Revêtu de son jebbé, ce long manteau aux larges manches des prêtres orientaux, coiffé d’une calotte noire de laine tricotée, abouna Younan chante le Notre Père en arabe avec les autres curés de Bethléem. Ni sa barbe fleurie, ni ses yeux bleus – couleur qu’il partage avec abouna Fadi Abu Sada, le curé grec-catholique natif de la ville de la Nativité – ne déparent lors de ce temps de prière.
À l’état civil, c’est autre chose. Abouna Younan, Jonas en français, s’appelle Frédéric Masson et est natif de Savoie. Il a été ordonné prêtre à l’âge de 48 ans, dans l’Église syro-catholique, avec l’accord de son épouse et pour la joie de leurs enfants. Surprise.
Frédéric, le Seigneur est allé le chercher et ne l’a pas lâché. Au début des années quatre-vingt-dix, c’était un jeune homme en quête d’idéal. Il l’a cherché des Indes au Canada en passant par le Moyen-Orient. Et c’est en Syrie, au monastère syriaque catholique de Mar Moussa al-Habachi (saint Moïse l’Abyssin), qu’il est saisi. Saisi par le lieu et finalement saisi par le Christ. “L’endroit m’a beaucoup touché. J’y ai passé trois mois et me suis alors posé la question de la vocation monastique là.”
Passionné, Frédéric n’est pas un exalté. Il va prendre un an pour discerner cette vocation et finalement entrer au monastère en 2002, dans cette communauté fondée par le jésuite Paolo Dall’Oglio.
Un unique appel
La Communauté al-Khalil (l’ami de Dieu) a deux charismes : le dialogue interreligieux et l’accueil.
C’est ainsi qu’arrive pour une retraite Stéphanie. Ils font connaissance et Stéphanie retourne à ses études à Damas. Ils se revoient. Force est de constater qu’ils ne sont pas indifférents l’un à l’autre. “C’était la dernière année de mon noviciat, explique Frédéric, je me suis retrouvé à devoir discerner entre deux chemins, entre deux amours, sans rejet de l’un ou l’autre” insiste-t-il. Finalement Frédéric et Stéphanie décident de suivre le Christ ensemble.
Leur installation à Jérusalem, en 2006, leur permet de rester fidèles à l’Église syriaque près de laquelle ils résident. Après la naissance de leur fils aîné, Frédéric s’ouvre à son évêque, Mgr Pierre Melki, de son désir de devenir prêtre. “À ma sortie du monastère, j’avais enfoui cet appel sous la cendre jusqu’à ce qu’il rejaillisse, ardent”. Et il va être entendu. Cela aurait pu être une course d’obstacles. Le Saint-Siège distinguant les conditions d’admission au sacerdoce dans l’Église catholique romaine de ceux dans les Églises catholiques orientales. Frédéric entre néanmoins au séminaire des Salésiens de Jérusalem pour faire les études de philosophie et théologie requises.
Si le Seigneur le désire, il aplanira le chemin. “C’est mon professeur de Droit Canon, explique-t-il presque encore surpris, qui m’a annoncé qu’un article rendait l’ordination possible parce que nous pratiquions chez les Syriaques depuis plus de cinq ans dans le même diocèse.” Restait à obtenir l’autorisation de l’évêque de son rite de baptême et celui de son admission au sacerdoce.
Frédéric fut ordonné en juillet 2021 à Bethléem, pendant le Covid. C’est là que Mgr Éphrem Semaan, le nouvel exarque patriarcal, prévoyait de l’envoyer au service de la paroisse. “L’Église syriaque catholique compte une paroisse à Jérusalem, l’autre à Bethléem, explique abouna Younan. Le diocèse inclut aussi la Jordanie. Ici nous avons une centaine de familles. En Jordanie quelque 500 familles, essentiellement des réfugiés irakiens.”
L’Église syriaque de Terre Sainte parle arabe et mêle à sa liturgie des chants en syriaque. Musicien, abouna Younan a choisi de faire sa thèse de doctorat sur ce sujet. “Je suis prêtre syriaque, cela fait partie de ma mission de découvrir la tradition et de faire vivre la liturgie en syriaque. C’est devenu une partie de mon identité.” Ses découvertes, abouna Younan les partage à sa communauté. “Avec les paroissiens, nous avons la chorale chaque semaine. Nous approfondissons ensemble la richesse de la liturgie pour en vivre lors des célébrations.”
“À Bethléem, explique le curé, j’ai dénombré à peu près 25 familles qui fréquentent régulièrement la paroisse, il y en a une quinzaine d’autres et j’en découvre toujours de nouvelles. Cela dit, nous vivons un œcuménisme de fait. Les familles réunissent plusieurs rites, les frontières sont poreuses et l’essentiel est d’être chrétien.”
