Nous étions de nouveau en guerre (octobre 1973). Cette fois, ils l’avaient baptisée guerre du Kippour.” Frère Virgilio Corbo, archéologue au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem, a entrepris de brosser rapidement l’extraordinaire aventure de la découverte de Magdala(1). La mission archéologique qui était en cours depuis des années dans la ville voisine de Capharnaüm avait été conduite à explorer également cet autre secteur du lac. Alors que les convois militaires montaient vers le Golan et que les chasseurs déchiraient le ciel, “un petit groupe de travailleurs poursuivait les fouilles à Magdala”. L’attention se concentrait ailleurs : “Personne ne s’est donc rendu compte que la seule mission archéologique à continuer à ce moment-là en Terre Sainte concernait les couches de terre qui recouvraient Magdala, enfouie depuis des siècles.”
1. La Terre Sainte, nov. 1974, pp. 283-288
Nous sommes sur le lac de Galilée. Les premières fouilles à Magdala, sur un terrain acheté par la custodie de Terre Sainte et se trouvant sur les rives du lac, ont commencé en novembre 1971. Une deuxième opération eut lieu en septembre-octobre 1973. Parmi les découvertes les plus importantes, celle du monastère byzantin, des bâtiments de la ville romaine et ce qui, jusqu’à il y a quelques années, était considéré comme une mini-synagogue du Ier siècle (qui ensuite, avec les fouilles de Stefano De Luca, s’est avérée être un centre thermal).
Un peu moins de 50 ans après le début des fouilles, que savons-nous aujourd’hui de cette ville ? Quelle est son importance dans la Galilée du temps de Jésus ?
Tout d’abord une précision : la tradition gréco-romaine désignait la ville par le nom de Magdala/Taricheae ; dans la tradition juive onomastique l’ensemble est plutôt nommé Migdal Nunya. Les toponymes, dans la version grecque comme juive, signifient “la tour des poissons”, faisant probablement allusion à une méthode de séchage du produit de la pêche en vogue à l’époque. Un troisième toponyme, Migdal Sebaya, fait allusion à l’art de la teinture des tissus.
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“Le site – écrit Stefano De Luca dans Liber Annuus 2009, pp. 436-453 – est intensément fréquenté de la fin du IIe siècle av. J.-C. au Ier siècle ap. J.-C., c’est-à-dire sous les derniers princes hasmonéens et la dynastie hérodienne. Du point de vue urbain il semble y avoir une expansion de la construction publique comme privée sous le règne d’Agrippa II, sous qui, en 54 ap. J.-C., Néron avait annexé Taricheae et son district administratif (Flavius Josèphe, Bellum Iudaicum II, 252 ; Antiquitates Iudaicae XX, 159). Après le grand soulèvement juif (66-67 ap.J.-C.), vers 70, le site a subi de lourdes destructions, pour n’être de nouveau habité qu’à l’époque byzantine.”
Renaissance
On situe plusieurs épisodes de l’Évangile dans cette ville florissante au temps de Jésus. C’est à cette époque, explique le frère Virgilio Corbo, qu’y est née Marie, cette femme que “Jésus avait libérée de sept démons (cf. Lc 8, 2) ; et depuis, elle a toujours été désignée comme Marie la Magdaléenne ou Marie-Madeleine (Mt 27, 56 et Mc 15, 40).”
Mais l’archéologue (qui avait travaillé en partenariat avec son confrère Stanislao Loffreda) nous met en garde : “Magdala, qui rivalisait avec la ville voisine de Tibériade, alors en plein essor, s’est évanouie pendant des siècles ; même al-Magdal, le village arabe qui perpétue la mémoire du site, a disparu avec la naissance de l’État d’Israël, les maisons ayant été jetées à la mer à l’aide de bulldozers. Ne subsiste que l’enceinte du terrain de la custodie de Terre Sainte, dominée par une ancienne tour solitaire.”
Au fil des décennies, en réalité, les choses ont beaucoup changé sur les rives du lac, à commencer par les fouilles entreprises dans la zone contigüe par les légionnaires du Christ, qui ont mis au jour (cette fois sans aucun doute) une ancienne synagogue et un bas-relief avec une ancienne représentation de la Menorah.
Dans la partie appartenant à la custodie de Terre Sainte, après de nombreuses années d’abandon, les fouilles ont repris en 2006-2007 grâce aux efforts du SBF à Jérusalem, et en particulier de ceux de Stefano De Luca. Cette dernière campagne de fouilles a consisté en une étude plus approfondie du monastère byzantin, aux alentours duquel devait être construit le sanctuaire consacré à Marie-Madeleine (selon des sources littéraires, le site a été fréquenté sans interruption par les pèlerins jusqu’à l’époque de Ricoldo da Monte Croce en 1294) ; elle a surtout mis en lumière la zone portuaire comprenant les fondations d’une tour à casemates, d’un mur hasmonéen en pierre de taille aux marges taillées, des rampes pour l’arrimage des bateaux, un escalier, un bassin enduit de plâtre et six amarres incorporées dans le mur”.
