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Laure Joubran : une théologienne suisse à Nazareth

Claire Riobé
4 mars 2020
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A Nazareth, Laure n'a pas seulement fondé un foyer, elle a trouvé les moyens, entouré d'ami(e)s, de vivre sa foi dans l'espérance et la joie.

En voyage d’étude à Jérusalem, Laure Joubran a fait la connaissance de Karim, palestinien et catholique. Vingt ans plus tard, le couple vit à Nazareth et a trois enfants. Théologienne et artiste, calviniste, Laure témoigne du chemin de foi hors du commun qu’elle a parcouru ces dernières années en Israël.


Laure, racontez-nous votre arrivée en Israël

En 1994 je faisais une licence de théologie en Suisse, à Genève, et adorais les cours d’hébreu biblique. Je me suis décidée à apprendre l’hébreu moderne pour pouvoir mieux lire la Bible, et ai choisi de prendre une année sabbatique à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Ma découverte d’Israël s’est faite à travers le monde juif en fait, par le biais de la langue. C’était juste après la première Intifada. Les premiers mots que j’ai appris étaient «attentats», «colis piégés»… Les étudiants devaient suivre tout un tas de consignes de sécurité, on ne prenait pas les bus qui traversaient Jérusalem-Est, ni les taxis arabes. On nous demandait de verrouiller les portes de nos maisons la nuit, sous prétexte que des villages arabes se trouvaient derrière la colline… c’était la paranoïa totale ! Avec le recul, je me rends compte aujourd’hui du niveau de propagande et d’idéologie diffusé dans ce pays.

Cette atmosphère, c’est quelque chose que les gens ne peuvent pas comprendre s’ils ne vivent pas ici et ne parlent pas l’hébreu.

 

Comment avez-vous rencontré Karim ?

J’ai refait plusieurs voyages à Jérusalem entre 1995 et 1997 pour approfondir mon apprentissage de l’hébreu. Un jour j’ai accompagné un groupe de jeunes Suisses pour un pèlerinage… et le chauffeur de notre bus était Karim, mon futur mari ! J’ai terminé mon master en Suisse et ai gagné en 1999 une bourse de l’État d’Israël, qui m’a permis de revenir une deuxième année à Jérusalem.

J’étais une étudiante protestante, francophone, qui désirait faire un travail en lien avec l’Ancien Testament, donc une très bonne «candidate» aux yeux d’Israël pour représenter l’État juif. Ce que l’histoire dit moins, c’est qu’en juillet de la même année, le dernier jour de validité de mon visa étudiant, j’ai épousé Karim ! Vingt ans de mariage, cinq bus et trois enfants plus tard, on peut le raconter… mais les premières années, vous imaginez bien qu’on ne s’en vantait pas trop !

 

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Vous avez donc choisi de rester en Israël et de vous intégrer…

Mon mari était catholique romain. Quand on a commencé à parler de mariage, il m’a tout de suite annoncé la couleur : on resterait ici parce qu’il y avait trop de chrétiens qui partaient. Pour nous, s’installer à Nazareth a été une décision politique.

Quand j’ai débarqué de Jérusalem, où j’avais baigné dans une culture juive très occidentale, je pensais que Nazareth était une grande ville un peu similaire. Je ne me suis pas du tout rendue compte sur le moment de ce dans quoi je m’embarquais. La naïveté nous sauve de bien des soucis (rires).

Chez Laure, l’étude biblique et théologique se poursuit et se traduit dans l’art.

 

Comment s’est passée votre rencontre avec le catholicisme ?

Lui catholique, moi calviniste, nous nous sommes mariés dans l’Église anglicane.

Parce que nous sommes tombés à l’époque sur des prêtres (catholiques) ne sachant pas gérer notre cas. Je n’avais pas de problème à éduquer nos enfants dans la foi catholique, mais il n’était pas question pour moi de changer de confession. Au début, cela n’a pas été facile. Quand je suis arrivée à Nazareth, j’ai flippé (rires). En Suisse mon église est très épurée. C’est une salle polyvalente peinte en blanc, avec une croix en bois accrochée au mur. Quand les calvinistes prient, ils ne font pas appel à leur corps : ils sont soit assis, soit debout.

À Nazareth quand vous entrez dans une église, vous sentez plein d’odeurs, vous entrez dans un espace sacré, à part. Pendant la messe, les catholiques font appel à leur corps, on touche, on bouge, on s’agenouille. Et puis il y a un pouvoir et une force immenses dans le fait que tous les catholiques du monde entier lisent les mêmes textes bibliques le même jour. Nous n’avons pas cela chez les protestants. En revanche, ce avec quoi j’ai plus de mal chez les catholiques, c’est quand je vois que la tradition et la liturgie deviennent un poids au lieu d’être porteuses de vie […].

Finalement, en vingt ans, j’ai observé des forces et des faiblesses dans les deux Églises. Je crois que chacune doit chercher à garder ses spécificités mais il faut toujours garder en tête que ce sont des êtres vivants qui célèbrent la messe, quelle que soit l’Église.

 

Je crois que chacune doit chercher à garder ses spécificités mais il faut toujours garder en tête que ce sont des êtres vivants qui célèbrent la messe, quelle que soit l’Église.

