Du 23 au 25 juillet 2018, le cardinal Bechara Raï a rencontré chefs politiques et religieux à Amman. Il a profité de son séjour pour rappeler « la nécessité d'unifier les vues arabes pour surmonter les défis régionaux ».
Pastorale et officielle. Telle était l’ambition de la visite de trois jours en Jordanie – amplement relayée par le quotidien libanais, L’Orient-Le Jour – qu’a effectuée pour la seconde fois de son mandat, le chef de l’Eglise maronite à l’invitation du Premier ministre jordanien, Omar el-Razzaz. Au cours de leur rencontre, les deux protagonistes ont déclaré être d’accord « pour faire face partout à toute forme de violence et de terrorisme et la nécessité d’unifier les vues arabes pour surmonter les défis régionaux, en insistant sur l’importance du dialogue des religions (…) », peut-on lire dans un communiqué rapporté par l’Ani, l’Agence nationale d’information (Ani) du Liban. Le patriarche et le Premier ministre se sont vus en présence du vice-Premier ministre jordanien, Raja’i Maachar, et de l’ambassadrice du Liban en Jordanie, Tracy Chamoun. Le prélat catholique a également rencontré la ministre jordanienne du Tourisme, Lina Annab qui œuvre à la promotion des sites chrétiens de Jordanie et de leur valeur historique. A ce titre, le prélat maronite s’est réjoui des efforts mis en œuvre pour sortir de terre une église maronite – dédiée à saint Maroun – sur une parcelle de terrain offerte par le souverain hachémite sur les bords du Jourdain, lieu identifié traditionnellement comme celui du baptême du Christ à « Béthanie au-delà du Jourdain » (al-Maghtas). La première pierre a été posée en 2012.
Lors d’un autre entretien avec l’un des cousins du roi, le prince Ghazi ben Mohammed qui est aussi le haut conseiller du roi Abdallah II de Jordanie pour les affaires religieuses, le cardinal Raï a soulevé des questions liées à la diaspora libanaise en général et aux maronites en particulier. Il a lancé un appel afin d’« accorder le soutien nécessaire à toutes les communautés pour qu’elles pratiquent leurs rites et cultes dans une entière liberté » expliquant que cela « favoriserait la préservation de leurs particularités et de leurs patrimoines, où qu’elles se trouvent ». Mgr Raï s’était auparavant entretenu sur le même sujet avec l’oncle du roi, Hassan Ben Talal, membre associé à l’Académie française des sciences morales et politiques.
1re réaction catholique contre la loi sur l’Etat-nation juif
Plus que la question du dialogue interreligieux, c’est d’abord l’actualité politique israélienne qui s’est invitée au cœur de ce déplacement catholique. Le cardinal Raï n’a pas manqué de condamner de manière incisive le vote de jeudi 19 juillet 2018, par les parlementaires israéliens d’une loi proclamant Israël comme l’Etat-nation du seul peuple juif. Il est la première personnalité catholique à avoir réagi face à cette décision. Jusqu’à présent, du côté arabe, seuls les Palestiniens et les parlementaires arabes en Israël se sont manifestés en taxant la loi de « raciste ».
Le prélat maronite n’a pas mâché ses mots : « Nous déplorons la décision prise jeudi (ndlr : 19 juillet 2018) par la Knesset de judaïser Jérusalem et de l’instituer capitale d’Israël ». Une allusion très claire au caractère exclusif d’une telle loi. Les Arabes israéliens représentent 20% de la population d’Israël, et sont pour la plupart musulmans, mais on compte aussi bien sûr des Chrétiens et aussi des Druzes et d’autres minorités.
L’Orient-Le Jour, qui a rapporté les propos du patriarche maronite a indiqué que ce dernier avait aussi vivement dénoncé la résolution inscrite dans cette même loi stipulant que seul l’hébreu était désormais comme langue nationale et officielle d’Israël. « Nous appelons la nation arabe qui compte les religions pour sacrées à faire preuve de résilience pour préserver l’unité », a alors lancé le patriarche maronite.
