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Venez et voyez: Aïn Karem la vigne de Juda

Claire Burkel
28 novembre 2020
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Le domaine franciscain. Dans ce paisible cloître l’élévation de l’église du XIXe siècle appuyée sur la chapelle antique taillée dans le rocher. Et devant elles, les deux cousines dans leur conversation avec l’Esprit saint ©Nimrod Sannders/CTS

Aviez-vous jamais réalisé que le Benedictus chanté à l’office des laudes ou le Magnifcat chanté durant les vêpres - dans la liturgie latine - ont été prononcés dans la même ville ? Il est temps de revoir vos classiques sur Aïn Karem, la source du vignoble.


Un village dans les montagnes de Judée à l’ouest de Jérusalem où le pèlerin peut méditer deux passages du Nouveau Testament que délivre l’évangéliste Luc, et lui seul, la Visitation et la naissance de Jean Baptiste. “En ces jours-là Marie partit (de Nazareth – le récit fait suite à l’Annonciation) et se rendit en hâte vers la région montagneuse dans une ville de Juda” Lc 1, 39 à la rencontre de sa parente Élisabeth.

L’indice topographique est maigre. Pour une localisation plus précise, voir l’antique tradition : tout d’abord un miracle rapporté dès le Ier siècle selon lequel Élisabeth et son tout jeune Jean, fuyant la fureur d’Hérode qui voulait éliminer tous les nourrissons mâles de la région, auraient vu un rocher s’ouvrir devant eux pour qu’ils s’y dissimulent – Protévangile de Jacques. Une manière de dire comment ces habitants de la montagne ont échappé au massacre des Innocents ordonné “dans Bethléem et tout son territoire” quand Hérode s’est vu joué par les mages Mt 2, 16.

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Chacun des épisodes, la Visitation et l’Adoration des mages, n’étant rapporté que, l’un par Luc, l’autre par Matthieu, il est touchant de voir comment les traditions ont façonné les “récits d’enfance” et les ont inscrits dans cette terre de Judée. Au IIe siècle on a vénéré à Aïn Karem la maison d’Élisabeth et Zacharie, qui comme prêtre devait résider à proximité du Temple pour son service. Au IIIe siècle on y a fixé la Visitation et la naissance de Jean.

Au sud le chant du matin

Notre pèlerinage portera sur deux lieux différents que l’on abordera selon la chronologie des événements. Pour la Visitation il faut monter depuis le creux du village sur la colline qui se trouve au sud ; un grand porche ouvre sur un domaine franciscain et l’on trouve une crypte sur la gauche ; au fond de celle-ci une grotte, qui est le lieu d’origine de la vénération, avec un puits.

Mosaïque byzantine dans la crypte de l’église du Benedictus. Comme un tapis de motifs géométriques aux teintes encore vives agrémentés d’oiseaux qui picorent alentour et deux paons qui, par l’ornement
de leur roue de plumes, symbolisaient dans l’Antiquité l’éternité ©Nimrod Sannders/CTS

On sait combien les cavernes, tout en étant des habitats ordinaires pour beaucoup de contemporains de ces familles du Ier siècle, sont des lieux de choix pour maints événements de la tradition biblique : naissance de Jésus, enseignements du Christ en Galilée ou sur le mont des Oliviers, arrestation de Jésus et tombeau taillé dans la roche. En avant de ces grottes habitables on construisait un bâtiment qui agrandissait la demeure.

Cette chapelle byzantine du Ve siècle fut élargie au XIIe siècle par les Croisés, augmentée d’un monastère fortifié dans le domaine, puis restaurée en 1861 ; elle fait aujourd’hui office de crypte pour l’église moderne au-dessus, qui ne date que du milieu du XXe siècle.

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Dans ce jardin très calme et joliment fleuri, que l’on visitera de préférence un matin avant de se rendre à Bethléem, c’est une joie de lire la rencontre des deux futures mères, Élisabeth qui à cause de son âge avancé croyait ne jamais pouvoir enfanter et Marie, encore vierge et porteuse de la nouvelle inouïe : “Voici que tu concevras en ton sein et enfanteras un fils, tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père” – ce qui l’inscrit dans la lignée royale et le fera reconnaître comme messie – Lc 1, 30-32. Sur les murs du jardin sont apposés des grands carreaux de faïence qui reproduisent avec de belles couleurs brillantes et en plusieurs langues le Magnificat ; la tradition des majoliques vient du Carmel du Pater sur le mont des Oliviers et se retrouve sur plusieurs sites de pèlerinages.

Exaltation

Ce chant tellement subversif que certaines dictatures latino-américaines l’avaient fait retirer des missels trouve ici sa résonance : “Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur !… Il disperse les orgueilleux, renverse les puissants de leurs trônes, élève les humbles, comble de biens les affamés et renvoie les riches les mains vides” Lc 1, 51-53 – “Le pèlerin vient se rendre disponible à l’Esprit dans ce haut-lieu de la rencontre” Mgr Jacques Perrier (1).