“Au quotidien, je visite les personnes âgées, malades ou dans l’incapacité de se déplacer. Je suis aussi le directeur du foyer d’accueil de pèlerins. Quand il y en a, je veille à ce que tout se passe bien, éventuellement je rencontre les groupes pour répondre à leurs questions. Actuellement, j’essaie de mener à bien un projet environnemental sur nos terrasses, espérant faire école pour végétaliser la ville où il fait toujours plus chaud chaque été.”
On parle de choses et d’autres quand, au détour de la conversation, le prêtre énonce une des plus belles choses que vive l’Église syriaque, c’est l’unité entre orthodoxes et catholiques : “Quand je ne suis pas là, le prêtre orthodoxe peut célébrer à ma place et inversement. Devant la surprise créée, il ajoute : c’est le fruit d’un accord entre les Églises catholique et orthodoxe. Le dernier pas à franchir, c’est celui de la concélébration.”
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Cap sur l’espérance
Abouna Younan revient sur la tradition syriaque et sa force spirituelle. “Dans les Églises orientales, la liturgie nous centre sur la Résurrection du Christ. Elle fait de nous des apôtres (voir encadré). Ce qui tend à renforcer l’esprit de la communauté. À la messe, le Christ est présent de plusieurs manières : dans la personne du prêtre, par la consécration eucharistique, par l’Écriture sainte et par la communauté comme Corps du Christ.”
On a tendance à enfermer les chrétiens d’Orient dans le rôle de persécutés. Je pense que c’est dangereux. Nous avons certes une réalité victimaire mais nous n’en sommes pas prisonniers si nous nous engageons dans une démarche de foi.
Un corps éprouvé par la guerre. “J’ai réalisé combien la communauté se sentait proche de celle de Gaza. Nous avons d’abord concentré nos efforts à ne pas laisser de place à la haine. Puis, dans la souffrance, la réponse du Christ est simple, il nous dit : ‘Je suis là’. Comme pasteur, c’est cet acte de foi que nous chrétiens sommes invités à faire.” Interrogé sur les difficultés du quotidien qu’entraîne la situation, abouna Younan répond sans ambages. “Dieu est là, dans nos vies quelle que soit notre situation. Oui, la bonne nouvelle nous provoque. Oui, la Croix est une folie, mais Dieu est présent et c’est à nous de l’accueillir. Plus je vis mon ministère, plus je me sens poussé à affirmer sa Résurrection et sa présence à nos côtés. Bien sûr, on peut aider concrètement autant que possible, mais le message de la foi n’est pas seulement humanitaire. L’évangile est radical.
On a tendance à enfermer les chrétiens d’Orient dans le rôle de persécutés. Je pense que c’est dangereux. Nous avons certes une réalité victimaire mais nous n’en sommes pas prisonniers si nous nous engageons dans une démarche de foi. Le Christ est avec nous pour nous faire vivre et répondre à nos attentes à sa façon. Il faut arrêter de nous regarder – nous-mêmes ou de l’extérieur – essentiellement comme des victimes. En sortant de ce piège, nous pourrons répondre au grand défi qui est le nôtre, dans cette situation, celui de ressusciter l’espérance. C’est la clé pour passer cette période, c’est la même pour enrayer le phénomène d’émigration des chrétiens d’Orient. Non, l’espérance n’est pas morte !”
PERLE DE LA LITURGIE SYRIAQUE
La messe fait de nous des apôtres de la Résurrection
La liturgie des Églises orientales multiplie les gestes symboliques. Frédéric Masson nous explique un détail qui le touche.
“Au début de la messe, nous préparons les offrandes sur un petit autel que l’on appelle Golgotha. Le prêtre ou le diacre commémore la crucifixion. Comme un agneau, commence le prêtre, il a été mené à l’abattoir…” (Is 53, 7). Ensuite, faisant un signe de croix sur la patène avec l’hostie, il poursuit : “Premier-né du Père, acceptez ce premier-né des mains de votre humble serviteur…” Il redépose l’hostie et verse le vin et un peu d’eau dans le calice en citant saint Jean : “Un des soldats lui perça le côté d’un coup de lance et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau, Salut du monde entier” (Jn 19, 34, extrapolé).
Plus tard, des fidèles vont apporter les oblats que l’on dépose sur l’autel, figure du tombeau, que l’on recouvre d’un linge figurant la pierre fermant le tombeau. Quand il commence la consécration eucharistique, le prêtre soulève le voile, et symboliquement il ouvre le tombeau ; le prêtre et les fidèles deviennent alors les apôtres qui vivent la Résurrection du Christ, se souviennent que Jésus a vaincu la mort et que nous pouvons le reconnaître à la fraction du pain.”
Dernière mise à jour: 12/07/2024 18:58