En apparence la situation est de nouveau calme en Israël entre citoyens israéliens arabes et juifs. Les événements du mois de mai ont cassé quelque chose dans la coexistence entre juifs et arabes à l’intérieur des frontières israéliennes. Pour autant les Palestiniens d’Israël en sortent affermis dans leur positionnement.
Nous sommes au bord de la guerre civile” déclarait Mgr Pierbattista Pizzaballa le 13 mai dernier. Le ton et les mots utilisés par le patriarche latin de Jérusalem – qui n’est pas coutumier des déclarations alarmistes – disaient combien la crise était sérieuse.
Pour rappel, des citoyens israéliens, les uns juifs et les autres arabes, se sont très violemment affrontés entre le 10 et le 21 mai dans des dizaines de villes en Israël, de Beer-Sheva à Saint-Jean d’Acre, en passant par Nazareth, Haïfa, Jaffa ou Lod. Saccages, incendies, batailles de rue, lynchages ont rythmé les nuits des habitants de ces villes où juifs et arabes cohabitent depuis des décennies. Ces événements ont été déclenchés consécutivement aux affrontements sur l’esplanade des mosquées durant le ramadan, l’imbroglio judiciaire à propos du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem et les bombardements entre Israël et Gaza.
Ce n’est pas la première fois que Jérusalem et Gaza s’enflammaient ensemble, pourquoi cette année précisément le sort des Palestiniens habitués à affronter les autorités israéliennes a-t-il fait réagir les “arabes israéliens” ?
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“Arabes israéliens”, l’expression semblait claire. Dans l’État d’Israël il y a des arabes qui ont la citoyenneté israélienne. Depuis plusieurs années pourtant, ceux-là mêmes militent pour que cette expression soit remplacée par : Palestiniens de citoyenneté israélienne. Les journalistes ont fait la sourde oreille parce que c’est plus long, moins fluide, c’est susceptible de nuire à la compréhension d’un article et parce qu’on ne se laisse pas dicter une terminologie au nom d’une idéologie.
Avec les récents événements, il est apparu qu’on ne pouvait plus nier ce qu’avait déjà révélé une enquête de 2017 : 84 % de la population concernée ne désire pas être désignée par le vocable “Arabes israéliens” (1). Il y a fort à parier que ce pourcentage ait augmenté après 2018 et le vote de la loi fondamentale de “L’État nation du peuple juif” qui pratiquement passait le message aux arabes d’Israël que l’État hébreu ne voulait pas d’eux.
Qu’on les appelle arabes israéliens, arabes de 1948, Palestiniens d’Israël, Palestiniens de l’intérieur, arabes palestiniens d’Israël, Israéliens palestiniens ou Palestiniens avec citoyenneté israélienne, ils sont les descendants des quelque 150 000 habitants de la Palestine mandataire qui, à la proclamation de l’indépendance d’Israël en 1948, se trouvaient dans les frontières de l’État hébreu. La citoyenneté israélienne leur a été donnée très rapidement à la création de l’État naissant mais puisqu’ils passaient d’ennemis à citoyens, ils furent soumis jusqu’en 1966 à un sévère régime militaire n’ayant ni le droit de se déplacer ni celui de s’exprimer et subissant d’innombrables couvre-feux.
Après 1967 le joug qui pesait sur eux s’est détendu. Ils ont acquis de nouveaux droits, leur situation économique s’est améliorée, leur niveau d’éducation n’a cessé de croître. Ils se sont politisés et finalement ont décidé d’intégrer les structures offertes par un État qui se développait lui aussi. Bref, ils prirent en marche l’ascenseur social et politique.
Peut-on parler d’intégration ? Pour certains sans doute mais dans les secteurs arabes israéliens une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Sur la question d’intégration, le débat fait rage entre eux selon leur degré de connaissance ou leur niveau d’appréciation des politiques et des lois que l’État d’Israël a continué de voter les concernant.
Altérité en démocratie
L’association israélienne des droits de l’homme Adalah a recensé une soixantaine de lois discriminantes à l’égard de la population arabe en Israël. Même ceux des arabes israéliens qui veulent croire en leur intégration dans la société israélienne n’ont pas pu ignorer les attaques dont ils ont fait l’objet pendant les dix dernières années de gouvernance de Benjamin Netanyahou. Leur interdisant d’habiter certaines localités juives, les empêchant de commémorer la Nakbah, faisant passer leur vote pour un péril noir, les excluant du développement d’Israël avec la loi État-Nation, et multipliant les incitations à la haine, sans parler de son soutien constant aux partis d’extrême-droite pour finalement favoriser l’entrée à la Knesset, le parlement israélien, d’idéologies ouvertement racistes autrefois interdites dans le pays. La droite sioniste religieuse la plus extrême, dont la jeunesse danse chaque année à Jérusalem pour la “Marche des drapeaux” au son de “morts aux arabes” devant la porte de Damas, qui est venue faire des ratonnades dans les villes à majorité arabe en Israël au mois de mai, cette droite extrême exprime haut et fort son souhait le plus ardent : en finir avec les arabes dans l’État d’Israël d’une manière ou une autre.
