Regarder Jésus au Thabor avec les yeux de Pierre, Jacques et Jean
C’est le “lieu de rencontre de Dieu avec les hommes à travers le mystère de la Transfiguration”. Frère Ricardo Bustos sait de quoi il parle. Le franciscain argentin vit au sommet du mont Thabor depuis 8 ans.
Entre les années de covid et le temps de la guerre, lui et deux frères ont tout le loisir d’entrer dans la contemplation du lieu et du mystère.
À quelques jours de la fête de la Transfiguration, souhaitons à notre façon un bel anniversaire à la basilique du Thabor inaugurée il y a 100 ans.
À mesure que nous pénétrons dans la plaine de Yizréel, peu importe la direction, il est impossible de ne pas voir cette montagne isolée qui apparaît dans toute sa splendeur et majesté au milieu du paysage environnant. Le mont Thabor s’élève à plus de 450 m au-dessus de la plaine et à 588 m au-dessus du niveau de la Méditerranée. Il se trouve à la limite sud de la Basse-Galilée, à environ 8 km de Nazareth à vol d’oiseau.
Du pied de la montagne aux villages de Daburyieh ou Shibli, il y a 4 km avec ses 13 virages. Son sommet est un plateau ovale ; un lieu privilégié pour observer le croisement de l’ancienne route mythique Via Maris.
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La riche végétation de ses pentes, toujours couvertes de chênes, de pistachiers lentisques et de plantes indigènes, et au printemps, de coquelicots, de lys et de lys sauvages, est remarquable. Du sommet vers le bas, les cyprès abondent, invitant le voyageur à s’arrêter pour contempler ce paysage merveilleux. Depuis des temps immémoriaux, de nombreuses caravanes venant de Mésopotamie et de Syrie traversaient la fertile plaine d’Esdrelon pour atteindre la Méditerranée et continuer leur chemin jusqu’en Égypte.
Ceux qui venaient du sud passaient par Hébron, Bethléem et Jérusalem, et se dirigeaient vers le nord, près de Nazareth. Le mont Thabor se dressait comme témoin de leur passage au milieu de la plaine.
Peuples cananéens
Avant que le peuple hébreu n’entre dans la Terre Promise, divers peuples, appelés “Cananéens”, habitaient la région et rendaient un culte à leurs dieux sur cette “montagne sacrée”, multipliant offrandes et sacrifices. Un sanctuaire du dieu Baal existait, qui à l’époque hellénistique fut dédié à Zeus Atabyrios, où celui-ci remplaçait Baal, le « Seigneur » des Cananéens ; et l’adjectif “Atabyrios” indique sa provenance du Thabor (en grec : Atabyrion). La vénération des “hauteurs”, propre à ces peuples, l’était aussi pour les Israélites qui se laissèrent entraîner par les cultes païens et l’idolâtrie (Dt 33, 19 ; Os 5, 1).
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La montagne fut d’une grande importance pour le peuple d’Israël du point de vue politique et religieux, et servit d’inspiration aux poètes (Ps 89, 13) et aux prophètes (Jr 46, 18). Lors de la répartition du territoire, cette zone échut aux tribus d’Issachar, de Nephtali et de Zabulon (Cf. Jos 19, 10-39), dont la mission était “d’appeler les peuples à monter à la montagne, où ils offriront des sacrifices de justice” (Dt 33, 19).
À l’époque des Juges, la prophétesse Déborah convoqua les Israélites sur le mont Thabor et les exhorta à lutter contre les Cananéens. Ainsi, le général Barak vainquit les armées de Yabin et Sisera dans la plaine de Yizréel (Jg 4-5). Après la bataille, Déborah et Barak chantèrent un cantique en l’honneur de Yahvé qui avait donné la victoire à son peuple, Israël.
Lors de la révolte des juifs contre Rome (en 67 ap. J.-C.), Flavius Josèphe entoura, en quarante jours, “le plateau du Thabor” d’un mur de 26 stades. Il y établit un campement où les rebelles organisèrent leur dernière résistance. Placide, lieutenant de Vespasien, les attaqua avec une armée de 600 hommes à cheval et, par une ruse, les obligea à descendre dans la plaine où il les vainquit. (“Vita”, 37 ; “Bell. Jud.”, II, IV, XX, 6).
