La construction de la section historique du Terra Sancta Museum est un défi quotidien pour les architectes et ingénieurs. Les équipes de l’Office technique de la Custodie non seulement le relèvent mais elles partagent leurs avancées avec des étudiants palestiniens en architecture et des entrepreneurs. Rencontre avec Lorraine Abou-Azizeh.
On pourrait dire de Lorraine Abou-Azizeh, qu’elle est un mouton à cinq pattes, si cette charmante jeune femme n’était d’abord un cadeau du ciel.
Française, architecte et diplômée en histoire de l’architecture, parlant arabe et italien en plus de l’anglais, ayant une expérience de 15 ans de restauration du patrimoine en contexte archéologique, Lorraine s’est présentée un jour à la Custodie “à tout hasard” au moment où les travaux de la section historique du Terra Sancta Museum prenaient un nouvel élan à la faveur d’enveloppes de financements. Elle intégrait alors l’équipe internationale de l’Office technique de la Custodie en binôme sur le musée avec Vincenzo Zuppardo, l’architecte responsable du projet.
Un projet aux allures de défis : comment, dans un bâtiment existant et dont les plus anciennes parties datent du XIe siècle, aménager un musée qui répondent à toutes les normes, de la conservation du patrimoine à l’intégration de la fibre de verre, de la mise aux normes de sécurité au contrôle de l’hydrométrie ?
Les bâtiments n’ont jamais été un musée. Il faut composer entre le lieu initial qui doit rester identifiable pour le visiteur et les moyens que nous mettons en œuvre pour le “moderniser”.
C’est à Lorraine que l’Office technique confia une nouvelle mission inscrite dans l’ADN du musée : l’enrichissement et l’échange des savoirs. En effet, l’Agence Française de Développement (AFD) se présentait comme contributeur potentiel au budget du musée mais elle conditionnait sa participation d’une demande inédite : animer des ateliers sur l’intervention architecturale dans le contexte du patrimoine culturel à destination d’étudiants en architecture et d’entrepreneurs palestiniens.
“Je suis entrée en contact avec l’Université de Bethléem et sa faculté des arts, explique Lorraine. C’est ainsi que pour les étudiants en 2e année de licence d’archéologie ayant pris l’option de conservation, j’ai animé trois sessions de quatre heures pour un cours de relevé architectural en contexte archéologique. La doyenne de l’Université était très encourageante, la prof a fait l’acquisition de tout le matériel. Initialement, j’avais prévu également un cours sur les matériaux et un autre sur la méthodologie de l’approche de conservation dans le contexte archéologique. Il s’est avéré qu’il valait mieux, pour que cela porte du fruit, se concentrer sur un sujet. Le cours a eu du succès et les étudiants ont acquis des bases, mais ils étaient déçus qu’on ne puisse pas tout faire et que ce soit si court.”
Il faut dire que les entrepreneurs réclamaient également leur part : “Avec les professionnels, architectes et ingénieurs, j’ai organisé deux journées complètes d’introduction à la méthodologie patrimoniale. Comment créer une documentation ? Comment mener une recherche historique sur le bâtiment sur lequel on s’apprête à intervenir ? Comment chercher dans des archives ? Comment établir un diagnostic sanitaire et à quels matériaux recourir ?”
Du point de vue de la Custodie et du directeur du musée historique, le frère Stéphane Milovitch, explique Lorraine, “il ne s’agissait pas seulement de répondre au cahier des charges de l’AFD pour obtenir leur financement. L’enjeu pour les Franciscains c’est de former les architectes et ingénieurs palestiniens en capacité d’accompagner le devenir du musée, sa construction en cours, mais aussi son entretien dans les prochaines années. Demain il faudra trouver un régisseur. On ne peut pas envisager de faire venir des personnes compétentes d’Europe. Il faut éveiller et former du personnel ici.”
Riches échanges
“J’ai fait les présentations en arabe, cela joue beaucoup pour montrer que la Custodie et son musée ne sont pas étrangers à la population qui les entoure, mais j’avoue que j’ai poursuivi en anglais le plus souvent”, poursuit Lorraine qui constate l’engouement des participants même s’ils se demandent tous quel client demain acceptera de payer pour ces études préliminaires.
L’intérêt résidait aussi de la part des participants dans le partage des solutions techniques apportées. “S’agissant du traitement de l’humidité dans le musée, nous avons une dizaine de solutions suivant les endroits” explique Lorraine qui renchérit “nos interlocuteurs et nous avons en commun de devoir surmonter une difficulté. Elle tient au fait que nous changeons la fonction du lieu. Les bâtiments n’ont jamais été un musée. Il faut composer entre le lieu initial qui doit rester identifiable pour le visiteur et les moyens que nous mettons en œuvre pour le “moderniser”. Pour le musée, nous faisons venir certains matériaux de l’extérieur. Tous les entrepreneurs palestiniens ne le peuvent pas, aussi, je me suis attachée à faire passer le message qu’il faut au moins envisager des travaux qui soient réversibles.”
Les crédits alloués par l’AFD ont été utilisés. Avec leur fin s’arrête cette phase de partage des savoirs mais Lorraine Abou-Azizeh en est persuadée : “Il y a eu une prise de conscience forte sur la nécessité de la méthodologie, de riches échanges sur les solutions possibles sur des problématiques rencontrées par chacun de nous, et surtout l’envie de continuer à apprendre davantage et poursuivre les échanges.” Charge à la Custodie de trouver les voies et les moyens de le faire.
Dernière mise à jour: 27/05/2024 10:37