C’est ce point sensible chez les Palestiniens de citoyenneté israélienne qui a été touché une nouvelle fois au point de les faire sortir de leurs gonds. “Nous ne voulons pas que ce qui s’est passé en 1948 arrive à notre génération” déclarait Mahmoud Jrere membre du groupe de musique Dam qui depuis 21 ans milite pour les droits des Palestiniens en Israël et qui réclame une protection internationale pour sa communauté.
“Nous ne voulons pas que ce qui s’est passé en 1948 arrive à notre génération” déclarait Mahmoud Jrere membre du groupe de musique Dam qui depuis 21 ans milite pour les droits des Palestiniens en Israël et qui réclame une protection internationale pour sa communauté.
La catastrophe de 1948, la Nakbah, est un traumatisme. Celui d’avoir tout perdu : leurs terres, leurs biens, leur unité nationale, leurs familles, leurs droits, leurs rêves, leurs libertés.
En mai les Palestiniens israéliens ont vu une nouvelle fois l’État hébreu bombarder Gaza et ses deux millions d’habitants qu’il asphyxie déjà depuis plus de 10 ans avec son blocus. Ils ont vu les habitants arabes de Jérusalem continuer de perdre pied à pied leurs quartiers, ils se sont vus interdits d’aller à Jérusalem pour une des dernières nuits de ramadan, quand les heurts ont commencé à se multiplier ils ont constaté que la police et l’armée les considéreraient toujours comme les responsables des troubles, quand ils ont fait grève en Israël ils se sont fait licencier en contradiction avec la loi. Il leur est apparu qu’Israël, leur État, ne leur laissait pour seule option que de ployer l’échine.
Même chez ceux qui veulent croire à l’intégration, la confiance vacille devant les coups de butoirs incessants contre leur identité. “Israël a fait de moi un Palestinien, déclare Faouzi. J’étais fier d’être israélien. L’arabe et la culture palestinienne n’étaient pour moi qu’un héritage familial mais à force de rencontrer des obstacles administratifs, de faire l’objet de discriminations à l’embauche ou de me faire traiter d’arabe comme on dirait terroriste j’ai fini par ouvrir les yeux. Ce qui m’est opposé c’est de n’être pas juif. Et je ne suis pas juif parce que je suis palestinien.”
Faouzi n’entend pas quitter Israël mais il est décidé à défendre son altérité. Les associations et groupes de citoyens israéliens-palestiniens fleurissent qui se proposent de faire valoir devant Israël leurs droits sur le terrain de la démocratie.
Un domaine où Israël est à bien des égards exemplaire qui laisse s’exprimer contre lui ses députés arabes israéliens dont les discours peuvent être ouvertement antisionistes.
Mais quand la population arabe en Israël atteint les 20 %, soit près de 2 millions d’habitants sur à peine plus de 9 millions, quand elle commence à se mobiliser aux scrutins jusqu’à faire entrer 15 députés sur 120 au parlement, elle peut ambitionner peser sur la politique locale et à tout le moins dénoncer les atteintes faites à ses droits.
C’est la carte qu’entendent jouer les Palestiniens d’Israël : soit convaincre les Israéliens d’appliquer toute la démocratie, rien que la démocratie dont se vante l’État, soit démontrer qu’Israël ne peut pas être juif et démocratique. Auquel cas, quand bien même ils resteraient une catégorie de citoyens de seconde classe, ils porteraient atteinte au crédit d’Israël dans le monde qui peinerait à prétendre être une démocratie et pourrait ployer sous les accusations d’apartheid.
Les Palestiniens d’Israël ne veulent pas d’une guerre civile et n’entendent pas rendre leur passeport. Mais ils sont résolus à se faire respecter et à se défendre s’ils se sentent attaqués.
1. D’après une enquête menée pour l’Université de Haïfa sous l’égide du professeur Sammy Smooha.
Dernière mise à jour: 10/04/2024 10:48