Sœur Serafima, boulangère de Dieu
Cet article sera publié dans le dossier du prochain magazine, dédié au pain, quotidien et divin, en Terre Sainte. Le sujet vous intéresse ? Abonnez-vous pour recevoir notre numéro estival dans vos boîtes aux lettres !
Je m’abonne
Un dernier coup de tampon, et il n’y a plus qu’à laisser la pâte lever avant d’enfourner les pains pour la cuisson. Ils serviront pour l’eucharistie. Sœur Serafima Christoforidu s’autorise une petite pause pour montrer avec enthousiasme l’endroit dont elle est la maitresse : la boulangerie du patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem.
C’est ici, dans ces salles voûtées chargées d’histoire (la tradition raconte que Sainte Hélène y aurait séjourné au IVe siècle), qu’elle fabrique tous les pains utilisés pour la liturgie, les fêtes et le quotidien dans les monastères et paroisses grecs-orthodoxes de Terre Sainte.
⇓Album photos ⇓
Sœur Sérafima est seule au fournil. La veille, elle a travaillé jusqu’à quatre heures du matin, avant de reprendre à sept heures. « Il y a beaucoup de pains à préparer, mais grâce à Dieu, je ne me sens pas fatiguée », élude tranquillement la sœur, dont les yeux rieurs illuminent un visage enserré de noir. L’habit des moniales grecques-orthodoxes est sévère.
En vidéo >> Le pain, du quotidien au divin
Alors que les églises occidentales utilisent des hosties pour la communion, les églises orientales ont conservé les miches de pain. Ceux que vient de mettre à reposer sœur Serafima seront consacrés lors de l’eucharistie. La veille, elle a travaillé sur les eulogie (bénédiction), les grands pains sucrés dont des bouts sont distribués à la fin de la messe, ou bénis par lot de cinq à l’occasion des grandes fêtes, dont celles des saints et des martyrs.
« Au début, les prêtres n’étaient pas contents »
Tous les mardis, le fournil carbure. Aidée de quelques volontaires, Sr Serafima produit les miches qui seront distribuées aux gens de la vieille ville, selon une tradition qui remonte au XIXe siècle. Elle en produit près de 400 à l’aide d’un grand four à bois. « Jusqu’aux années 1970, les trois patriarcats de Jérusalem géraient des boulangeries qui fournissaient quotidiennement du pain aux monastères, à une partie des laïcs et surtout aux pauvres de la ville », explique Noam Ben Yossef, dans un article du livre « Pain, quotidien et divin », issu de l’exposition du même nom qui s’est tenue au musée d’Israël en 2006.
⇓Album photos ⇓
« Autrefois, la confection des pains liturgiques faisait partie des tâches quotidiennes du moine, poursuit le conservateur de l’exposition. Cela était parfois considéré comme une épreuve de discipline et d’abnégation et était donc même considéré comme l’une des compétences nécessaires pour accéder au sacerdoce. »
Lire aussi >> Il y a 14 400 ans, la Jordanie fleurait le bon pain
Fermée pendant 10 ans, la boulangerie du patriarcat grec-orthodoxe reprend du service en 2000. On demande à Sr Sérafima, arrivée en 1989 à Jérusalem, d’en prendre les rênes. « C’est la première fois en 2000 ans qu’il y a une femme ici », s’amuse la religieuse.
⇓Album photos ⇓
Le pain, elle s’y connaît un peu. Elle en a fait, plus jeune, en Grèce. Mais rapidement, elle réalise que les pains eucharistiques n’ont rien à voir : « J’ai eu beaucoup de problèmes au début. Je n’utilisais pas la bonne farine. Ça gonflait trop et les prêtres n’étaient pas contents parce que les pains étaient creux. J’ai fait des essais avec dix sortes de farine avant de trouver la bonne combinaison. » L’élément secret, c’est le levain. Sr Sérafima le prépare une fois par an, le jour de la fête de la Sainte Croix, avec de l’eau bénite. Elle le réalimente au fur et à mesure, en veillant toujours à laisser une croix tracée dedans.
« C’est comme un miracle »
« Le saint pain est spécial, glisse-t-elle en piquant les miches pour que l’air s’échappe à la cuisson. Depuis que je le prépare, je n’ai jamais été malade. Je n’ai pas de douleur dans le corps, malgré la difficulté du travail. C’est comme un miracle. » Travail rigoureux et répétitif, la fabrication du pain se prête à la prière. Sr Sérafima les égrène tout au long de ses journées : Notre Père, Psaumes…
Voir cette publication sur Instagram
Particularité des pains de la liturgie grecque-orthodoxe : les motifs décoratifs qui leur sont appliqués à l’aide d’un tampon. L’archéologie a fait remonter cette pratique au VIe siècle. Il existe deux sortes de tampons : ceux réservés aux pains eucharistiques, en forme de croix, avec l’inscription « Jesus Christ Victorieux » ; et ceux utilisés pour décorer les pains de bénédiction.
En bois, en pierre, en calcaire… Le Patriarcat grec de Jérusalem possède une impressionnante collection de ces tampons. Sœur Serafima l’a élargie en rassemblant des exemplaires provenant des églises de Jérusalem et ses alentours. Elle veille à ce que chaque église reçoive une miche de pain estampillée avec le tampon de son saint patron le jour de sa fête.
Lire aussi >> Le patriarcat grec-orthodoxe contraint par la guerre de fermer une école
« Les images et les symboles tamponnés sur le pain reflètent son rôle crucial en tant que véhicule de foi qui agit au niveau physique le plus immédiat : l’alimentation, explique Tania Coen Uzzielli, directrice du musée d’art de Tel Aviv et auteur d’un article dédié au tampon à pains chrétiens. Manger du pain estampillé permet aux croyants de vivre la liturgie à travers leurs sens, de participer activement à la cérémonie religieuse et de se sentir partie intégrante de la communauté. »
Après 24 ans dans le fournil et à un âge qu’elle ne veut pas dévoiler, Sr Serafima peine à trouver un successeur. Alors, en communion avec ces pains qu’elle adore fabriquer, la boulangère de Dieu, continue, jour après jour, à pétrir, mouler, tamponner, cuire et prier.