Le village de Magdala en Galilée vaut son surnom à Marie de Magdala, Madeleine en français. Magdala est, en son temps, un petit bourg de pêcheurs sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade. Le nom hébreu de Migdal indique qu’il y a une tour ou un fortin, et on trouve dans le Talmud la dénomination complète de Migdal nunaya, soit “la tour aux poissons”. Flavius Josèphe la désigne de son nom grec Tarichées qui signifie “salaisons”, la pratique la plus courante pour conserver les fromages, viandes et autres chairs fraîches. On sait que la Via maris passe à proximité, après sa bifurcation de Megiddo vers le Golan et Damas. Cette grande voie de circulation permettait le commerce des saints-pierres, tilapias, barbeaux et autres poissons abondants dans cette partie du lac, frais ou déjà en saumure. Les archéologues franciscains Virgilio Corbo et Stanislao Loffreda ont fouillé entre 1970 et 1980 le domaine, que la Custodie avait acheté dès 1889. Ils ont dégagé la tour qui donne le nom à la localité, une synagogue, des maisons à sols mosaïqués, une place et des thermes. Plus tard Stefano di Luca a pu relier le cardo, axe nord-sud de la ville, à la Via maris. Actuellement ce sont les légionnaires du Christ qui poursuivent l’exploration archéologique. Tous les bâtiments dégagés sont en pierres de basalte noir, comme à Capharnaüm. Une synagogue du Ier siècle, donc contemporaine de Jésus, a été découverte sous la plage actuelle. On sait en effet que le niveau du lac a souvent varié.
Marie
Tournons-nous vers la personnalité la plus célèbre de Magdala, une Marie, nom extrêmement fréquent, qui, selon les quatre évangiles en est originaire.
Mt 27, 61 : “Il y avait là Marie de Magdala et l’autre Marie, assises en face du sépulcre” ; 28, 1 : “Après le jour du sabbat, comme le premier jour de la semaine commençait à poindre, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent visiter le sépulcre”. Ces deux versets se retrouvent presque à l’identique en Mc 15, 40 et 47 : “Marie de Magdala et Marie, mère de Joset, regardaient où on l’avait mis” ; 16, 1 : “Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé, achetèrent des aromates pour oindre le corps de Jésus et elles vont à la tombe, le jour étant levé.”
Lc 8, 2 : “Marie appelée la Magdaléenne de laquelle étaient sortis sept démons” est citée pour la première fois dans la partie galiléenne du ministère du Christ par Luc, au nombre des femmes qui suivent Jésus et l’assistent, lui et les Douze, de leurs biens pour faire vivre la petite communauté nomade ; Lc 24, 10 évoque aussi Marie la Magdaléenne revenant du tombeau.
L’évangile johannique ajoute : “Près de la Croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala” -Jn 19, 25. Et dans le dernier chapitre c’est elle qui est la première au tombeau : 20, 1-2 et qui, après s’être affligée de ne pas trouver le corps de son Seigneur dans la tombe, a un entretien avec un homme qu’elle prend pour le jardinier de l’endroit… que Jean a pris soin de décrire comme un jardin (20, 11-18).
On ne peut savoir à partir de quand cette femme a rejoint le groupe des disciples de Jésus, vraisemblablement depuis son ministère itinérant dans toute la région nord. Ce qui est affirmé, en tous cas et par tous, c’est qu’elle est la première apôtre, véritable évangélisatrice, car, première venue au tombeau qu’elle découvre vide, elle va en porter la nouvelle qui stupéfie le groupe des Onze.
Béthanie
En Judée, sur la pente orientale du mont des Oliviers, Jésus a établi un camp de base pour se tenir à la fois proche et à distance de Jérusalem. De ce village, il est surtout facile de se tourner à l’est vers Jéricho et les collines du désert de Juda afin d’être à l’écart, ou même de disparaître. Après la remise en vie de Lazare il ira passer quelque temps dans cette contrée à Éphraïm -Jn 11, 53-54. Si Jésus a là des amis, c’est qu’il est venu plusieurs fois : Simon le lépreux (Mc 14, 3), Lazare et ses sœurs, pour les seuls nommés. Ce sont des gens sûrs, et il en a besoin pour se reposer de la dangereuse effervescence de la Ville sainte. Chez Simon il prend un repas quand une femme, anonyme, verse sur sa tête le contenu d’un flacon de parfum de grand prix. Intervient une question d’argent, le nard pur étant estimé à 300 deniers. Judas vendra son rabbi pour dix fois moins.