Marie a emprunté les paroles de son exaltation à plusieurs de ses prédécesseurs amoureux de Dieu : Anne, qui sera la mère du dernier Juge Samuel, lorsqu’elle chante sa maternité future : “Mon âme exulte dans le Seigneur… il brise l’arc des puissants mais ceinture de sa force les défaillants ; c’est lui, le Seigneur, qui appauvrit et enrichit, qui abaisse et qui aussi élève” 1S 2, 1-10. Le prophète du VIe siècle qui réconforte les exilés : “Israël mon serviteur, Jacob que j’ai choisi, est de la race d’Abraham mon ami” – Is 41, 8 ; et Sophonie le contemporain de Jérémie : “Crie de joie, fille de Sion, réjouis-toi de tout ton cœur… le Seigneur est roi d’Israël au milieu de toi !” – So 3, 14-15.

Vaste est le paysage. Dans un moutonnement de collines boisées émergent plusieurs clochers. Autant d’églises qui ont voulu prier ici avec Marie et Élisabeth, chanter leur joie de la prochaine venue du messie ©Nimrod Sannders/CTS

Enfin les psalmistes : “L’amour du Seigneur pour qui le craint est de toujours à toujours et sa justice pour les fils de ses fils, eux qui gardent son alliance et se souviennent d’accomplir sa volonté” 103, 17-18 ; “Il rassasie l’âme avide et comble de biens l’âme affamée” 107, 9 ; “mon âme exultera dans le Seigneur, jubilera en son salut” 35, 9 ; “Chantez au Seigneur un chant nouveau, louez-le dans l’assemblée de ses fidèles ! Joie pour Israël qui reconnaît son auteur”… 149, 1-2. La jeune fille qui chante sa joie devant sa cousine “parle Ancien Testament”, tout imprégnée qu’elle est de l’Écriture.

Au nord le chant du soir

Le second épisode se déroule six mois plus tard à l’opposé du même village sur la pente nord. Il est immortalisé par une église franciscaine du XVIIe siècle à trois nefs que la Custodie a fait construire sur les ruines d’une église croisée du XIIe, elle-même édifiée sur une double chapelle byzantine du IVe siècle ; leurs mosaïques de seuil sont encore visibles, celle de gauche au nord donne une inscription en grec : “Salut aux martyrs de Dieu” (mais on ignore jusqu’à présent qui sont les témoins en question) et celle de droite, côté sud, est tapissée de motifs floraux et géométriques très simples. C’est le lieu pour relire l’événement de la naissance et de la circoncision de Jean “au huitième jour” Lc 1, 37-79.

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Le mutisme dont avait été frappé Zacharie, le vieux père incrédule aux paroles de l’ange Gabriel, prend fin quand vient le moment de donner le nom de son fils et son cœur se trouve aussi rempli d’Esprit saint : “Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël de ce qu’il a visité et délivré son peuple !” Le Benedictus est autant ancré dans les Psaumes et les oracles des prophètes que l’est le Magnificat marial : Ps 111, 9 “C’est le Seigneur qui envoie la délivrance à son peuple”- Ps 105, 8-9 “Il se rappelle à jamais son alliance, parole promulguée pour mille générations, pacte conclu avec Abraham, serment qu’il fit à Isaac”. Is 9, 1 “Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du sombre pays une lumière a resplendi”…

Ces deux cantiques insérés dans l’histoire du Christ par les voix de Marie et de Zacharie, introduisent la filiation du Verbe ; il est “Dieu, né de Dieu”, mais aussi Parole permanente qui provient de la bouche même de Dieu, mise en forme par l’Esprit saint qui “a parlé par les prophètes”, c’est-à-dire par tous les textes et récits de l’Écriture qui le précèdent et préparaient sa venue. Une matinée passée à Aïn Karem dispose le cœur des pèlerins avant qu’ils ne se penchent sur la grotte de Bethléem ; c’est un même mystère qui se déploie depuis que l’ange Gabriel a ouvert pour Zacharie, Marie et Joseph les temps messianiques.


Un autre Karem mentionné dans la Bible 

Serait-ce le village de Karem évoqué en Jos 15, 59 dans une liste territoriale ? “Teqoa, Ephrata-Bethléem, Péor, Karem”… devenue au Ve siècle av. J.-C. une ville de la province perse, chef-lieu du cinquième canton de Judée à faible distance de Teqoa : “Bet-ha-Kérem” pour Ne 3, 14 ? En un moment critique de l’histoire d’Israël le prophète Jérémie avait entrevu le désastre pour Jérusalem : “Fuyez, gens de Benjamin, du milieu de Jérusalem, à Teqoa sonnez du cor, dressez un signal car du nord survient un malheur ; la belle, la délicate fille de Sion sera détruite !” Jr 6, 1.

Teqoa, qui est par ailleurs la ville d’origine du prophète Amos (Am 1, 1) paraît plus importante que Aïn Karem, mais nous sommes bien dans le même secteur des collines boisées de Juda. Aujourd’hui le village de Zacharie fait partie de l’agglomération de Jérusalem et une route qui contourne par le sud-ouest permet de gagner facilement Bethléem.

Kerem qui signifie en hébreu une variété de vigne cultivée, et a donné son nom à la couleur carmin, est déjà présente dans la bénédiction de Jacob sur Juda à qui est promis l’héritage royal : “Il lie à la vigne son ânon, au cep le petit
de son ânesse, il lave son vêtement dans le vin, son habit dans le sang des raisins” Gn 49, 11. C’est bien Juda qui est
“un cep de choix” Jr 2, 21.

Dernière mise à jour: 08/03/2024 15:20

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