« Que Jérusalem reste ville ouverte à toutes les religions »
Preuve de la sensibilité de la question, le patriarche maronite est revenu dessus au troisième et dernier jour de sa visite en Jordanie. « Depuis 1948, toutes les résolutions internationales ont recommandé que Jérusalem reste ville ouverte à toutes les religions ; en 1951, la Knesset israélienne a elle-même adopté une résolution en ce sens. Aujourd’hui, hélas, le Parlement israélien vient de se dédire. Nous déplorons avec vous cette décision qui va réprimer les droits de tous ceux qui souhaitent visiter la Terre sainte et nous réclamons que l’ONU, par respect pour l’humanité, adopte une résolution condamnant cette décision, même si elle doit rester lettre morte. »
La veille de son départ pour Amman, le patriarche avait déclaré dans son homélie pour la messe dédiée à saint Charbel à Faraya, avoir « sur cette terre des évêchés, des paroisses, des institutions et un peuple » et il avait ajouté que « le peuple juif n’a pas le droit, ni les Etats qui le soutiennent de pousser toujours plus loin leurs agressions et leurs actes d’exclusion ». Il avait d’ailleurs usé de mots très durs contre cette loi, la qualifiant d’« ignoble » mais aussi d’ « anti-pluraliste », et d’ « antidémocratique ». Excluant de facto tous ceux qui ne sont pas juifs.
« Il est impensable que nous désertions une terre où la modération a été inventée »
Au cours de son séjour en Jordanie, le patriarche des maronites a rejoint une rencontre œcuménique au siège du vicariat catholique latin d’Amman. Y participaient les membres du conseil des chefs d’Eglise de Jordanie dont le patriarche latin émérite, Mgr Fouad Twal. La réunion a rassemblé autout de l’évêque latin pour la Jordanie, Mgr William Shomali, les représentants des Eglises orthodoxes, catholiques et évangéliques en Jordanie, ainsi que le nonce apostolique dans ce pays, Mgr Alberto Ortega.
Beaucoup de points communs lient le Liban et la Jordanie : accueil de milliers de réfugiés syriens, économie à la peine, aggravation du chômage et exode des jeunes. « Il est impensable que nous désertions une terre où la modération a été inventée », a relevé le patriarche Raï. « Nous sommes les gardiens des racines de l’Eglise universelle », a-t-il rappelé. Sûr que « le mot de la fin reviendra à l’Evangile », et que « la croix vaincra les arrogants ». Il a appelé tous les jeunes à s’attacher à leur terre et à y rester. « Nos pays sont riches de leur culture, de leur civilisation et de leur histoire. Nous avons le droit de les préserver », a-t-il dit, indique l’Agence nationale d’information au Liban.
De plus, le patriarche Raï a insisté sur le rôle crucial de « l’unité d’action des Eglises, en particulier l’entraide que peuvent s’apporter les unes aux autres les institutions sociales, scolaires et hospitalières des Eglises, et le témoignage chrétien que cette unité donnera aux sociétés où elles vivent ». Notamment en Jordanie, en Palestine, au Liban, en Irak et en Syrie.
Pastoralement, le Patriarche a aussi rencontré des représentants de la diaspora libanaise notamment au siège du vicariat patriarcal maronite, à l’occasion de la fête de saint Charbel. Il a par ailleurs inauguré « le Jardin de l’amour et de la paix » à l’entrée du village d’Um el-Jimal, au nord de la Jordanie à 20km à l’est de Mafraq en marge d’une messe célébrée devant 2 500 fidèles. Il s’est aussi rendu à l’église de Saydet al-Jabal (Notre-Dame de la Montagne) à Anjara, célèbre pour sa grotte restaurée ayant abrité Jésus et la Vierge Marie. Dans son homélie, le prélat maronite a prié pour la paix, la prospérité et la stabilité en Jordanie, au Liban, en Palestine et dans tout l’Orient.