Nakba, catastrophe, il suffit d’un unique mot aux Palestiniens pour tout dire d’une blessure ouverte il y a 70 ans et qui n’est pas près de se refermer. La plupart des journalistes quand ils gloseront sur la traduction du mot Nakba ajouteront : “Catastrophe de la création de l’État d’Israël”. Et je pense qu’ils ont tort.
Une douleur est par définition narcissique. A la limite, peu importe ce (celui) qui l’a causée, ce qui compte c’est la façon de la ressentir. Et la catastrophe des Palestiniens est une auto-référence à tout ce qu’ils ont perdu en 1948 : des parents, des terres, des maisons, de la liberté, de l’innocence, des rêves.
Cette photo de couverture, fruit du travail de l’artiste palestinienne Dima Hourani, traduit à elle seule, comment l’année 1948 est une plaie encore béante. En 2014, sous la direction de Dima, des comédiens palestiniens s’étaient vêtus de vêtements traditionnels, ceux-là mêmes qui étaient encore portés dans les années 40. Mais tous ces vêtements étaient uniquement blancs, gris ou noirs. De même tous les accessoires qu’ils utilisèrent durant leur performance, du camion aux oranges. C’était leur façon de commémorer la Nakba dans les rues de Ramallah. Le contraste entre ces niveaux de gris, ce noir et blanc, et les couleurs de la période contemporaine voulaient traduire la permanence de cette douleur qui s’est muée en souffrance de l’âme toujours actuelle. C’est du reste le plus souvent le cas dans les représentations de la Nakba à chacune des commémorations dans les territoires palestiniens : on ne voit pas un ennemi, on se regarde soi, désolé. Et toutes ces pertes se sont trouvées rassemblées en un symbole : une clé. La clé de cette porte que l’on a fermée avant de commencer un exode sur le chemin de la souffrance. A-t-elle aussi signifié que les Palestiniens ont souhaité rentrer chez eux et chasser les Israéliens ? Sans doute. Mais le retour qu’ils attendent n’est pas là, c’est bien plutôt celui à la dignité, à la reconnaissance, à la paix et à la liberté.
S’agissant de l’émigration, le thème de notre dossier, cette souffrance est d’autant plus prégnante que l’émigration est désormais sans retour possible. Avant 1948, si un Palestinien décidait d’émigrer du moins pouvait-il espérer un jour revenir. Depuis 1948, ce n’est plus possible. Il n’est pas même possible de revenir dans les territoires palestiniens. Si vous êtes Palestinien, dès lors que vous restez un nombre X d’années en dehors du pays, pour pouvoir revenir, ne serait-ce que visiter les vôtres, il vous faut renoncer à ces papiers qui vous tenaient lieu d’identité palestinienne. C’est l’État israélien qui maîtrise toutes les frontières qui vous y oblige, luttant pied à pied contre tout retour possible. Ainsi la blessure continue-t-elle de se creuser.♦
Dernière mise à jour: 05/02/2024 11:37