Dans la ville du pain, il n’y a pas d’eau tous les jours. Loin s’en faut.
Sa distribution comme sur l’ensemble du territoire palestinien dépend d’Israël. Entre la sécheresse actuelle et les quotas imposés par l’État israélien, les Bethléemites doivent gérer la pénurie. Les services sociaux de la paroisse accompagnent les familles les plus en difficulté d’approvisionnement.
Les maisons en Cisjordanie se reconnaissent à vue d’œil. Ce que ne repère pas tout de suite un œil inexpérimenté, ce sont, en regardant le paysage urbain aux alentours de Beit Sahour, ville à l’est de Bethléem, les citernes sur les toits des maisons ; elles permettent d’identifier des habitations palestiniennes, à la différence des maisons dans les colonies. C’est ce que racontent les locaux qui font face chaque jour au problème du manque d’eau. En fait les citernes sur les maisons servent à stocker l’eau ou recueillir la pluie, mais toutes les maisons n’en ont pas besoin. En Cisjordanie, l’eau est distribuée différemment d’une maison à l’autre, à quelques mètres l’une de l’autre. Pour compenser les désagréments d’urgence hydrique, les gens sont ingénieux autant qu’ils le peuvent, mais le problème de la gestion de l’eau reste une plaie ouverte contre laquelle aucun signe de guérison ne se manifeste, et constitue plutôt “un obstacle à la paix”, comme l’a défini la BBC.
Pour un occidental lambda, avoir de l’eau à disposition et de manière illimitée n’est pas un privilège mais une normalité. A Bethléem, en revanche, l’eau se reçoit par roulement : une ou deux fois par mois, une fois par semaine, plus en hiver qu’en été ou vice versa. Cela dépend de la saison et de divers autres facteurs. Il s’ensuit que si les habitants veulent pouvoir boire, se laver et cuisiner, ils doivent faire plus qu’ouvrir un robinet. C’est habituellement le seul geste exigé pour ceux qui ont l’eau courante, mais ce n’est pas le cas pour les habitants de Bethléem. Depuis des décennies, ils utilisent des réservoirs pour recueillir l’eau de pluie et la conserver en vue des jours où il n’y en aura plus. Ces équipements nécessitent évidemment une maintenance et des interventions, que tout le monde ne peut assurer financièrement. Il en résulte aujourd’hui que beaucoup utilisent une eau polluée parce que stockée dans des réservoirs rouillés. D’autres sont obligés de demander de l’aide à leur famille ou aux voisins pour laver le linge ou toute autre nécessité quotidienne. Ce sont chaque jour des histoires de privations à Bethléem. Comme celle de Leila qui, pendant 38 ans, n’a pas eu la possibilité d’avoir de l’eau chaude à la maison.
Assise sur le canapé de son petit appartement aux murs et aux plafonds tachés d’humidité, Leila raconte sa vie difficile : six enfants, les soucis financiers et la longue maladie de son mari. Les journées – se souvient Leila – commençaient toutes de la même manière : faire bouillir une grande marmite d’eau sur le gaz pour laver les enfants. Et en famille, tout le monde buvait l’eau du réservoir, même si elle n’était pas propre, faute d’argent pour en acheter. Puis les enfants ont grandi, son mari est décédé, et Leila a elle aussi commencé à vieillir. “Dernièrement, je n’arrivais plus à soulever la casserole d’eau et à la porter dans les escaliers menant à la salle de bains”, explique-t-elle. Elle évoque la petite pièce basse de plafond et la forte odeur d’humidité sur les quatre marches en pierre.
Lire aussi : Jérusalem au fil de l’eau
Ces derniers temps, l’eau est disponible chez elle une fois par semaine, mais en été tous les dix à douze jours. “J’ai demandé de l’aide, raconte Leila, et depuis quelques mois ça va beaucoup mieux.” Deux panneaux solaires et un réservoir ont changé sa routine matinale. Elle continuera à se rendre au centre pour personnes âgées qu’elle fréquente, accueillera ses petits-enfants chez elle, mais elle n’aura plus à faire bouillir l’eau dans la marmite chaque matin.
