En hébreu, “hardal” signifie moutarde (le H est guttural). C’est aussi la contraction de deux mots : “haredim leumiim”, pour nationalistes ultra-orthodoxes. La division classique de la société juive en Israël entre laïcs, religieux et ultraorthodoxes n’existe plus. Il existe au contraire un arc-en-ciel de communautés, et les Hardalim en constituent une des extrémités.
S’il prend ses racines dans le sionisme religieux et l’ultra-orthodoxie, le mouvement hardal s’en est progressivement émancipé, pour devenir une minorité mouvante de quelque 150 000 âmes selon une estimation de 2020. Marqué par un extrémisme politique et un conservatisme social, ce courant s’est implanté dans le gouvernement, à la faveur de la droitisation de la société israélienne. L’ascension de Bezalel Smotrich, colon sioniste religieux devenu ministre de l’Économie en 2022, illustre cette montée en puissance.
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L’histoire du courant hardal est assez récente. Deux décennies maximum. “Mais le cœur du phénomène existe depuis l’origine du sionisme : aspiration à l’établissement en Terre d’Israël tout en observant dévotement les mitsvot”, explique Anshel Pfeffer, journaliste israélien dans sa courte étude : “Les origines et le devenir de la communauté hardalim”, publiée en 2007.
Au cœur de son développement, la colonisation. “Les hardalim sont une conséquence de la crise qui a touché le mouvement national-religieux après 1967, en lien avec l’entreprise de colonisation des territoires de Cisjordanie et de Gaza”, détaille Daniel Mahla, maître de conférences en histoire juive à l’Université de Haïfa, et auteur de “Convergence des fondamentalismes ? Les nationalistes ultra-orthodoxes (Hardalim) en Israël” (2022). Sous l’autorité du rabbin Zvi Yehuda Kook, un groupe d’activistes a commencé à s’installer dans les territoires nouvellement conquis. Au cours des décennies suivantes, le Gush Emunim (Bloc des fidèles), mouvement idéologique de colonisation créé en 1974 après le traumatisme de la guerre du Kippour, devient la voix dominante parmi les juifs.
“Malgré une proximité certaine avec le monde haredi, la communauté hardali ne veut pas être identifiée à l’ultra-orthodoxie, perçue comme éloignée de la masculinité qu’ils ont en idéal”, expose Yaïr Sheleg, auteur d’un livre sur les Hardalim.
À l’opposé du sionisme religieux des débuts, le mouvement affiche un agenda nationaliste agressif et s’engage dans un activisme politique affirmé. Les militants de Gush Emunim se considèrent comme les véritables héritiers du sionisme et adhèrent à un messianisme féroce, qui sacralise l’État israélien moderne et donne une signification eschatologique à la colonisation de la Judée et de la Samarie, en Cisjordanie occupée. “Dans les années 1980, le mouvement réalise que leurs idées ne prennent pas dans le reste de la société israélienne. Ils colonisent la terre, mais pas les esprits”, explique Daniel Mahla. Un schisme se produit alors. “Une partie décide de se tourner vers l’étude de la Torah et la création d’écoles religieuses, afin de renforcer leur idéologie, et de créer une élite capable d’influencer la société”, poursuit le chercheur.
Si les contours de la communauté sont assez flous, celle-ci gravite autour de rabbins charismatiques (Zvi Yehuda Kook, Avraham Shapira , Zvi Thau…) et de yeshivot (écoles religieuses) telles que Mercaz HaRav, porte-étendard du mouvement sioniste religieux à Jérusalem, et ses filiales : Har Hamor, Shebi Hebron, Beit El, ainsi que des établissements pour les femmes. “Malgré une proximité certaine avec le monde haredi, la communauté hardali ne veut pas être identifiée à l’ultra-orthodoxie, perçue comme éloignée de la masculinité qu’ils ont en idéal”, expose Yaïr Sheleg, auteur d’un livre sur les Hardalim.
Recoloniser Gaza
Ces dernières années, l’activisme hardal s’est concentré autour de la judaïsation des villes mixtes judéo-arabes situées à l’intérieur de la ligne verte (Garin Toranim), et l’affaiblissement de la Cour Suprême, incarnation d’une société libérale qu’ils rejettent et dont ils veulent diminuer l’influence. La réforme de la justice qui a divisé la rue israélienne durant les neuf premiers mois de 2023 en a été l’acmé. “C’était l’OPA de l’État de Judée sur Israël”, compare David Ben Ishay, administrateur des Démocrates mobilisés, groupe de francophones actifs pendant les manifestations. Depuis le 7 octobre, les hardalim poussent pour la recolonisation de Gaza, seul projet concret d’un gouvernement sans boussole stratégique, et otage de ses éléments les plus extrémistes
Dernière mise à jour: 27/05/2024 18:07