchmiadzin, en Arménie. Elle est faite à partir de 40 espèces de fleurs différentes, et c’est pour ça que les fleurs ont tant d’importance dans notre art.”
Les clients de la boutique sont plutôt des juifs ou des touristes étrangers, mais la situation politique tendue ne lui est pas favorable. Ce sont les œuvres qu’il peint sur des carreaux de céramique pour des sites touristiques, des maisons, des hôtels ou des églises, souvent à l’étranger, qui lui permettent de dégager un bénéfice.
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Rendez- vous chez Eli Georges Kouz, commerçant de la vieille ville de Jérusalem, dont la boutique est située dans la rue du quartier chrétien, à deux pas du Saint-Sépulcre. Ce syriaque orthodoxe est issu d’une famille de commerçants. “Ma famille est originaire de Turquie, où mes ancêtres étaient potiers. Puis ils sont venus à Jérusalem et se sont spécialisés dans les chaussures et les vêtements. Mon frère et moi vendons des céramiques dans cette boutique depuis les années 1960”.
Fonctionnalité
Il est l’un des rares de la vieille ville à afficher les prix. Ses principaux clients sont les touristes et pèlerins, mais aussi beaucoup d’Israéliens et d’étrangers vivant ici pour quelques années. “Je sais ce qui plaît aux clients : les touristes veulent rapporter un souvenir donc ils achètent des poteries où il est écrit “Jérusalem” avec des représentations de la vieille ville. Les pèlerins veulent tous leur plat avec la mosaïque de Tabgha représentant les pains et les deux poissons que Jésus multiplia. Les étrangers vivant ici préfèrent les motifs à fleurs et les juifs aiment particulièrement les objets sur lesquels sont dessinés les sept espèces d’Israël (Dt 8, 8).”
Dans sa boutique, Eli propose plusieurs types de céramiques. Certaines proviennent d’Hébron “la qualité est moins bonne, parfois ils collent des autocollants, parfois ils impriment des dessins”, mais d’autres sont faites par ses soins. “Ce ne sont pas des céramiques arméniennes. Eux mettent l’accent sur la beauté, et moi sur la fonctionnalité.” Pour prouver ses dires, Eli prend un bol d’une étagère, qu’il jette sur la table. Puis, avec une raclette, il raye le fond du bol pour tester la solidité de la peinture, sous le regard interloqué des clients.
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Aucun dégât, le bol n’a rien. “Et il passe au micro-ondes et au lave-vaisselle !” ajoute-t-il encore. “Je travaille avec une famille chrétienne de Beit Sahour, et une usine de la région de Jérusalem. Je dessine certains motifs, en m’inspirant d’anciens ornements, mais je me concentre surtout sur ce qui plaît aux clients”.
Oeuvre d’art
Georges Sandrouni est souvent dans sa boutique près de la Porte Neuve. Au milieu de la salle sa femme Dorin peint les céramiques qui seront ensuite expédiées à l’étranger ou exposées dans la vitrine. Si Georges a commencé à faire de la poterie en 1983, il travaille avec sa femme, diplômée en Arts à l’université, depuis une vingtaine d’années. “J’achète les biscuits pour nos céramiques aux Hébronites, car ce serait moins rentable de les faire moi-même”, explique-t-il. “Leur production de masse nous fait une concurrence sévère, mais en même temps, nous travaillons ensemble”.
Le couple s’est inspiré de dessins traditionnels arméniens et persans pour créer ses motifs, qui sont arméniens, chrétiens ou les deux. “Aux débuts de la céramique arménienne, c’était très fonctionnel”, souligne Georges. “Les prix étaient plus abordables et les gens achetaient ce dont ils avaient besoin. C’est devenu avec le temps quelque chose de beaucoup plus artistique : quand les gens achètent un vase arménien aujourd’hui, ils n’osent pas toujours s’en servir car ils le voient comme une œuvre d’art. Et s’ils achètent une assiette c’est pour l’ajouter à leur collection !”
Le couple fait travailler quatre femmes qui colorient les œuvres une fois dessinées. Elles sont musulmanes, arménienne et juive-chrétienne. Et Georges de conclure : “Aujourd’hui à Jérusalem, le meilleur moyen de bien s’entendre entre personnes de différentes origines et confessions, c’est de travailler ensemble !”
Dernière mise à jour: 21/01/2024 19:58