 

L’Église catholique est agitée en ce moment d’un débat sur l’ordination d’hommes mariés ? Vous êtes théologienne et vous êtes entourée ici de prêtres mariés ? Qu’en pensez-vous ?

Pour l’Église catholique occidentale, le fait qu’un prêtre puisse être marié est une honte, une déchéance. En Orient on voit les choses différemment. L’ordination d’hommes mariés existe.

Les Églises melkite et maronite, qui sont rattachées à Rome, ont de très nombreux prêtres mariés. Et il y a ici beaucoup d’hommes mariés qui entendent la vocation à la prêtrise. J’en connais deux de rite latin qui se sont donc rapprochés de l’Église maronite afin de pouvoir devenir prêtres. À mes yeux, le souci que pose le célibat des prêtres est la solitude imposée. On impose aux prêtres catholiques des charges de travail extrêmement lourdes, et on les oblige en plus à être seuls. Bien sûr, dans l’idéal, les prêtres devraient tous pouvoir vivre en communautés. Mais concrètement, dans les paroisses de campagne, on sait bien que ce n’est pas le cas.

Je trouve que c’est d’une violence terrible. Pour moi, c’est le côté pas humain de la hiérarchie.

 

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Mais la tradition du célibat n’a-t-elle pas des origines orientales ?

Une religieuse catholique de Jérusalem, qui m’a formée à l’écriture d’icône, disait que le célibat et la masculinité des prêtres sont des restes du Temple. Dans l’Ancien Testament, le prêtre est mâle car les menstruations des femmes étaient vues comme impures. Le prêtre est aussi célibataire durant sa période de service, pour la même raison : les relations sexuelles étaient vues comme impures. Pour cette religieuse, notre interprétation du célibat des prêtres vient de là, de l’époque du Temple.

 

Pour vous cette tradition serait soit culturelle, soit issue d’une erreur d’interprétation des textes ?

Oui. Prenons le Nouveau Testament, par exemple. Les chefs des maisons où passaient les apôtres étaient parfois des hommes, parfois des femmes, comme dans le cas de Lydie, une marchande puissante dans sa région, qui a accueilli Paul chez elle Ac 16, 11-15, 40. De même pour Phoebé Rm 16, 1-2. Ces femmes étaient riches, avaient de l’influence, et il n’est pas bizarre de penser qu’après que saint Paul soit passé chez elles, Lydie et Phoebé ont probablement retransmis à leur entourage ce qu’elles ont appris de lui.

On voit avec cet exemple que les premiers prêtres, ou les premières personnes qui ont diffusé l’Évangile, n’étaient pas que des hommes. Au passage, je désirais devenir pasteure quand j’étais étudiante. En tant que protestante, je considère qu’avoir une femme qui prêche sur un texte biblique n’est vraiment pas quelque chose d’exceptionnel.

Il y eut d’abord l’amour de la Parole de Dieu, puis celui de la Terre sainte et finalement celui pour Karim auprès duquel tout s’est ordonné depuis 20 ans.

 

Vivre en Terre sainte a-t-il influencé votre foi et votre manière d’écrire les icônes ?

Clairement oui, je suis nourrie par ce que je vis et vois à Nazareth. Et je crois qu’il y a des passages de la Bible que l’on comprend mieux quand on vit ici, dans une culture orientale.

Concernant l’écriture d’icône, les artistes protestants suisses que je connais vont plutôt dans l’art l’abstrait, dans le moderne. En ce qui me concerne, je fais de l’art naïf, qui se rattache à la tradition byzantine. La culture arabe de Terre sainte influence forcément ma compréhension des textes bibliques et ma manière, en retour, de représenter la Bible en icône.

 

La culture arabe de Terre sainte influence forcément ma compréhension des textes bibliques et ma manière, en retour, de représenter la Bible en icône.

 

Observez-vous des défis particuliers au sein de l’Église catholique de Nazareth ?

Un exemple que je remarque après plusieurs années sur cette terre est que le prêtre arabe moyen à tendance à se comporter en «petit chef». Les prêtres arabophones, je le vis à Nazareth, ont une manière bien à eux de mener leur paroisse. Beaucoup font de l’activité pour faire de l’activité, sans chercher à mener pour autant un vrai projet spirituel avec leurs paroissiens. Ceux d’entre-nous qui sont en recherche d’enseignements religieux, par exemple, ne trouvent pas leur compte dans ces églises.

 

Après vingt années à Nazareth, pensez-vous avoir trouvé votre place dans l’Église locale ?

Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un œcuménisme de fait en Terre sainte. Pendant des années ici, j’ai prié pour trouver une Église dans laquelle je pouvais me sentir bien, car je n’en voyais aucune qui me ressemblait. Ce qui m’intéressait avant tout était d’avoir un lieu où je pouvais avoir une place en tant que femme. Et il y a dix ans, j’ai intégré un groupe de lecture biblique composé d’une dizaine de femmes.

Nous sommes toutes issues des Églises protestantes et mariées à des chrétiens palestiniens des différentes Églises orientales du pays. C’est vraiment grâce à ce groupe que j’ai pu me recentrer sur ma foi et l’approfondissement de la Bible.

Dernière mise à jour: 04/03/2024 15:05