Eau non potable
La demande d’aide de Leila a été accueillie par Naila, femme pleine d’empathie, de patience et d’une capacité d’écoute hors du commun. Assistante sociale, Naila travaille depuis des années parmi la population de Bethléem : c’est pourquoi tout le monde la salue lorsqu’elle passe. “J’ai été très étonnée que Leila, que je connaissais aussi, n’ait jamais eu d’eau chaude durant toutes ces années, raconte Naila. Comment cela a-t-il pu arriver ?” Question qui revient souvent à Bethléem, lorsqu’on pense à d’autres situations de pénurie.
Manque d’eau pour laver les vêtements, d’eau potable pour faire boire son propre bébé. C’est la vie de Shereen, une jeune chrétienne qui vit dans le centre historique de Bethléem, non loin de l’église de la Nativité. Pendant que Shereen raconte son histoire, son fils dort dans la pièce voisine. Ses sœurs jumelles à naître gigotent dans son ventre. “Par le passé, nos voisins nous ont beaucoup aidés – explique Sheeren. Nous leur avons demandé de l’eau, car elle ne nous parvenait que tous les 20 jours en hiver et une fois par mois l’été.” La situation était si critique que pour laver son linge, Sheeren était obligée de l’apporter chez ses parents. Après des travaux d’entretien, la possibilité de bénéficier d’un puits construit sous sa maison dans les années 1950, a amélioré les choses. Deux panneaux solaires et un réservoir ont été récemment installés pour continuer à aider Shereen et lui permettre d’avoir de l’eau chaude.
Ce que signifie vivre des années avec de l’eau imbuvable provenant de ses propres robinets, Joseph et Renée le savent bien. Ces deux personnes âgées qui vivent dans le centre historique de Bethléem ont vécu dans le même appartement pendant 30 ans. Deux nouveaux réservoirs et panneaux solaires pour l’eau chaude ont simplifié la vie du couple. Pour eux, l’eau est disponible toutes les 2 semaines en été et tous les 10 jours en hiver, ils avaient donc besoin d’en stocker. Mais le réservoir qu’ils avaient depuis 30 ans a fini complètement rouillé.
“Si vous aviez vu ce qu’il y avait dans le réservoir, vous auriez eu peur”, confie Joseph. Renée explique comment ils ont continué : “Nous avons acheté de l’eau pour boire et cuisiner. Transporter les bouteilles n’était pas facile.” Le problème était qu’ils ne pouvaient pas assurer le coût du remplacement de réservoir, ayant dépensé toutes leurs économies pour une opération de cœur de Joseph. C’est là qu’est intervenue l’ATS, Association pour la Terre Sainte, et son projet “Envie d’eau”, dans lequel est également impliquée l’assistante sociale Naila.
L’ONG de la Custodie de Terre Sainte est prête à intervenir pour améliorer l’approvisionnement en eau de plusieurs familles dans le besoin à Bethléem, en remplaçant des réservoirs usés, endommagés ou rouillés, et en installant de nouveaux réservoirs plus fonctionnels. Ce projet a déjà bénéficié à de nombreuses familles pauvres de Bethléem, surtout dans la vieille ville, comme Joseph et Renée, Shareen, Leila. Pourtant, nombreuses sont les histoires douloureuses qui n’ont pas une fin heureuse. Et contre toute dignité humaine, dans certaines zones, l’eau continue encore aujourd’hui à être un luxe. ♦
Pas d’eau sans liquidité
Tous les projets de la Custodie sont rendus possibles grâce à la générosité des volontaires qui sont l’essentiel des personnels de ces services de collecte de fonds. Mais aussi grâce aux personnes qui animent en paroisse la collecte dite “pour les lieux saints”.
Cette collecte, qui se déroule dans les églises du monde entier le Vendredi saint (cette année le 30 mars) est née de la nécessité de trouver des aides matérielles destinées à la Terre Sainte, et de la volonté des papes de garder un lien fort entre les chrétiens du monde entier et ceux de la terre de Jésus. Elle recouvre environ 75 % du budget annuel. En France, elle est organisée par le commissariat de Terre Sainte – voir page 18.
Les projets portés par l’ONG de la Custodie ATS pro Terra Sancta sont relayés par la Fondation François d’Assise. Pour tout renseignement sur le soutien au travail des franciscains en Terre Sainte écrivez à fondationfrancoisdassise@franciscains.fr
Dernière mise à jour: 30/01/2024 14:10