Le mystère de la Transfiguration et la tradition postérieure
“Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.” (Mt 17, 1-2). Le mont Thabor a-t-il été le lieu de la Transfiguration du Seigneur ? Les évangiles ne mentionnent pas son nom, se contentant de parler d’“une haute montagne”. Saint Pierre ne le mentionne pas non plus lorsqu’il se souvient de l’événement dont il fut “témoin oculaire” (2P 1,18). Marc et Matthieu disent que la Transfiguration eut lieu “six jours après” la reconnaissance de Jésus comme Messie et l’annonce de sa Passion à Césarée de Philippe.
Les premiers auteurs à rapporter la tradition du Thabor sont saint Cyrille, évêque de Jérusalem (348) et saint Jérôme (385) ; et nous trouvons peut-être un indice dans le “Commentaire aux Psaumes” attribué à Origène (253). Certains auteurs situent l’épisode de la Transfiguration de Jésus sur le mont Hermon, en se référant à Eusèbe de Césarée (339) qui dit seulement : “Sur ces montagnes”. D’autres le situent sur le “petit Hermon”, où se trouve le village de Naïm. Vers le IVe siècle, une église fut probablement construite, dont les vestiges du baptistère sont encore visibles dans l’angle sud-est.
Le Ve concile de Constantinople (553) y établit un évêché pour servir les nombreux moines et ermites vivant dans la région. Le pèlerin anonyme de Plaisance (570) y trouva trois basiliques en mémoire des trois tentes mentionnées par saint Pierre lors de la Transfiguration du Seigneur. Arculfe (670) raconte qu’“il y a là un grand monastère de moines avec de nombreuses cellules”, dont il reste peu selon un document datant du IXe siècle, où vivaient seulement 18 moines avec l’évêque Théophane au service de quatre églises du lieu.
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Pendant le Royaume latin de Jérusalem (1099-1187), le Thabor connut une époque de grande splendeur. Les moines bénédictins furent les dépositaires du culte à l’époque de Tancrède, prince de Galilée, qui dota la communauté de fortes rentes. Le monastère, dont les impressionnantes ruines subsistent encore, était une véritable forteresse qui résista à la bataille des Cornes de Hattin (1187), lorsque l’armée croisée fut vaincue par Saladin. En 1212, Malek-el-Adel détruisit l’église bénédictine.
Pendant la trêve entre Frédéric II de Suède et le sultan ayyoubide Al-Kamil (1229-1239), certains moines revinrent occuper le Thabor sans pouvoir exhumer l’ancien sanctuaire, construisant donc une petite chapelle ou oratoire à l’ouest de la première église. En 1263, Baybars détruisit toutes les églises existantes. Depuis lors, et jusqu’au XVIIe siècle, peu de pèlerins osaient monter sur la sainte montagne.
Depuis 1620, après avoir obtenu la concession des ruines de l’Annonciation, les franciscains de Nazareth montaient en pèlerinage au Thabor chaque année pour la fête de la Transfiguration, avec la petite communauté chrétienne, dans l’attente de pouvoir entrer sur le site. En 1631, grâce au bienveillant émir druze Fakhr-ed-Din, l’établissement d’une communauté franciscaine fut permis, et peu après celle d’une grecque-orthodoxe. Depuis lors, les franciscains ont réussi à maintenir la propriété, non sans grandes difficultés. Ils ont étudié et consolidé les ruines existantes, mais il a fallu attendre trois siècles pour voir leur rêve de construire une basilique digne du mystère célébré se réaliser.
La basilique actuelle et la présence franciscaine
Aujourd’hui, les pèlerins montent au Thabor par une route sinueuse tracée au début du XXe siècle pour transporter les matériaux de construction pour la nouvelle basilique. En arrivant à la “Porte du Vent”, en arabe Bab el-Hawa, on peut voir les restes de la forteresse sarrasine du XIIIe siècle, dont les murs entouraient tout le plateau sommital. Vers le nord-est se trouvent le monastère grec-orthodoxe et l’église de Saint-Élie de 1911, avec des vestiges byzantins et croisés.
