Ses habitants ont la carte d'identité de Jérusalem, pourtant ils vivent derrière les grands panneaux de béton qui, assemblés, constituent la barrière de sécurité construite par Israël pour se séparer des populations palestiniennes de Cisjordanie. Visite dans le camp de réfugiés de Shoua'fat où des organisations essaient de pallier l’abandon dans lequel les laisse la municipalité.
Il se trouve à seulement quelques minutes du centre de Jérusalem en voiture. Il faut laisser derrière soi les murs de la Vieille ville, les quartiers de Sheikh Jarrah et de French Hill, jusqu’à ce qu’un checkpoint bloque la route. C’est juste après cet arrêt que se trouve le camp de réfugiés de Shoua’fat. Les tourniquets, les soldats, les vérifications au point de contrôle sont identiques aux autres, mais une fois que vous avez passé le détecteur de métal et présenté vos papiers d’identité, vous êtes de nouveau à Jérusalem. Comment est-ce possible ? Il s’agit d’une zone sous la juridiction de la municipalité de Jérusalem, bien que ce soit un lieu oublié, un endroit tenu longtemps pour être « la terre de personne ».
Le camp de réfugiés de Shoua’fat a été créé en 1965 par l’UNRWA(1) afin d’offrir un abri à plus de 500 familles qui résidaient dans le camp de Mou’askar dans la Vieille ville de Jérusalem. Après la guerre de 1967 le secteur fut annexé par Israël et intégré au district municipal de Jérusalem. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, les habitants détiennent des papiers d’identité de Jérusalem. Lorsque le mur de séparation entre Israël et la Palestine a été construit en 2003, les habitants du camp de Shoua’fat et des zones alentours se sont retrouvés isolés du reste de Jérusalem.
Aujourd’hui, environ 12 500 réfugiés palestiniens sont enregistrés comme résidents du camp de Shoua’fat, mais selon les estimations de l’UNRWA, le nombre réel d’habitants s’élève à 24 000. En fait, nombreux sont ceux qui, pour être résidents de Jérusalem, élisent domicile dans le camp de Shoua’fat, même s’ils préfèrent vivre ensuite ailleurs en Palestine. La vie dans le camp n’est pas facile, du fait de la détérioration de l’environnement et du total désintérêt de la municipalité israélienne. Le manque de forces de police favorise aussi la criminalité, à tel point qu’on dit du camp de Shoua’fat qu’il est une plaque tournante du trafic de drogue entre Israël et la Palestine.
Sur 0,2 km2 avec une densité de population estimée à 50 000 habitants par km2, des milliers de réfugiés palestiniens vivent en périphérie de la ville, en marge de la société. Ils sont originaires de Lod, Jérusalem, Ramla, Gaza et de la région ouest d’Hébron, d’où ils ont été chassés après la guerre de 1948. De ce passé, il ne reste aujourd’hui rien d’autre qu’une carte les identifiant comme Hiérosolymitains et une place assurée dans le ghetto de Shoua’fat. Surpeuplés et dégradés, ses bâtiments sont construits sans plans, presque les uns sur les autres. Dans les années soixante, toutes les maisons avaient la même hauteur, mais l’augmentation vertigineuse de la population a fait qu’au fil des ans, on a continué à construire de plus en plus haut.
Dans le camp, les enfants jouent pieds nus, surveillés depuis la fenêtre par les femmes qui se méfient de la présence d’éventuels inconnus. Un mégaphone annonce le passage d’une petite camionnette vendant des fruits et des tomates, comme dans n’importe quel quartier populaire ; mais ce qui est atypique, ce sont les énormes tas d’immondices abandonnés au coin des rues. De temps à autre, quelqu’un allume un feu dans ces petites décharges et c’est cette odeur-là qui imprègne les rues : poussière, déchets et plastique brûlés.
Malgré les conditions difficiles, c’est la même chose tous les matins : il y a ceux qui franchissent le checkpoint encombré pour aller travailler dans le centre de Jérusalem, et ceux qui passent la plupart de leur temps dans ce micro-monde régi par des règles bien à lui.
Pour pouvoir offrir aux habitants une vie normale et favoriser le regroupement, l’UNRWA a mis en place un comité populaire dans le camp et a construit trois écoles, un centre pour femmes, un pour les jeunes, un autre pour les enfants et également un centre de réhabilitation. Il reste encore beaucoup à faire, c’est pourquoi l’intervention d’organismes extérieurs est fondamentale. A l’instar du projet lancé en avril 2016, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par l’ONG italienne de coopération et de développement Cesvi, l’ODI (Overseas Development Institute) – un institut de recherche indépendant -, et l’UNRWA, avec la collaboration d’organisations communautaires présentes sur le terrain.
