À l’occasion des travaux pour accueillir le Terra Sancta Museum
dans le couvent Saint-Sauveur de Jérusalem, les ouvriers ont découvert, gravées dans la pierre plusieurs inscriptions. Le frère Eugenio Alliata, archéologue du Studium Biblicum Franciscanum,
non seulement les a déchiffrées mais a retrouvé des traces de leurs auteurs.
Durant l’été 2019, des travaux en cours dans certaines pièces souterraines du couvent Saint-Sauveur à Jérusalem, ont permis une découverte intéressante et historique Plusieurs inscriptions ont en effet été mises au jour. Elles avaient été laissées par des pèlerins européens qui y trouvèrent l’hospitalité à la fin du XVIe et au cours du XVIIe siècle. Nombre d’entre eux, dans le récit de leur voyage, ont à cœur de louer l’hospitalité généreuse et fraternelle que leur ont manifestée les franciscains.
Une vingtaine d’inscriptions ont été découvertes. On les trouve principalement sur les pierres les mieux travaillées qui forment les montants des portes ou des fenêtres s’ouvrant dans le mur sud de l’une des pièces, mais aussi parfois sur d’autres surfaces qui semblaient appropriées à cet effet. Certaines inscriptions ont été réalisées rapidement et pas très bien, mais d’autres avec soin, voire élégance.
Un pèlerinage indélébile
Il s’agit de prénoms, de noms de famille, de lieux d’origine, de dates. Il n’est pas rare de pouvoir vérifier la présence des personnes grâce au livre dans lequel les frères consignaient les arrivées des pèlerins. Ce livre, conservé aujourd’hui dans les Archives historiques de la custodie, est connu sous le nom de Navis Peregrinorum, et la partie concernant les dates entre 1561 et 1695 a déjà été publiée, ce qui facilite grandement les recherches (1).
Sur l’arc central d’une pièce on peut lire à droite le simple nom MICHAEL, d’ailleurs très courant. À gauche en revanche, sur la première pierre travaillée, on lit le nom de R•LVLIOT•P, que l’on retrouve dans le Navis Peregrinorum du 13 novembre 1610 (2).
Sur le mur du fond, au-dessus d’une pierre réaffectée, un nom difficile à lire est suivi du qualificatif ANGLVS, anglais. Les pèlerins d’Angleterre continuaient à arriver en nombre à Jérusalem et furent accueillis au couvent, même après la sécession de leur Église.
La plupart des inscriptions les plus frappantes sont rassemblées autour d’une petite fenêtre, sur le linteau de laquelle plusieurs noms apparaissent en grand. Le premier, avec quelques lettres altérées mais pas de façon irrémédiable heureusement, est ARENT•GEBHART•STAMER. Le registre des pèlerins détaille sa présence ainsi que celle de quelques compagnons le 7 octobre 1615. (Dans l’ordre, il est cité le dernier : “D. Wolfgangus Gulielmus Lamminger de Albernreuten nob. Bœmus, qui, et hic respuit sectam Luteri Saxonis. / D. Christophorus Perbant de Urbe Regiomontana Borussus. / D. Martinus Opachowsky Regiomontanus Borussus. / D. Arnoldus Gebhardus Stamer Saxo”. Les quatre protagonistes viennent des contrées germaniques ; le premier compagnon, Lamminger, est de confession clairement évangélique luthérienne, puisque son abjuration est explicitée. L’empereur du Saint-Empire romain Ferdinand II, fervent catholique, en récompense de son soutien politique et militaire pendant la Guerre de Trente Ans, éleva Lamminger au rang de baron, en témoigne un certificat du 15 février 1623. Les noms des compagnons d’ARENT•GEBHART•STAMER n’apparaissent cependant pas parmi les inscriptions sur place.
Un luthérien accueilli par les franciscains
Notre pèlerin, Stammer, dont le nom a plusieurs orthographes possibles, est l’auteur d’un récit de voyage détaillé dans lequel il chante les louanges des franciscains et la façon qu’ils ont d’accueillir les pèlerins. “Ces moines nous ont manifesté une grande amitié et une vraie disponibilité, même si nous ne partagions pas leur foi, car ils n’y prêtent guère attention sur ces terres. Ils nous ont fourni des lits, de la nourriture, de quoi boire, et tout ce dont nous avions besoin”. Le lavement des pieds traditionnel a ensuite eu lieu, mais au moment où il fut proposé aux invités de se confesser et de communier, il dit seulement : “Chacun a donné sa réponse”. La confession et la communion étaient nécessaires pour que “le long et dangereux voyage n’ait pas été réalisé en vain” et en particulier pour obtenir les indulgences liées au pèlerinage, indulgences dont les luthériens, comme on le sait, se moquaient.
