La Haute Cour israélienne a tranché : l’exemption de service militaire dont bénéficient les ultraorthodoxes n’est pas justifiable alors que les troupes israéliennes sont épuisées après 8 mois de guerre. Cette décision a provoqué la colère des partis ultra-orthodoxes, soutiens indispensables de la coalition au pouvoir de Benjamin Netanyahu.
« Cette Cour suprême n’est qu’une bande de gauchistes, anti-religieux et matérialistes. En tant que religieux, je crois à la valeur de la Torah et aux enseignements de nos rabbins sur l’importance vitale de son apprentissage ». Ce commentaire virulent de Yossi, habitant du quartier ultraorthodoxe de Jérusalem Geula, est à la mesure de l’impopularité dans sa communauté de la décision rendue le 25 juin par la Haute Cour d’Israël.
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A l’unanimité de ses 9 membres, elle a exigé du gouvernement qu’il procède à l’enrôlement immédiat de 3000 ultra-orthodoxes dans les rangs de l’armée. La Cour invoque le principe d’égalité de tous devant la loi : « Au milieu d’une guerre épuisante, le fardeau de l’inégalité est plus lourd que jamais et exige une solution. La discrimination concernant la chose la plus précieuse de toutes, la vie elle-même, est de la pire espèce ». Cette jurisprudence est susceptible de provoquer une tempête aux retombées sociales, politiques et militaires potentiellement révolutionnaires en Israël.
Les ultra-orthodoxes, près de 14% de la population israélienne, étaient jusqu’à présent exemptés du service militaire obligatoire. Ce privilège est en vigueur depuis la fondation de l’État en 1948. Il avait été accordé par son premier chef de gouvernement, David Ben Gourion, à cette communauté alors quasi-annihilée par la Shoah. Un nombre record de 66.000 jeunes hommes ont ainsi pu bénéficier en 2023 d’une exemption au motif qu’ils étudiaient la Torah au sein d’une yeshiva (école religieuse). Ces lieux d’étude sont aussi dans le viseur de la Cour Suprême : elle a ordonné au gouvernement de couper une partie des 270 millions de shekels (près de 68 millions d’euros) de subventions versées aux yeshivas (écoles religieuses) qui s’opposeraient à l’appel de leurs étudiants sous les drapeaux.
Une grave violation du principe d’égalité
Cette décision est le dernier épisode d’un combat judiciaire qui oppose la Haute Cour aux gouvernement successifs depuis 1998. Une première décision avait alors reconnu la grave violation du principe d’égalité devant la loi causée par une simple décision administrative. Avait suivi une succession de lois d’exemption temporaire, régulièrement condamnées par les juges ou soumises à la participation fluctuante des partis ultra-orthodoxes dans les coalitions au pouvoir. Cette intervention de la Cour suprême vient justement troubler des discussions en cours à la Knesset (parlement israélien) visant à l’adoption d’une nouvelle loi entérinant définitivement cette exemption des haredim, tempérée par des « objectifs » de conscription fixés à chaque yeshiva. Le premier ministre Benyamin Netanyahu, confronté à un risque d’éclatement de sa majorité sur cette question, s’est dit « étonné que la Haute Cour, qui s’est abstenue pendant 76 ans d’imposer la conscription militaire des étudiants de yeshiva, le fasse maintenant » alors que les principaux représentants de la communauté ultra-orthodoxe au Parlement ont dénoncé « une tentative de déclencher une guerre religieuse entre Juifs » alors que « les étudiants de la Torah en Israël constituent une branche qui nous porte tous ».
