Je suis née à Jérusalem, j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 12 ans. J’étais scolarisée chez les Sœurs du Rosaire avant que mes parents ne décident d’émigrer au Qatar pour des raisons professionnelles. Là, j’ai fréquenté une école britannique.” À cet âge-là, Natalie accumulait déjà les carnets de croquis. Son attention était entièrement portée sur les arts, une passion encouragée et appréciée par ses parents. “Il va sans dire que je savais quelle orientation je voulais donner à mes études. Londres était un choix naturel, c’est une plaque tournante et centrale dans le monde de la mode.”
La jeune femme de 27 ans s’est spécialisée au London College of Fashion en Angleterre. Elle a choisi de travailler un temps à Londres dans la haute-couture puis au Qatar et à Dubaï. “A cause de problèmes de carte d’identité et de résidence à Jérusalem, j’ai décidé de revenir toute seule. J’ai travaillé avec une association locale de femmes qui avait pour but d’enseigner à 40 femmes la broderie et la couture”. L’effort sera couronné en 2015 par un défilé de mode à Jérusalem et le lancement de sa propre ligne de vêtements qui porte son nom.
“Je travaille aujourd’hui avec des couturiers indépendants. Selon les thèmes et les techniques de la saison, nous faisons appel à des spécialistes différents. Aujourd’hui mon assistante et moi faisons le maximum pour tout réaliser ici, à Jérusalem.” La créatrice ne le cache pas, la tâche n’est pas facile et une partie du travail se fait aux Émirats, du fait d’un manque d’expertise des établissements palestiniens.
“Pourquoi suis-je revenue ? J’ai toujours voulu faire quelque chose dans mon pays et créer mon entreprise ici, y établir mon studio, produire à Jérusalem. Ma relation avec Jérusalem est difficilement descriptible tant elle est intime et forte. Est-ce en raison de mes années d’enfance ici ? Peut-être… Est-ce que mes années à l’étranger m’ont permis d’y voir des choses particulières, ces petites choses que les autres ne voient pas ? C’est possible. Ce que je sais, c’est que Jérusalem est ma source d’inspiration. Ma collection intitulée Prints of Palestine, imprimés de Jérusalem, en est le témoin, toutes ses pièces portent le label ‘Jérusalem’, c’est une chose voulue.”
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Haute-culture
La production de sa dernière collection a rencontré de nombreuses difficultés. De Hébron à Naplouse, les entreprises ne répondaient pas à l’exigence de qualité de cette perfectionniste. Aussi, a-t-elle fini par tout faire elle-même. “Cette première étape était pour moi un test, pour sonder le marché et sentir les retours du public. Pour la prochaine collection, alors que nous faisons une grande partie du travail de création ici, nous allons confier la réalisation technique à un opérateur extérieur.”
Le marché visé par Natalie est une niche, celle des vêtements de luxe féminins. Elle ne conçoit pas des robes de soirée mais des tenues “intelligentes”. Ses critères sont précis : “La qualité de la tenue est primordiale tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Elle doit également être durable et confortable à porter. La cohérence de ces critères durant la production est essentielle.”
La clientèle est majoritairement extérieure à Jérusalem : ce sont des Palestiniens de la diaspora, mais aussi d’Irak, du Liban, du Brésil, des États-Unis ou encore d’Angleterre, “des régions du monde que je ne pensais même pas atteindre, confie-t-elle. Les clientes font corps avec les pièces”. La collection Imprimés de Palestine représente cinq grandes villes de la broderie et de la couture palestiniennes : Gaza, Hébron, Jaffa, Jérusalem et Ramallah. Chacune de ces villes a ses motifs de broderie propres avec leurs significations bien précises. “Très peu de gens le savent mais la broderie palestinienne est un langage en soi. Elle transmet des messages grâce à des motifs qui varient d’une ville à l’autre.” Les motifs changent en fonction de la classe sociale et de la ville. Pour Natalie, la broderie s’est simplifiée, se réduisant au simple esthétisme, à cause d’un savoir faire qui ne s’apprend plus, qui n’est plus transmis de génération en génération, de mère en fille. “Je voulais par cette collection rappeler ce savoir-faire palestinien pour mettre en valeur notre héritage et notre culture si spéciale. Ma marque cherche à souligner l’identité palestinienne non pas d’une manière politique mais culturelle, explique-t-elle, pour que, quelle que soit la personne, elle puisse apprécier la pièce pour sa beauté toute imprégnée de son contexte culturel propre ; c’est dans cette perspective que je vois l’ethos de mes créations, loin de la politique.”
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Le secteur palestinien de la mode est en gestation, de nombreux créateurs contribuent à son émergence. Aujourd’hui on compte plusieurs créateurs palestiniens à Jaffa et Haïfa, d’autres en diaspora. “Pourquoi ne pas devenir comme Beyrouth ou encore Amman qui font figure de proue dans la mode et où la mode palestinienne est également représentée ? Les choses avancent doucement mais sûrement. Il n’y a pas de raisons pour que les choses n’évoluent pas, nous avons toutes les ressources ici, et avec quelques mises au point, nous y arriverons.”
La création continue
Natalie travaille sur une nouvelle collection, “elle comprendra diverses pièces d’influence palestinienne” dit-elle avec un sourire. C’est flou ? Oui, Natalie préfère ne pas tout dévoiler. “Elle est prévue pour début 2018 “, choisit-elle d’ajouter.
“Ma motivation principale aujourd’hui est la possibilité de créer une chose qui n’existait pas.” La réussite de sa première collection lui a donné un réel coup de pouce, souligne-t-elle, consciente du pessimisme ambiant en ce qui concerne toute initiative créatrice dans les rues palestiniennes. “Tentez le coup malgré les obstacles financiers, politiques et sociétaux. S’il y a un réel désir et une vraie volonté, cela vaut le coup.”♦
Dernière mise à jour: 06/02/2024 11:54