Somme toute il se trouve à Magdala le port antique le mieux préservé jamais découvert sur les rives du lac de Galilée.” (Liber Annuus, op. cit.)
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“La mission archéologique dirigée par De Luca – explique Don Gianantonio Urbani, archéologue du SBF – a également mené des investigations archéologiques sur les variations climatiques du territoire et sur les courants de surface et de fond du lac de Galilée. Elles ont indiqué que le lieu choisi pour la construction du premier quai, datant de la période hasmonéenne (IIe siècle av. J.-C.), répondait aux besoins stratégiques, pour exploiter au mieux, avec les bateaux à voile carrée, le cercle des vents soufflant en surface. Un certain nombre de bateaux étaient amarrés à Magdala : selon le témoignage de Giuseppe Flavio, il y en avait environ 230.”
Les fouilles de Magdala, qui réserveront certainement d’autres surprises à l’avenir, ont assurément le grand mérite d’avoir contribué à la compréhension de la vie autour du lac de Galilée au temps de Jésus. Mais elles nous rapprochent aussi d’une manière extraordinaire de la figure de Marie la Magdaléenne.
Pendant la Passion elle veilla au pied de la Croix et fut le premier témoin de la Résurrection du Seigneur qui l’appela par son nom. Au nom de cette forme particulière de prédilection le pape François a institué, le 3 juin 2016, la mémoire de Marie-Madeleine le 22 juillet, une fête liturgique.
Comme l’a expliqué le secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin Mgr Arthur Roche, la fête a été voulue pour “signifier l’importance de cette femme qui a montré un grand amour pour le Christ et qui a été tant aimée par lui”.
UNE IDÉE ORIGINALE
Un diocèse jumelé avec un lieu saint
Don Raimondo Sinibaldi, directeur du Service des pèlerinages de Vicence, travaille à Magdala depuis quelque temps. Depuis que, il y a quelques années, il a reçu un appel téléphonique du custode de Terre Sainte de l’époque, Pierbattista Pizzaballa, aujourd’hui Administrateur Apostolique du patriarcat latin de Jérusalem : “Il me demanda de l’aide pour ouvrir au public les fouilles de Magdala. Le lendemain, j’ai pris l’avion pour Jérusalem afin de voir ce que nous pouvions faire. Quatre ans se sont écoulés émaillés de plusieurs obstacles bureaucratiques. Mais maintenant le rêve est réalité.”
“Nous avons mis au point un accord entre le diocèse de Vicence et la custodie pour la gestion du site archéologique. Nous avons formé environ 80 volontaires, qui se sont rendus disponibles pour offrir un service sur les rives du lac de Galilée afin de permettre aux pèlerins de visiter ce lieu extraordinaire. L’ouverture s’est faite le 1er février 2020.”
L’évêque, Mgr Beniamino Pizziol, avait réuni en septembre 2019 tous les volontaires pour leur envoi en mission. L’idée était de les faire partir par groupes de 4-5, pour un mois chacun. Ils ont été formés aux niveaux historique, géographique et biblique – explique Don Raimondo -, ils ont étudié la figure de Marie- Madeleine et des femmes dans la Bible. Ils s’occuperont de l’accueil et de l’animation des groupes de pèlerins sur le site archéologique, dans le style franciscain. Mais ils devront surtout tenir compte de cet aspect : Magdala n’est pas un site archéologique “classique”, mais bien le lieu où Dieu s’est manifesté, a rencontré les hommes, s’est lié à eux. L’objectif ultime de la visite est que nos invités fassent l’expérience de l’Évangile.
Don Raimondo est un passionné de ce coin de Terre Sainte : “Au temps de Jésus, dans la région du lac, il y avait de tout : des juifs observants sur la rive occidentale, des juifs religieux (sadducéens, pharisiens, scribes) sur la rive sud, au nord-est nous avons Gamla avec des juifs zélotes, plus au nord l’influence phénicienne. L’action publique de Jésus a touché toutes les formes de sociétés, de cultures, les langues, les manières de penser, de comprendre la vie, le corps et l’au-delà. Magdala était alors la ville la plus importante du lac : 40 000 habitants, presque aussi grande que Jérusalem.”
En fin de compte Magdala porte un message pour le monde d’aujourd’hui. “Je n’en ai aucun doute. Sur le lac de Galilée, l’Évangile se manifeste comme une Bonne Nouvelle pour tous les hommes de toutes langues, cultures et latitudes.
Et d’une manière extraordinaire, cette nouvelle ère de l’amour est incarnée par une femme.
Marie-Madeleine est capable d’un amour immense et unique. Et ce n’est pas par hasard qu’elle ait été la première à voir le Ressuscité. Marie de Magdala prend d’abord Jésus pour le jardinier, mais lorsqu’il l’appelle par son nom, elle le reconnaît comme le Seigneur. Voilà, nous voulons que Magdala soit (mieux, redevienne) le lieu où tant de pèlerins pourront faire mémoire de l’appel destiné à chacun d’entre nous.”
Dernière mise à jour: 08/03/2024 11:01