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La protection par la Torah
Cet argumentaire du rôle de l’étude de la Torah comme essence d’Israël, voire comme source d’une protection divine complémentaire de celle assurée par l’armée, est repris par de nombreux haredim interrogés par Terre Sainte Magazine. Pour Yossi « la décision des juges est absurde, sans étude de la Torah c’est le sens même de cette guerre qui disparaît ! Dieu nous a donné cette terre à condition que nous la sanctifions par l’étude. Nous perdrions toute légitimité à la défendre contre les Arabes si notre enrôlement y menaçait la pratique du judaïsme. »
Ce rejet de la Cour suprême est partagé par Moshe, jeune ultra-orthodoxe de Méa Shéarim : « Cette Cour a son propre agenda politique et se moque complètement du monde haredi et de ses spécificités ! Elle ne cherche qu’à accroitre son contrôle sur une partie la société qui échappe encore à son pouvoir. Je protège Jérusalem à ma façon par la prière et l’étude ! » Interrogé sur sa réaction en cas d’un ordre de mobilisation le concernant, il nous assure de son anticipation : « J’ai demandé à mon rabbin comment réagir dans ce cas : il m’a dit de me présenter au bureau de recrutement et d’exprimer simplement mon refus avec la même explication ». D’autres, comme Benjamin, doutent franchement de l’utilité pour l’armée de les engager : « Au-delà de la relation entre engagement religieux et engagement militaire, est-ce que l’armée a vraiment besoin de nous engager ? Que pourrions-nous lui apporter dans ce contexte de crise et d’urgence ? Pour moi, cette décision n’est qu’un coup politique pour faire plaisir à des gens qui nous détestent nous et tout ce que nous représentons. »
Cet avis n’est pas celui du procureur général d’Israël Gali Baharav-Miara. Elle a ordonné dès le 25 juin aux autorités militaires de procéder au recrutement immédiat des 3000 haredim réclamés, un « premier nombre qui ne comble pas encore les besoins actuels de l’armée ». Ces 3000 conscrits viendraient s’ajouter au près de 1200 ultra-orthodoxes déjà engagés dans des unités spécifiques de l’armée israélienne. Si ce nombre d’engagés semble modique, il pourrait être amené à augmenter dans le futur avec une croissance substantielle des haredim désireux de s’engager volontairement depuis le 7 octobre.
« J’ai étudié deux ans en yeshiva avant de m’engager. La Torah exige 12 heures, voire 14 heures de travail quotidien. Renoncer à cette implication peut-être très déstabilisant et cette élévation de l’âme par l’étude peut vite manquer à ces hommes »
Cette évolution est confirmée par le caporal Ben, en charge de l’orientation des potentiels futurs soldats ultra-orthodoxes dans un bureau de recrutement de Jérusalem : « rien qu’ici, j’ai pu recevoir des centaines de haredim depuis le 7 octobre alors qu’à peine une centaine par an venait se renseigner auparavant ». Le sous-officier ne cache cependant pas les difficultés que peuvent poser ces recrutements, même avec la meilleure volonté de servir : « Je suis moi-même issu du milieu sioniste-religieux et j’ai étudié deux ans en yeshiva avant de m’engager. La Torah exige 12 heures, voire 14 heures de travail quotidien. Renoncer à cette implication peut-être très déstabilisant et cette élévation de l’âme par l’étude peut vite manquer à ces hommes ». A ces difficultés traversées par les recrues haredim s’ajoutent celles de l’armée de leur fournir un cadre adapté avec une cashrout stricte, un éloignement des engagées féminines ou un temps d’étude religieuse qui n’empiète pas sur les exigences du service. Le caporal, revenu blessé d’une unité combattante à Gaza, évoque aussi la question de la santé de cette population très renfermée sur elle-même et consacrée à l’étude : « les haredim qui se présentent ici sont loin de tous remplir les critères physiques et psychologiques pour être déclarés aptes au service. Nous réfléchissons donc à la mise en place d’un programme d’entraînement spécial pour mettre à niveau ceux qui pourraient l’être. »
L’enrôlement des ultra-orthodoxes sur la base d’un volontariat croissant était-elle la meilleure solution contre de nouvelles tensions entre groupes sociaux israéliens ? La Cour Suprême a répondu par la manière forte après des décennies d’objectifs de recrutements non atteints dans un contexte où ce privilège n’est plus toléré par la société. L’intransigeance du monde ultra-orthodoxe sur cette question semble cependant s’amoindrir à petits pas : « Ceux qui ont les capacités intellectuelles d’étudier vraiment la Torah ne doivent s’engager sous aucun prétexte. En revanche, je ne m’oppose pas à ce que des haredim moins doués rejoignent l’armée s’ils le veulent. En ce qui me concerne, j’ai déjà prévu mon exemption pour troubles psychiatriques en cas de besoin. » nous confie Yossi.