Les premières études archéologiques ont été réalisées à la fin des années 1800. La construction de la basilique actuelle, œuvre de l’architecte italien Antonio Barluzzi, a débuté en 1921 et elle a été consacrée en 1924. Devant l’église, on peut voir les ruines du monastère bénédictin du XIIe siècle avec des vestiges de la forteresse sarrasine édifiée sur les fondations de la basilique croisée, sur lesquelles repose le sanctuaire actuel. La basilique, de style romano-syriaque, reproduit le modèle des anciennes églises de Syrie (IVe-VIIe siècles). Sa façade, avec le grand arc entre deux tours et les frontons triangulaires des toitures, est une invitation à élever l’esprit pour contempler le mystère qu’elle renferme.
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En franchissant les portes de bronze, la stupéfaction se transforme en recueillement et en prière silencieuse. La nef centrale est séparée des nefs latérales par deux arcs en plein cintre, avec un escalier qui conduit à la crypte. En haut se dévoile le mystère avec une grande abside où est représentée la scène de la Transfiguration sur un fond complètement doré. Les fenêtres de la façade donnent à cette magnifique mosaïque une luminosité et un mysticisme particuliers.
Les peintures des chapelles latérales ainsi que les mosaïques de la basilique sont l’œuvre de l’artiste Adolfo Villani (1921-1924). Sous le pavement se trouvent des vestiges d’un escalier croisé et quelques découpes dans la roche, liés à la vie primitive du Thabor. Dans la crypte, on peut apprécier quatre moments du mystère de la Transfiguration, où Jésus “assume diverses figures” (“trans-figuration”) : sa naissance ; l’eucharistie ; la Passion et la Résurrection. Les vitraux reproduisent deux paons, symboles d’immortalité et de vie éternelle, le calice de la Passion de Jésus et la présence trinitaire (le triangle).
L’ancien couvent franciscain a été construit en 1873-75, à côté d’un petit hospice qui a été entièrement rénové en 1924 sous le nom de “Casa Nova”, et sert d’accueil pour les pèlerins. Jusqu’en 2006, les Sœurs de la Miséricorde ont partagé ce service avec la communauté franciscaine, suivies par l’association italienne “Mondo X”, dédiée à la réhabilitation des jeunes toxicomanes, jusqu’en 2021.
Jubilé de la dédicace de la basilique
Le 31 mai 1924, le cardinal Oreste Giorgi, délégué papal, fut reçu au pied du mont par une délégation de “cavaliers” circassiens et bédouins des villages voisins qui l’escortèrent jusqu’au couvent. À la Porte du Vent l’attendaient le père custode de Terre Sainte, Ferdinando Diotallevi, avec de nombreux religieux, religieuses et fidèles qui marchèrent en procession jusqu’au couvent. Le lendemain, dimanche 1er juin, une messe pontificale eut lieu, au cours de laquelle la basilique de la Transfiguration du Seigneur fut consacrée.
Le 6 août 2023, l’Année Jubilaire a été ouverte à l’occasion du centenaire de sa consécration, et diverses célébrations et activités de caractère ecclésial étaient prévues, ainsi que la clôture cette année lors de la fête du sanctuaire. Malheureusement, la guerre commencée en octobre 2023, et toujours en cours, a empêché la réalisation du programme prévu.
Le pape Benoît XVI nous dit que le sens le plus profond du mystère de la Transfiguration “est contenu dans ce seul mot. Les disciples doivent redescendre avec Jésus et apprendre toujours de nouveau : Écoutez-le !”.
Pour conclure, je considère que “La situation de guerre des derniers mois, comme ce fut le cas pour la pandémie, nous a aidés à redécouvrir la dimension contemplative du Thabor, non seulement comme un lieu de prière, mais surtout comme un lieu privilégié de rencontre avec Dieu et avec les hommes. Revenir à l’essentiel. C’est le message principal qui émerge du Thabor. Il est essentiel de contempler le visage de Jésus, de le regarder avec les yeux de Pierre, Jacques et Jean, peut-être effrayés, sans trop comprendre ce qui se passe autour, mais sachant que le Seigneur est vraiment ici, au milieu de nous, pour toujours”.
Dernière mise à jour: 11/07/2024 15:51