Louis Blin a donné une conférence sur "Tintin et le monde arabe" à l'Institut français de Jérusalem-Est. Il est revenu sur le rapport d'Hergé à l'Orient, et décrypté les sens cachés de ses BD.
(Jérusalem) – Depuis que Tintin a rencontré le succès qu’on lui connait, de nombreux »tintinologues » se sont penchés sur l’analyse des sens cachés présents dans les albums d’Hergé. Louis Blin, diplomate français et docteur en histoire contemporaine, s’est lui-même prêté à l’exercice en prenant l’angle de sa spécialité, le monde arabe. Avec un constat tout d’abord : « Le pays que Tintin a le plus visité dans toutes ses aventures, c’est l’Arabie Saoudite, et c’est dans le monde arabe qu’il est le plus allé. » Pourtant, en héritier de nombreux orientalistes du XIXe siècle, Hergé n’a jamais mis les pieds en Orient, et c’est cette fascination pour le monde arabe que le conférencier à chercher à expliquer jeudi 24 janvier, devant une salle de l’Institut français Chateaubriand de Jérusalem-Est comble de fans de la BD.
La conférence reposait sur une intuition : à travers Tintin, Hergé est à la recherche de ses origines, car il n’a pas connu son grand-père paternel. « Le voyage en Orient est une aventure intérieure qui se traduit sur le terrain géographique mais c’est soi-même que l’on va chercher au bout du monde ». C’est ainsi que le premier album de Tintin non réalisé sur commande, Les Cigares du Pharaon, commence par une mort et une renaissance symbolique du reporter. Arrivé en Egypte, la porte de l’Orient à l’époque, Tintin est asphyxié par ses ennemis. Alors que Tintin a toujours été représenté âgé de 17-18 ans, il apparait pour l’unique et seule fois de l’œuvre d’Hergé sous la forme d’un nourrisson. »Pourquoi ? Tintin étant mort, il faut qu’il ressuscite sous la forme d’un bébé ». Il est jeté dans la Mer Rouge, est sauvé, puis accoste autre sur le littoral arabe, ce que symbolise son changement de vêtement. Ainsi, souligne Louis Blin, « la traversée de la Mer Rouge est le passage de l’Occident à l’Orient, de la vie à la mort. Passé d’une berge à l’autre permet à Tintin, comme au peuple hébreu, d’échapper à Pharaon pour une renaissance symbolique ». Et les exemples qui témoignent de cette recherche d’une identité nouvelle en Orient.
Autre élément intéressant mis en avant par le conférencier, l’évocation à peine dissimulée du conflit en Palestine après la Première Guerre mondiale dans la première édition française de Tintin au pays de l’Or noir. Débutée en 1939, Hergé interrompt la composition de cette œuvre, et la reprend en 1948. Aussi, l’édition originale censurée par l’éditeur britannique en 1971 met-elle en scène Juifs et Britanniques. Images à l’appui, on constate que toutes les évocations du Royaume-Uni et de la Palestine sont supprimées, de la forme des vedettes à l’écriture en hébreu. Ainsi, »même Tintin n’a pas échappé à la falsification de l’Histoire ». Cela témoigne donc de l’intérêt d’Hergé pour le Moyen-Orient, bien que celui-ci ne résiste pas à la censure. Et cela remet en cause le racisme et l’antisémitisme d’Hergé que beaucoup supposent. Durant l’heure et demie de la conférence, le diplomate a lancé des pistes de réflexion et d’analyse, développées dans un ouvrage intitulé Le monde arabe dans les albums de Tintin, paru chez l’Harmattan.