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Marie mais aussi Lazare
Chez Lazare, Marie et Marthe se déroulent quelques épisodes, en particulier le relèvement de Lazare au-delà de quatre jours passés dans la mort (Jn 11, 1-44) et un entretien avec les deux sœurs (Lc 10, 38-42). Mais ce moment doit plutôt être placé, si l’on s’en tient à la chronologie, en Basse-Galilée ou en Samarie que traverse Jésus, qui s’est mis “résolument” en route vers Jérusalem (Lc 9, 51). Le village étendu de Béthanie a pris ici, pour une part, le nom de El Azariyeh, nom arabe du “Lazarion” grec, tant la personne de Lazare a marqué les esprits chrétiens et musulmans.
Il est possible aussi que la seule parabole de tout le Nouveau Testament qui comporte le nom propre d’une personne soit une désignation cachée de ce même Lazare. En effet après un ensemble de plusieurs paraboles, celles de la miséricorde (Lc 15), d’autres concernant le rapport à l’argent (Lc 16, 1-13), est donnée celle “du mauvais riche et du pauvre Lazare” -Lc 16, 19-30.
Ce dernier gît, affamé, près d’un portail et le riche, “vêtu de lin fin”, festoie dans sa maison ; il a cinq frères. Dans la famille sacerdotale au pouvoir durant les premières années du siècle, Hanne, qui sera grand-prêtre de 6 à 15, a cinq fils : Éléazar, pontife en 16 et 17, Jonathan en 37, Théophile en 38, Matthias de 41 à 44, Hannan en 62 et un gendre Caïphe, le plus connu, qui garda la fonction de 18 à 37, c’est-à-dire toute la durée de la vie adulte de Jésus. Cette mainmise familiale pourrait nous donner une clé de lecture de la parabole lucanienne, car le lin était la fibre textile réservée aux prêtres. Le pauvre “qui est à la porte” est comme le village de Béthanie en face de Jérusalem. Il y a ceux qui rejoignent “le sein d’Abraham” et ceux qui ne croient pas à la Résurrection, comme c’était le cas, est-il mentionné (Mt 22, 23 et Lc 16, 30,) des Sadducéens, la caste des prêtres.
Et un tombeau
Le secteur est maintenant entièrement loti, il faut donc cheminer à travers les ruelles pour atteindre le domaine franciscain d’El Azariyeh, où se maintient la tradition du tombeau de Lazare depuis le IVe siècle. Les archéologues ont repéré quatre niveaux d’églises presque les unes sur les autres, deux byzantines et deux croisées. La pèlerine Égérie remarque en 384 que l’église est trop petite pour contenir la foule des dévots. Saint Jérôme en 390 en mentionne une plus grande que les Croisés, huit siècles plus tard, vont renforcer avec des arcs-boutants. La reine Mélisende fonda en 1138 un couvent à proximité des tombes, taillées dans la roche, comme on en trouve à Jérusalem et ailleurs dans le pays, et bâtit là une chapelle. C’est en 1954 que les franciscains, propriétaires des lieux, firent élever l’église dans laquelle on peut prier aujourd’hui.
Une partie du premier mur, IVe siècle, est encore visible dans la cour. Des portions de mosaïque de sol apparaissent, qui ont résisté aux séismes et aux multiples modifications architecturales. Car, outre les agrandissements dus aux latins puis aux grecs, est venue s’ajouter une mosquée pour les musulmans qui ont aussi une grande vénération pour Lazare. L’ensemble, qui était à l’origine occupé par un clan de Benjamin (Ne 11, 32), puis utilisé en carrière pour la qualité de ses roches, est donc de lecture complexe sur le plan archéologique. Non pour la visite, où l’on entre dans une église moderne, de plan simple : une nef centrale à abside semi-circulaire, dotée de deux bas-côtés à chevets plats. L’église est orientée et le tombeau, d’où Jésus a fait sortir son ami, se trouve à l’opposé ouest, au couchant.
Magdala et Béthanie ne sont reliées entre elles que par la présence amicale de Jésus. Au bord du lac de Génésareth il a appelé des hommes et des femmes à l’accompagner. Des plus proches de ceux qui l’ont durablement suivi, il a fait le groupe des apôtres et ceux-là ont tous donné leur vie pour lui. En Judée il a su créer un petit réseau de fidèles qui seront les membres de la première communauté de Jérusalem : les amis de Béthanie, un hôte discret dans Jérusalem et quelques familles. Voilà deux lieux qui nous aident à comprendre la façon dont Jésus entretenait des relations et comment nous, aujourd’hui, pouvons entrer dans cette amitié.♦
Dernière mise à jour: 20/05/2024 10:59