“L’objectif du projet est d’améliorer les conditions sanitaires du camp, grâce à une meilleure gestion des déchets, explique Marco Verber, ingénieur en environnement pour Cesvi. D’ici juillet 2019 nous voulons doter tous les bâtiments de poubelles et nous sommes en train d’installer des systèmes de soulèvement automatique sur les petits tracteurs qui font le tour pour collecter les poubelles“.
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Pour résoudre le problème des vols ou des incendies de poubelles, Cesvi a développé un plan de contrôle. L’ONG a installé des caméras à 360 degrés, afin d’envoyer des images une fois par mois à un logiciel spécifique pour l’analyse de données. Il sera ainsi possible de surveiller que les bacs sont toujours présents ou en état et également utiliser ces images pour faire une promenade virtuelle sur le terrain.
Le travail a été long du fait d’un porte-à-porte indispensable pour pouvoir déterminer avant tout le nombre réel d’habitants, permettant ainsi d’évaluer le nombre nécessaire de poubelles. La contribution de quatre jeunes du camp, impliqués dans le projet, a permis que cela se passe sans heurts, en dépassant la méfiance des résidents, souvent réticents à interagir avec les étrangers.
L’une des quatre est Shuruq, une jeune fille voilée qui sourit et parle peu. Lorsqu’elle se promène dans la rue, tout le monde la salue et lui demande qui sont ces personnes qui l’accompagnent. Des Israéliens ? Des touristes ? Des journalistes ? Mais sa présence suffit à rassurer les curieux. Les gens sont maintenant au courant du projet de gestion des déchets, car l’une des phases prévoyait un processus participatif afin d’impliquer directement les bénéficiaires de l’action.
“Une fois que le contenu des poubelles sera ramassé par les petits tracteurs, il sera stocké dans un point de collecte, d’où il sera alors acheminé vers une décharge“, explique Marco Verber. Une autre nouveauté introduite par le projet est l’utilisation de conteneurs fermés et plus facile à transporter.
La gestion des déchets dans le camp de Shoua’fat était critique, étant donné que la municipalité de Jérusalem ne s’en était pas occupée depuis le début de la première Intifada. En dix ans d’administration municipale, le maire sortant de Jérusalem, Nir Barkat, n’avait jamais visité le camp, selon les habitants, jusqu’au 23 octobre dernier. Dans le cadre de la campagne électorale, Nir Barkat a été photographié dans les rues de Shoua’fat et a annoncé pour la première fois l’entrée d’agents de nettoyage de la municipalité. Une façon de son point de vue de délégitimer l’UNRWA, comme le confirment ses déclarations à l’occasion de la visite au camp : “À Jérusalem, il n’y a pas de réfugiés, mais des résidents, et ils doivent recevoir les services municipaux comme tout autre résident. Les États-Unis ne veulent pas de l’UNRWA, Israël ne veut pas de l’UNRWA et les habitants ne veulent pas de l’UNRWA.”
L’espoir malgré tout
En réaction à son discours, de nombreux habitants du camp ont empêché l’accès des véhicules municipaux à leurs rues. Certains autres, voyant la qualité du service, étaient en revanche satisfaits.
Au début, la ville avait mis en place plusieurs travailleurs et véhicules, mais les projecteurs de l’actualité furent éteints, on ne rencontra plus que quelques employés et quelques tracteurs. L’intervention municipale a en définitive créé surtout de la confusion parmi les habitants sur le projet de l’ONG. “Beaucoup de gens ont commencé à penser que nous étions de la municipalité ou que nous avions commencé à distribuer les poubelles uniquement à cause de l’interférence de Jérusalem et que sans ces événements, nous ne l’aurions jamais fait”, explique Marco di Cesvi.
De nouvelles tensions ont éclaté avec l’UNRWA, en particulier lorsque la municipalité a commencé à utiliser la station de transfert de l’UNRWA et même leurs conteneurs les jours de repos.
Cependant, l’action de sensibilisation aux problèmes environnementaux prévue par le projet, est fondamentale pour les enfants, les enseignants, les éducateurs, les volontaires du camp. L’espoir est que, malgré l’indifférence des institutions, une communauté se créée avec une meilleure conscience du fait que quelques bonnes normes en matière de gestion des déchets peut avoir des effets positifs sur la vie de chacun. Viendra ensuite le temps de la création d’espaces verts et du réaménagement de certaines zones dégradées du camp, afin de restaurer un minimum de dignité dans ce lieu délaissé.
1. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (en anglais UNRWA – United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East) est un programme de l’Organisation des Nations Unies.
Dernière mise à jour: 05/03/2024 14:45