Qui dit fin de l’été dit retour à la maison pour plusieurs bénévoles venus passer six mois, un an, ou même deux ans en Terre Sainte. Et parmi eux bon nombre de Français. Parfois, un peu à la blague, ils quittent Jérusalem en disant : “Priez pour moi, mon Père ; c’est dangereux là où je vais”.
C’est un étrange renversement des choses : voici qu’on aurait tendance à se sentir plus en sécurité en Terre Sainte qu’à Paris, avec toutes les attaques qui ont malheureusement touché la France dernièrement. Le terrorisme a en quelque sorte rejoint un de ses objectifs : faire peur, semer la terreur. Cela n’est cependant qu’un premier pas vers une autre de ses conséquences, encore plus dangereuse : de laisser cette peur nous priver d’une partie de notre humanité.
Cela me fait penser au cinéma. On connaît la structure habituelle que nous offre Hollywood : il y a les bons et les méchants, et le film finit normalement quand les bons ont vaincu les méchants. Et il faut bien reconnaître qu’en général, on se sent en paix seulement lorsque le mal est complètement anéanti. Et on ne se rend pas bien compte qu’à travers cela, en réalité, c’est lui qui l’emporte. Laissez-moi vous expliquer…
Le problème réside dans le fait que, pour arrêter le méchant, le bon se met à faire la même chose que lui. Si le méchant est un assassin, on trouve tout à fait normal que le bon en vienne à le tuer. Et on ne réalise pas que ce qui s’est produit, en fait, c’est que le bon est devenu un meurtrier. Suivant cette logique, un acte mauvais devient acceptable lorsque la personne vers laquelle il est dirigé est elle-même mauvaise.
Témoin du christ
Un chrétien cependant ne peut pas adhérer à un tel raisonnement. Si le mal devient relatif pour nous selon la personne vers laquelle il est dirigé, nous devrons ajouter à l’hécatombe chrétienne actuelle, à tous ces martyrs tués pour leur foi en Irak, en Égypte, en Syrie ou ailleurs, un grand nombre de nouvelles victimes.
Cette fois-ci, cependant, ce n’est pas tant le corps du chrétien qui serait atteint, mais son âme. Si le chrétien cesse d’agir en chrétien, s’il cesse de suivre les valeurs évangéliques, s’il se met à juger plutôt que d’ouvrir la main, et même les bras et le cœur, s’il laisse la haine et la méfiance tuer l’amour et la paix qui devraient l’habiter, que reste-t-il de lui, de sa foi, de son identité ? Il continue à vivre, mais il n’est plus témoin du Christ. Ne serait-ce pas là la plus belle victoire du Mal : de faire que les bons deviennent méchants ?
On se retrouve donc aujourd’hui devant le même choix qui fut proposé par Pilate à la foule : choisir entre Barabbas et Jésus. Barabbas avait été arrêté pour émeute et pour meurtre : il s’était opposé aux Romains, qui persécutaient et opprimaient la population. Il avait pris les armes pour libérer son peuple. Puis, “Bar-Abba”, cela veut dire : “le fils du père”. C’est, selon toute vraisemblance, un titre messianique. Barrabas devait avoir ses disciples qui le considéraient comme Messie.
On se retrouve donc à choisir entre deux types de Messie, de libérateur face à nos oppresseurs : celui qui prend les armes et qui cherche à anéantir ceux qui nous menacent et nous font du mal, ou bien celui qui préfère subir outrages et souffrances plutôt que de perdre son identité, son identité de Fils du Père, du Dieu de la paix, miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour.
En apparence, suivre les traces de Jésus sur ce chemin peut sembler absurde. Mais n’est-ce pas le cas de nombreux enseignements de l’Évangile ? L’idée ici n’est pas de subir en restant les bras croisés, sans rien faire, mais de chercher, plutôt que de répondre par la facilité de ce que nous suggèrent nos instincts, à s’attaquer à la racine du problème.
En Terre Sainte, on remarque tout de suite que de construire des murs autour de nous ne résout pas les problèmes. On les voit un peu moins, c’est tout. Mais les problèmes perdurent et leurs conséquences aussi. Jésus et ses disciples y mettront du temps, mais le christianisme parviendra à conquérir l’empire romain. Certes, non sans batailles ni victimes. Mais il réalisera ainsi la plus belle victoire du Bien : faire en sorte que les méchants deviennent bons.
Dernière mise à jour: 21/01/2024 19:58
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