L’un des enseignements des études franciscaines florissantes de ces dernières décennies est le rôle de premier plan joué par la liturgie dans la formation de la pensée et de la spiritualité de François d’Assise.
En effet, si le fils de Pierre de Bernardone a été éduqué pour reprendre l’activité commerciale de son père – ayant pour cette raison appris à lire, écrire et compter – au fil des ans sa formation s’est étendue. C’est aussi l’idéologie chevaleresque, c’est-à-dire revêtir physiquement comme mentalement l’armure des chevaliers dans le désir de percer socialement et devenir, comme le souhaitait aussi son père, chevalier et donc noble.
Mais dès lors qu’il a été plein de miséricorde avec les lépreux, ce qui a marqué un tournant dans sa vie (cf. P. Mass, Francesco misericordioso. La sfida della fraternità, Milan 2018), la règle de vie de François d’Assise consistera à conformer sa vie à l’Évangile et s’attacher à Jésus-Christ. D’autant plus que d’autres l’ont rejoint, qu’une fraternité évangélique s’est formée, devenant progressivement l’Ordre mineur ; la liturgie, dans toute sa puissance, est devenue le principal mode de prière de François et des frères.
La célébration quotidienne de l’office liturgique (à partir du bréviaire tout juste réformé par le pape Innocent III) est non seulement devenue un moment fondamental de la journée des frères, mais aussi l’un des lieux d’assimilation d’un langage théologique et spirituel élémentaire que l’on peut également entrevoir dans les écrits de François d’Assise (cf. P. Mass, Tra novità e tradizione. Le fonti patristiche negli scritti di Francesco d’Assisi, Assise 2020).
« Faites toujours quelque chose de bien, afin que le diable vous trouve occupé »
Les éditions critiques des écrits de François d’Assise mettent en évidence diverses citations et réminiscences bibliques, patristiques et liturgiques. Parmi celles-ci se trouve une expression de saint Jérôme : “Faites toujours quelque chose de bien, afin que le diable vous trouve occupé”, au chapitre 7 de la Regola non bollata où il est question de la manière de servir et de travailler.
Elle est tirée de la Lettre 125 dans laquelle Jérôme indique au moine Rustico comment mener une vie monastique authentique, dont la caractéristique première est la vie solitaire ; c’est l’un des textes classiques et fondateurs du monachisme. On y trouve de nombreuses indications qui seront continuellement reprises par le monachisme latin, comme l’invitation à “suivre le Christ nu”, une expression tellement répandue dans la spiritualité mais non transposée par François d’Assise.
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Cette lettre n’est pas présente dans son bréviaire, qui contient également plusieurs passages des œuvres de saint Jérôme. Cependant ce livre liturgique – conservé encore aujourd’hui au Protomonastère Sainte-Claire d’Assise – recèle plusieurs lectures tirées des homélies d’Innocent III ; dans l’une d’elles, la phrase “Faites toujours quelque chose de bien, afin que le diable vous trouve occupé” présente dans la Regola non bollata, est justement citée par le pontife.
Ainsi, dans ce texte de François d’Assise, il y a une citation qui n’est toutefois pas directe, car tirée de la lettre de Jérôme, mais indirectement, en ce sens qu’elle ne passe pas seulement par la liturgie mais aussi par un sermon pontifical.
Il y a donc une série d’étapes : une expression de Jérôme, tirée de la Lettre 125 à Rustico, citée dans le Sermo In communi de uno confessore d’Innocent III, à son tour reprise dans le bréviaire réformé par ce même pontife, présente dans Breviarium sancti Francisci utilisé par frère François et finalement citée dans sa Regola non bollata !
Comme on peut le constater dans ce cas, les écrits, et donc la pensée et la spiritualité de saint Jérôme, ont connu une diffusion considérable, parfois même anonyme, tout comme dans la Regola non bollata des Frères Mineurs.
Dernière mise à jour: 11/03/2024 13:52