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De la galère à la Terre Sainte

Claire Riobé
22 octobre 2021
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Dieu sait si, dans la vie d’une personne en situation précaire, des murs s’élèvent qu’il faut abattre. La fresque de Notre-Dame qui fait tomber les murs peinte sur le Mur de séparation à Bethléem est un magnifique symbole et un soutien fort. © Réseau Saint-Laurent

Frédéric-Marie Le Méhauté est religieux franciscain depuis 2004. Professeur de théologie au Centre Sèvres, il est l’auteur d’une thèse sur la théologie de la Parole de Dieu, vue par les plus pauvres. C’est dans la continuité de ce travail qu’en novembre 2019, il portait en Terre Sainte un projet du Secours Catholique et du réseau Saint-Laurent : venir en pèlerinage avec des personnes en situation de précarité.


Comment vous est venue l’idée de ce pèlerinage ?

En 2013, dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, le pape François a redit l’importance de nous mettre à l’écoute des plus pauvres, car ce sont eux qui nous transmettent l’Évangile. Partant de cette intuition, des associations françaises se sont retrouvées la même année pour un grand temps d’Église, appelé Diaconia 2013. C’est à partir de là que le réseau Saint-Laurent a été fondé. Depuis, l’association organise tous les deux ans un pèlerinage à Lourdes. Petit à petit, les gens ont exprimé le désir de faire un pèlerinage à Rome, toujours avec l’idée que les plus pauvres sont des chrétiens comme les autres, qui peuvent participer à la vie de l’Église. Et puis de fil en aiguille, nous avons pensé organiser un pèlerinage à Jérusalem. C’était juste un rêve au début, mais nous voulions permettre à des personnes en précarité de pouvoir vivre leur foi un peu “comme tout le monde”. C’était aussi une occasion de découvrir les Lieux saints autrement, à travers leur regard.

 

Qu’entendez-vous par personne “en précarité” ?

C’est un terme complexe. Parmi les personnes qui ont participé au pèlerinage, il y en a qui ont déjà vécu à la rue, et d’autres que l’on appelle du “quart-monde” : ce sont des gens qui n’ont jamais connu la rue, mais toujours connu la misère. La pauvreté regroupe une galaxie de situations très diverses, qui ont ceci de particulier qu’elles cumulent la précarité. Par exemple une personne “normale” (et j’utilise ce mot à dessein, qui est terrible en soi), lorsqu’elle est malade, se fait soigner puis guérit. Mais une personne dite précaire, qui n’a pas beaucoup d’argent ou un petit logement, ne va pas voir le médecin lorsqu’elle est malade. Cela coûte trop cher. Elle n’a pas accès aux soins, sa maladie s’aggrave toujours plus. Généralement, elle n’est pas non plus en lien avec les institutions qui peuvent l’aider, ni avec ses voisins. Elle est stigmatisée, s’enfonce et finit par être exclue. C’est exactement ça, la précarité : un cumul de situations qui provoque un glissement dans la vie des personnes.

Lire aussi >> Cardinal Pizzaballa : “Les pèlerins sont l’autre poumon de notre Église”

 

D’où venaient les membres de ce pèlerinage ?

Pour une partie d’entre-elles du réseau Saint-Laurent, les autres de différentes associations réparties sur le territoire français. C’était très important que les gens soient déjà affiliés à des groupes locaux, d’une part pour préparer au mieux le pèlerinage aux niveaux financier et spirituel, d’autre part pour être accompagnés à leur retour. Car il faut se rendre compte que ces personnes vivent une expérience particulièrement forte pendant huit jours, puis doivent retourner dans leur contexte très difficile. Là où nous, personnes “normales”, revenons nourris et heureux du pèlerinage, elles peuvent subir un phénomène d’exclusion et de rejet. Le risque, si nous ne sommes pas attentifs, est qu’après avoir vécu quelque chose d’exceptionnel, ces personnes retombent encore plus bas qu’avant dans la précarité.

Partenaire discret mais essentiel, Caritas France a son relais à Jérusalem, la Maison d’Abraham.
À la tombée de la nuit, le groupe participe à la célébration eucharistique devant la ville sainte. © Réseau Saint-Laurent

 

En tant qu’aumônier, comment vous êtes-vous préparé au pèlerinage ?

Il nous a fallu deux ans pour mettre tout en place et finalement partir en novembre 2019. Le voyage a été organisé via Caritas France, pour une cinquantaine de personnes, et l’on m’a demandé d’être responsable de l’animation spirituelle. C’est sûr que ce type de pèlerinage demande beaucoup, beaucoup de préparation et de planification en amont. Par exemple en ce qui concerne les temps de marche dans la ville de Jérusalem : sur les 50 pèlerins de notre voyage, une dizaine était en fauteuils roulants. Cela veut dire que pour chaque personne en fauteuil, il faut en prévoir deux ou trois autres qui se relaient toute la journée pour la pousser. Un autre exemple : au Jourdain, les pèlerins ont 500m à marcher entre la descente des bus et le fleuve lui-même. Or beaucoup de personnes de notre pèlerinage étaient en surpoids. On a dû donc voir en amont s’ils étaient capables de parcourir cette distance. Et nous avons prévu un week-end avec eux, en France, où l’on s’est entraîné à marcher 500m. Enfin…il y a une liste de choses que l’on peut préparer à l’avance, mais il faut aussi savoir lâcher-prise. C’est le Seigneur qui est aux manettes, finalement !