Dans l’annexe de son livre, Stammer fait état d’une attestation officielle du pèlerinage accompli, avec le sceau et la signature du Vicaire et du Président de la custodie, Rufino di Savoca, qui, après le décès du custode d’alors, Angelo da Messina, a gouverné entre 1615 et 1616. La datation erronée dans le texte imprimé de cette lettre (1655) a eu une influence sur les répertoires de voyage compilés par divers chercheurs. Aucune date n’apparaît dans l’inscription réapparue à Jérusalem, mais pour des raisons historiques et archivistiques évidentes, son voyage a dû avoir lieu en 1615 (3).
Il s’ensuit sur la même pierre : JOHAN REINI HORNICÆ (cum) L P•SENS•M. La longue inscription semble l’associer à un certain Seigneur de Hornice (Bohême) en présence de 50 pèlerins de Sens (France). La même année, en 1615, le Navis Peregrinorum a enregistré le passage de plusieurs pèlerins de Sens (Sanz), faisant peut-être partie du groupe d’un noble baron (Aloysius Denis Lugdunensis) envoyé par le roi à la cour de Constantinople. Mais pouvait-il vraiment y en avoir 50 ? Nous n’avons aucune autre trace de Johan Reini.
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Sur le montant gauche de la fenêtre on remarque entre autres la mention pour l’année 1639 de IOANES HERZOG VON MVNSTER. Il est également possible de vérifier le passage de cette personne au couvent Saint-Sauveur, ainsi que celui de ses trois compagnons de pèlerinage dans le Navis Peregrinorum (R. D. Ludovicus Helmlin Nob. Lucernensis ex Heluetia Protonot. Ap. Praepositus Cellensis, Custos, et Canonicus Beronensis / R. D. Nicolaus ab Hertenstein, Nob. Lucernensis ex Heluetia, Protonat. Ap. et Canonic. Bernis. / R. D. Andreas Mattmann de Lucerna Curatus à Hegglinga Capli. Mellinginsis Curatus / D. Joannes Herzog civis Beronensis ditionis Lucernensis in Helu). La biographie du premier, est probablement la plus fiable. On y raconte qu’un navire ayant été attaqué par des pirates pendant le voyage de retour, l’équipage périt en mer dont le plus jeune du groupe, précisément notre Joannes Herzog. Les deux survivants du naufrage furent d’abord réduits en esclavage, puis rachetés contre monnaie sonnante et trébuchante. La grande croix à deux entailles qui marque avec force les chiffres de la date, nous apparaît comme une puissante indication de l’esprit ardent du jeune pèlerin.
Le montant gauche de la fenêtre a également été utilisé comme support pour d’autres inscriptions, en l’occurrence des dates, dont deux en particulier, 1617 et 1643, sans doute parmi les dernières inscrites.
La porte occidentale, malgré d’importantes reconfigurations au fil du temps, conserve encore quelques noms d’origine clairement française et appartenant probablement à l’Ordre militaire de Malte : par exemple, celui d’un MA]RECHA[L VARROT 1597 et un DE RIV[I]ERE (même date ?). Aucun de ces derniers noms ne peut être lu dans le Navis Peregrinorum. Un archiviste expert en la matière pourrait améliorer la lecture de tous ces noms et la reconstitution des événements de chacun d’eux.
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Ajoutons qu’à l’étage supérieur de la même aile sud du couvent franciscain de Saint-Sauveur, il y a aussi une ancienne porte en bois et un linteau en pierre avec de nombreux noms et dates qui nous ramènent à la période de 1699 à 1836, nous transmettant ainsi la mémoire de personnes illustres. De la même façon, à Nazareth également, on a retrouvé des inscriptions laissées par des pèlerins de nationalités, de langues et de religions différentes.
Dernière mise à jour: 29/02/2024 12:45