 

En quoi ce pèlerinage était-il différent d’un pèlerinage “classique” ?

Ce qui change tout, c’est vraiment le rapport à la Parole de Dieu de ces personnes en précarité. Pour elles ce n’est pas simplement une parole qu’on entend le dimanche à la messe. Et par extension, les lieux de Jérusalem ne sont pas simplement des lieux à visiter mi-touriste, mi-pèlerin. La Parole de Dieu a une force ; elle prend vie dans leur vie de façon extraordinaire. Pour moi, la Parole de Dieu devient vivante par la vie des pauvres.

Et se rendre dans les Lieux saints avec elles prend un sens particulier. Lorsque nous étions à la piscine de Bethesda, à Jérusalem, elles ont assez peu parlé du lieu en lui-même. Ces personnes ont plutôt raconté la façon dont Dieu les avait relevées. Tout à coup, là, l’Évangile devient d’actualité […]. Honnêtement je me sens tout petit à côté d’elles. J’ai beau avoir mon expérience de franciscain, bien connaître les Écritures, ces personnes vivent la Parole de Dieu de façon existentielle.

Mon rôle était juste de les mettre en contact avec cette parole, ensuite j’ai contemplé les étincelles que cela a produit… !

Imaginez des pèlerins qui ont connu la rue, dont l’horizon est celui des HLM de leurs banlieues, qui ont la chance, un jour dans leur vie, de découvrir le désert. Le voyage d’une vie, vraiment. © Réseau Saint-Laurent

 

Dans quel état d’esprit étaient les pèlerins ?

Ils se sont préparés au pèlerinage pendant deux ans, tant spirituellement que financièrement. Tout le monde a payé quelque chose, même si ce n’était pas beaucoup comparé au coût total du pèlerinage. La charge financière restait significative : lorsque l’on gagne 500€ par mois au RSA, économiser chaque mois 10€ pour le voyage est un réel effort.

Et pour tous ce pèlerinage était le voyage de leur vie. Ce n’est vraiment pas un mot galvaudé de dire ça. Moi aussi, la première fois que je suis allé à Jérusalem, je pensais que je vivais le “pèlerinage de ma vie”… mais ça n’avait rien de comparable […]. Certaines de ces personnes n’ont connu dans leur existence que leur barre d’immeuble HLM. Pour elles la Terre Sainte a été le voyage d’une vie, dans toute la profondeur existentielle que cela signifie.

J’ai vu ces personnes sentir que Dieu était vraiment présent pour elles. À ce moment-là, on ne peut plus se dire que l’on se fait des films sur sa foi.

 

Qu’avez-vous appris à leur contact pendant ces huit jours ?

Que Dieu est vrai et que la grâce existe. Ce ne sont pas de vains mots. Avant de partir je me disais que nous allions dans le mur, qu’on ne ferait jamais ce pèlerinage. Et en fait, tout s’est bien déroulé, il y a eu une vraie grâce de calme et de fraternité. Des personnes fatiguées, qui auraient explosé en temps normal, ont pris sur elles, par exemple. Les uns sentaient les fragilités des autres, et quand quelqu’un flanchait, un autre prenait soin de lui. C’était vraiment quelque chose de très fort.

J’ai été particulièrement touché par le moment que nous avons passé ensemble au Jourdain. Les personnes qui le souhaitaient plongeaient dans le fleuve, et je les attendais dans l’eau pour une bénédiction d’envoi. J’ai vu ces personnes sentir que Dieu était vraiment présent pour elles. À ce moment-là, on ne peut plus se dire que l’on se fait des films sur sa foi. La foi n’est jamais quelque chose de complètement transparent et évident à vivre, il y a toujours un saut à faire. Mais là, voir tout d’un coup les gens si touchés, qui se rendent compte que le Seigneur est au milieu de nous… c’était très fort.

 

Comment envisagez-vous la suite ?

Ce format de pèlerinages avec les personnes en situation de précarité aurait dû être renouvelé tous les 6 mois, jusqu’en 2022. Il se peut que j’en fasse un deuxième, mais mon rôle était avant tout de mettre en place la première trame spirituelle du voyage. L’idée était que d’autres aumôniers tentent l’aventure en fonction des responsabilités respectives. Un certain virus est venu rebattre les cartes. À la grâce de Dieu.

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Dernière mise à jour: 22/04/2024 10:24

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